Alors que la réponse humanitaire à la guerre en Ukraine se traduit par des niveaux de financement record, nombre d’ONG craignent que cet afflux ne se fasse au détriment d’autres crises qui reçoivent peu d’attention et restent gravement sous-financées. Quelques exemples de ces crises dans lesquelles le Défap est directement impliqué : Haïti, le Liban et Madagascar.
Carte de quelques crises en cours dans le monde : l’Ukraine, le Liban, Madagascar, Haïti © DR + Défap
Nous vivons dans un monde en guerre. Les images des destructions en Ukraine ont tendance à nous le faire oublier : il y a en ce moment 25 conflits en cours de par le monde – dont plus aucun média ne se fait l’écho. Et au-delà de ces situations de conflit, bien des régions du monde continuent à avoir d’importants besoins d’aide – une aide qui connaît aujourd’hui une baisse dramatique.
De nombreux facteurs contribuent à l’afflux de dons pour l’Ukraine : l’énorme importance géopolitique que revêt l’agression de la Russie contre ce pays, ainsi que les retombées économiques de l’invasion russe ; la vitesse et l’ampleur de la crise du déplacement ; sans oublier la couverture médiatique exceptionnelle de ce conflit. Mais parallèlement, ceux qui coordonnent les efforts d’aide internationale se retrouvent confrontés à un écart croissant entre le financement et les besoins. Les États-Unis ont ainsi annoncé le 24 mars qu’ils débloquaient 1 milliard de dollars pour aider les pays d’Europe à absorber le flux des réfugiés venus d’Ukraine. Cela s’ajoute aux 1,5 milliard de dollars promis par les États donateurs pour soutenir les efforts humanitaires en Ukraine et dans les pays voisins lors d’une conférence de financement organisée plus tôt ce mois-ci. « Il s’agit de l’une des réponses les plus rapides et les plus généreuses qu’un appel humanitaire ait jamais reçues », a estimé le porte-parole de l’ONU, Stéphane Dujarric. Mais qu’en est-il des autres crises ?
Ce biais qui affecte les États, les donateurs et les institutions internationales menace également de déséquilibre l’aide financière promise par des donateurs privés. Or la guerre en Ukraine, au-delà de l’assèchement des dons pour des projets cruciaux, a aussi pour effet d’accroître les crises dans de nombreuses régions du monde, avec de forts risques de pénuries alimentaires. Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, a mis en garde contre le risque d’un « ouragan de famines » dans de nombreux pays, estimant qu’il est de la responsabilité des grandes puissances de désamorcer cette bombe à retardement, qui pourrait dans le cas contraire exploser dans quelques mois, quand ces pays auront épuisé leurs réserves de blé. Avec le risque d’une catastrophe humanitaire, voire de troubles sociaux.
Just asking.
Are donor states and the big international aid agencies diverting funding, personnel and resources away from emergencies in the Global South in order to respond to the Ukraine crisis? pic.twitter.com/Gim9fN1XJ3— Jeff Crisp (@JFCrisp) March 12, 2022
Et ce qui est vrai pour les dons au niveau international l’est tout autant en France. Comme le souligne Elsa Bouneau, directrice de la Fondation du Protestantisme, une plateforme comme Solidarité Protestante a notamment pour objectif de promouvoir un certain nombre de causes que l’on dit « oubliées » parce qu’elles ne sont pas directement sous les projecteurs de l’actualité. En voici quelques-unes dans lesquelles le Défap est directement investi, depuis de longues années, à travers des projets qui mobilisent sur place des partenaires engagées sur un temps long pour permettre un véritable accès à l’autonomie :
HAÏTI
Une classe en Haïti © Sophie Reille pour Défap
Haïti reste le pays le plus pauvre de la région Amérique latine et Caraïbes et parmi les pays les plus pauvres du monde. En 2020, Haïti avait un PIB par habitant de 2925 dollars, le plus bas de la région Amérique Latine et Caraïbes et moins d’un cinquième de la moyenne des pays de la région. Selon l’indice de développement humain de l’ONU, Haïti était classé 170ème sur 189 pays en 2020. À l’inflation, aux conflits marqués par des groupes criminels et aux catastrophes dues à des phénomènes naturels s’ajoute une instabilité politique persistante, qui s’est accrue depuis l’assassinat, le 7 juillet 2021, du président de l’époque, Jovenel Moïse. Selon les dernières estimations du Programme Alimentaire Mondial, environ 4,5 millions d’Haïtiens, soit plus de 40% des 11 millions d’habitants du pays, souffrent de la faim.
Des liens privilégiés existent de longue date entre la Fédération protestante de France (FPF) et la Fédération protestante d’Haïti (FPH). Le passage de quatre tempêtes dévastatrices sur le territoire haïtien en 2008 (Fay, Gustav, Hanna et Ike) s’était traduit par la création de la Plateforme Haïti, regroupant divers acteurs du monde protestant sous l’égide de la FPF. En 2010, au moment du tremblement de terre qui devait faire plus de 230.000 morts, les réseaux protestants étaient donc bien en place, et la solidarité avait trouvé rapidement des canaux pour s’exprimer. Le président actuel de la Plateforme Haïti est le pasteur Rodrigue Valentin, de l’Église du Nazaréen, et sa coordination administrative est assurée par le Défap. La Plateforme rassemble les acteurs suivants :
- la Mission Biblique
- le Service protestant de mission – Défap
- la fondation La Cause
- le SEL (Service d’Entraide et de Liaison)
- ADRA-France
- l’Église du Nazaréen
- Réforme
Des projets sont en cours de longue date dans ce pays : soutien institutionnel à la FPH, la Fédération Protestante d’Haïti ; partenariat avec la FEPH (la Fédération des Écoles Protestantes d’Haïti) visant à améliorer le niveau de l’éducation – une nécessité pour que les Haïtiens puissent prendre leur destin en main ; la FEPH organise également des formation à la gestion des risques de désastre dans les écoles, pour que les élèves apprennent les gestes qui sauvent en cas de séisme. La fondation La Cause soutient des orphelinats. ADRA a permis le lancement d’opérations de reboisement, un aspect crucial pour réduire les risques dans ce pays dont plus de 90% de la couverture végétale a disparu, ce qui se traduit par des inondations catastrophiques et des coulées de boue destructrices lors des fréquents cyclones.
Or la crise en Ukraine pourrait bientôt aggraver la sécurité alimentaire d’Haïti, car les prix mondiaux des aliments que le pays doit importer augmentent. Selon la Coordination nationale de la sécurité alimentaire, le coût mensuel du panier alimentaire minimum de base (riz, farine de blé, maïs, haricots, sucre et huile végétale) est passé de 20 à 30 dollars. Face à cette urgence humanitaire, le PAM (le Programme Alimentaire Mondial) a déclaré qu’il s’attendait à devoir aider 1,7 million de personnes cette année, après avoir dû fournir de la nourriture et d’autres aides à 1,3 million d’Haïtiens en 2021. Mais parallèlement, les États-Unis n’ont pas mis fin à leur politique d’expulsions et de rapatriements forcés d’Haïtiens, dont certains pouvaient être présents sur leur sol depuis de nombreuses années.
LIBAN
Groupe de réfugiés au départ de Beyrouth le 15 mars 2020. Au premier plan, prenant la photo : Soledad André, envoyée du Défap pour la FEP © Soledad André pour DéfapLe Liban est frappé par une dépression économique grave et prolongée, marquée par des crises à répétition : crise économique et financière, impact du COVID-19, explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020. De ces trois catastrophes, la crise économique a eu de loin l’impact négatif le plus important (et le plus persistant). Le PIB du Liban a chuté d’environ 55 milliards de dollars en 2018 à 20,5 milliards de dollars en 2021, tandis que le PIB réel par habitant a chuté de 37,1%. Une contraction aussi brutale est généralement associée à des conflits ou à des guerres. Face à ces défis colossaux, l’inaction politique persistante et l’absence d’un exécutif pleinement opérationnel menacent d’aggraver une situation socio-économique déjà sérieusement détériorée et de briser une paix sociale fragile, sans que se profile à l’horizon une sortie de crise.
Au Liban, le Défap est directement impliqué, par l’envoi de volontaires sous le statut de VSI, dans le programme des « couloirs humanitaires », directement inspiré d’un exemple italien associant la Fédération des Églises évangéliques italiennes et la communauté catholique de Sant’Egidio. Il a pour objectif l’accueil de personnes se trouvant dans les camps au Liban, indépendamment de leur appartenance religieuse ou ethnique. Il est régi par un protocole d’entente signé à l’Élysée et qui associe les ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères à divers partenaires issus du milieu des Églises. Ce projet ne bénéficie d’aucun financement public : il est porté essentiellement, tant sur le plan des fonds que sur le plan de l’organisation, par les Églises et les bénévoles qui y participent. Les réfugiés arrivant en France via ce dispositif se retrouvent accueillis légalement dans le réseau de la FEP (Fédération de l’Entraide Protestante) et de ses partenaires locaux ; des collectifs et des hébergements pour lesquels se sont mobilisés nombre de bénévoles issus de l’Église protestante unie de France (EPUdF) ou de l’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine (UEPAL), deux des unions d’Églises constitutives du Défap.
Or, la guerre en Ukraine menace tout autant les ressources alimentaires du Liban. Avec le Maroc et l’Égypte, c’est l’un des pays les plus dépendants du blé ukrainien et russe. La hausse du prix du pain frappe de plein fouet les plus démunis. « Le Liban a un mois et demi de réserves de blé tendre », estimé ainsi Georges Berberi, à la tête de la direction générale des céréales et de la betterave sucrière, rattachée au ministère de l’économie et du commerce. Si tout le Proche-Orient est menacé par la rupture des filières d’Ukraine et de Russie, le Liban a ses propres défis, dont le stockage, car les silos de Beyrouth ont été détruits lors des explosions survenues au port, en août 2020. Et la fonte des réserves en devises de la banque centrale, qui subventionne les importations de blé à un taux préférentiel (un dollar pour 1500 livres libanaises, quand celui-ci dépasse 24.000 livres libanaises sur le marché noir).
MADAGASCAR
Vue des dégâts après le passage du cyclone Batsirai au centre Akany Fanantenana © La Cause
Bien que disposant de ressources naturelles considérables, Madagascar a un taux de pauvreté parmi les plus élevés au monde. Le pays est classé au quatrième rang des pays avec les taux les plus élevés de malnutrition chronique, et près d’un enfant de moins de cinq ans sur deux souffre d’un retard de croissance. Environ 97% des enfants malgaches âgés de 10 ans ne peuvent pas lire et comprendre un texte court et adapté à leur âge. Et 4 enfants sur 10 abandonnent l’école primaire avant la dernière année. La pandémie de Covid-19 a en outre annulé plus d’une décennie de progrès en termes de revenu par habitant et de réduction de la pauvreté.
À Madagascar, le Défap est impliqué surtout dans des projets d’enseignement, liés à l’apprentissage du français. La maîtrise de cette langue est en effet une condition nécessaire pour pouvoir accéder à des études supérieures – alors même que la majorité de la population ne la maîtrise pas, et qu’elle n’est pas enseignée en primaire. Dès lors, sans une bonne connaissance du français, pas d’ascension sociale possible : la pauvreté entretient la pauvreté. Au-delà de l’envoi de volontaires pour aider à l’enseignement du français dans les écoles, certains participent aussi aux programmes de formation des enseignants définis au niveau national. Le Défap est aussi en lien étroit avec des partenaires comme la fondation La Cause, qui gère divers orphelinats : certaines missions sur place sont ainsi organisées en commun.
Mais le pays est aussi soumis a des catastrophes naturelles récurrentes, dont l’aggravation d’année en année est directement imputable, selon de nombreux experts, au changement climatique : c’est le cas de la sécheresse qui a affecté quatre années d’affilée le sud de l’île, détruisant toutes les cultures et provoquant une épouvantable famine ; c’est le cas encore des cyclones, réguliers dans cette région, mais dont la fréquence et la violence s’accroît. L’un des cyclones de l’année 2022, Batsirai, a détruit à plus de 90% au début du mois de février la ville de Mananjary, au sud-est de l’île. Une ville dans laquelle La Cause soutient deux orphelinats, destinés à accueillir les enfants abandonnés, nombreux dans cette région. Le Défap est ainsi engagé avec La Cause, ADRA et les Amis du Catja, dans une opération destinée d’abord à fournir des denrées d’urgence, mais surtout à aider ces orphelinats à retrouver un fonctionnement normal.