Il y a dans chaque Assemblée Générale du Défap un double aspect : sur le plan formel, c’est un lieu qui permet de faire le point sur l’activité de l’année écoulée – avec notamment la présentation du rapport d’activités et des échanges entre l’équipe exécutive et les délégués ; c’est un lieu de prise de décisions et d’orientations… Mais au-delà de cet aspect institutionnel, c’est une occasion de réfléchir ensemble sur des sujets fondamentaux : la mission, ses moyens, la façon dont elle s’incarne… Ce samedi 26 mars, délégués et membres de l’équipe du Défap, réunis en visioconférence par Zoom, étaient ainsi invités à se pencher ensemble sur cette thématique, introduite pour l’occasion par Jean-Luc Blanc : « L’Église universelle est notre paroisse ».


Vue de l’Assemblée Générale du Défap en visioconférence – Capture écran

Dans les activités du Défap, les plus visibles, celles sur lesquelles il est le plus facile de communiquer, sont celles qui concernent l’étranger : la « mission au loin », que l’on a tendance à opposer facilement à la « mission au près » – une image directement héritée de la Société des Missions Évangéliques de Paris, dont les missionnaires, du XIXème au XXème siècle, ont contribué à implanter et faire vivre de nombreuses Églises protestantes loin de France. Mais c’est précisément pour sortir de cette image et de cet aspect de la mission que la SMEP s’est transformée, à partir de 1971, en deux entités distinctes, quoique sœurs : la Cevaa – Communauté d’Églises en mission, un organisme volontairement dépourvu de centre dans lequel toutes les Églises membres, issues de cette histoire commune entre le Nord et le Sud, pouvaient siéger à égalité, et au sein duquel devaient prévaloir les relations d’échange et de soutien mutuel ; et le Défap, désormais département missionnaire des Églises de France au sein de cet ensemble – même s’il a aussi acquis une individualité et noué des relations qui sont allées depuis au-delà de la seule Cevaa.

Est-il vraiment pertinent d’opposer « mission au loin » et « mission au près » ? Les enjeux de l’une ne rejoignent-ils finalement pas les enjeux de l’autre ? Les questions liées à la rencontre, aux relations interculturelles, ne se posent-elles pas aujourd’hui de manière tout aussi visible dans nos paroisses que dans les relations entre Églises au-delà des frontières ? Comment entendre, dans le contexte d’une mondialisation qui a tendance à effacer les identités en même temps qu’elle favorise les échanges, l’idée « d’Église universelle » ? Tous ces thèmes transparaissaient, de manière plus ou moins explicite, dans le sujet choisi pour alimenter les réflexions de l’Assemblée générale du Défap en ce 26 mars 2022 : « L’Église universelle est notre paroisse ». En l’absence de Pascale Renaud-Grosbras pour raisons de santé, c’est Jean-Luc Blanc, ancien Secrétaire général du Défap et ancien responsable du service Relations et Solidarités Internationales, qui avait été chargé de faire une présentation destinée à alimenter les échanges, avant des travaux en groupes.

L’universalité de l’Église dans les lettres de Paul

Repartant d’une perspective biblique, et tout particulièrement des lettres de Paul, Jean-Luc Blanc a souligné tout d’abord que la question de l’universalité de l’Église est étroitement liée à sa diversité. La communauté de Jérusalem, on le voit dans la Bible, a éclaté rapidement en tout un tas de communautés très diverses. Étonnamment, celle que l’on appelle la Grande Église n’avait rien à voir avec l’Église de Jérusalem que l’on voit dans les Actes. L’idée d’Église universelle a dû être pensée dès le départ : comment vivre ensemble avec une telle diversité au niveau des paroisses, des Églises ?

Quand on regarde l’épître aux Romains, chapitre 15, versets 23 et suivants, Paul écrit :

« ayant depuis plusieurs années le désir d’aller vers vous, j’espère vous voir en passant, quand je me rendrai en Espagne, et y être accompagné par vous, après que j’aurai satisfait en partie mon désir de me trouver chez vous. Présentement je vais à Jérusalem, pour le service des saints. Car la Macédoine et l’Achaïe ont bien voulu s’imposer une contribution en faveur des pauvres parmi les saints de Jérusalem. »

On voit poindre déjà l’idée de visites aux Églises. Pour Paul, l’universalité de l’Église implique de visiter les Églises qui ne sont pas fondées par lui, qui ont une autre histoire. Dès le début apparaît aussi l’idée de partage des richesses.

Dans le chapitre 16 de Romains, Paul écrit encore :

« Je vous recommande Phoebé, notre sœur, qui est diaconesse de l’Église de Cenchrées, afin que vous la receviez en notre Seigneur d’une manière digne des saints, et que vous l’assistiez dans les choses où elle aurait besoin de vous, car elle en a donné aide à plusieurs et à moi-même. Saluez Prisca et Aquilas, mes compagnons d’œuvre en Jésus Christ, qui ont exposé leur tête pour sauver ma vie; ce n’est pas moi seul qui leur rends grâces, ce sont encore toutes les Églises des païens. Saluez aussi l’Église qui est dans leur maison. Saluez Épaïnète, mon bien-aimé, qui a été pour Christ les prémices de l’Asie. Saluez Marie, qui a pris beaucoup de peine pour vous. Saluez Andronicus et Junias, mes parents et mes compagnons de captivité, qui jouissent d’une grande considération parmi les apôtres, et qui même ont été en Christ avant moi. Saluez Amplias, mon bien-aimé dans le Seigneur. Saluez Urbain, notre compagnon d’œuvre en Christ, et Stachys, mon bien-aimé. Saluez Apellès, qui est éprouvé en Christ. Saluez ceux de la maison d’Aristobule. »

On voit apparaître ici, une nouvelle fois le partage des dons, mais aussi les échanges de personnes : Paul salue une bonne trentaine de personnes, qui ne sont pas issues de Rome. Il veut que les Églises de Rome fassent une place à celles et ceux qui ne sont pas des autochtones. Il souligne que l’étranger est un signe pour l’Église locale.
Paul n’est pas le fondateur de l’Église de Rome, il le sait bien ; et pourtant, il a écrit aux chrétiens de cette Église toute l’épître aux Romains : il leur écrit des choses qu’il peut voir en tant qu’observateur extérieur.

Sa théologie est une théologie en voyage : il prend des éléments des Églises qu’il traverse pour les adresser à d’autres. Des textes liturgiques, des hymnes… Il construit une théologie en rassemblant des éléments issus de diverses Églises.

L’universalité de l’Église et le projet de la Cevaa


Les Églises de la Cevaa dans le monde © Cevaa

Partage des finances, échange de personnes, élaboration d’une théologie multiculturelle : c’est exactement le projet initial de la Cevaa, tel qu’il a été voulu en 1971. Mais aujourd’hui, ne nous faudrait-il pas aller au-delà ? La solidarité que Paul demande aux Romains pour l’Église de Jérusalem indique un chemin. Comme l’a souligné Jean-Luc Blanc, les Églises de France, via le Défap, vivent une vraie communion avec des Églises d’autres continents, après y avoir envoyé des missionnaires qui ont implanté ces Églises. Et d’ajouter : « Aujourd’hui, nous avons conscience que nous devons pouvoir dire l’Évangile dans diverses cultures. Mais il y a d’autres différences : des différences théologiques, d’appartenance ecclésiologique… Laurent Schlumberger écrivait que l’Église de demain serait post-dénominationnelle ou ne serait pas, annonçant la fin d’une période où le protestantisme a été divisé par tout un tas de partages et de clivages dénominationnels. Le Défap a déjà des partenaires qui vivent l’universalité de l’Église sur ce mode. Basile et moi avons ainsi vu au Maroc une Église se transformer en une Église multi-dénominationelle. La transition n’a pas été sans douleur, mais le chemin n’est pas impraticable. Au Congo-Kinshasa, les diverses Églises membres de la fédération protestante du Congo ont choisi de devenir l’Église du Christ au Congo, renonçant à leurs différences dénominationelles. Et le recul que nous avons aujourd’hui est suffisant pour voir que ça fonctionne ! Nos divisions dénominationelles, que nous avons exportées lors de l’envoi de missionnaires, ne sont donc pas indépassables. »

D’où cette question : « Ne faudrait-il donc pas nous engager dans une réflexion sur ce dépassement ? Nous n’avons pas les mêmes théologies ; mais les frontières théologiques d’aujourd’hui ne recouvrent pas les frontières dénominationelles classiques. Nous avons ainsi de bonnes relations avec des universités au Congo d’inspiration pentecôtiste. Cette version de l’universel est à travailler, au niveau de la paroisse locale, de nos régions et de nos institutions ecclésiales nationales, et au niveau des relations internationales. »

Les rapprochements et leurs limites

À l’issue de cette présentation, les délégués et membres présents de l’équipe exécutive du Défap ont été invités à travailler par groupes sur les questions suivantes :

  • Pensez-vous que l’universalité de l’Église doit aller jusqu’à un post-dénominationalisme capable d’intégrer nos divergences actuelles ?
  • Quelles limites voyez-vous à cette démarche ?
  • Comment pourrions-nous travailler à une mission qui aille encore plus dans le sens de l’universalité de l’Église que nous ne l’avons fait jusqu’ici ?
    • au niveau de la paroisse locale ?
    • au niveau de la France ?
    • au niveau du monde ?

Les retours sur ces réflexions de groupes ont donné lieu à des échanges très fournis, certains des participants soulignant par exemple les expériences qui se vivent déjà dans les Églises, les couples mixtes, les chants qui rapprochent des chrétiens issus d’Églises différentes… D’autres se sont interrogés sur les gestes du quotidien dans lesquels cette fraternité entre Églises peut se traduire : « Comment mieux vivre avec les Églises que l’on accueille dans nos locaux en région parisienne ? Comment vivre l’Église universelle au-delà du passage de la clé de la salle ? ». Ou se sont inquiétés des phénomènes possible de domination au sein d’une paroisse. Certains ont davantage pris en considération les perceptions des uns et des autres et l’importance du rapprochement dans le dialogue : « L’Église universelle est de l’ordre de la promesse, il s’agit d’accepter la rencontre de l’autre. Et ne pas faire de « mon » universel, une notion à imposer à l’autre. » D’autres ont souligné « les limites inhérentes à la lourdeur des institutions ». Bien souvent a été exprimée la crainte qu’une volonté de dépasser les frontières dénominationelles ne se fasse au prix d’un effacement des différences culturelles.

Une participante, tout en « mesurant la richesse de tout ce qui a été échangé », et se disant que « l’uniformité ne nous guette pas », a voulu mettre l’accent sur la nécessité, « au-delà des doctrines, de valoriser les cultures des uns et des autres ». Et d’ajouter : « Le post-dénominationalisme suppose-t-il d’aller vers un abandon de tout nom ? Non ! Nous avons besoin de marquer des identités. Ce qui n’empêche pas d’œuvrer ensemble. Il faut toutefois être attentif à ce qu’il n’y ait pas de phénomène de domination. Nous sommes confrontés, au Défap, aux Églises et aux diverses dénominations. On sent bien qu’il y a des tensions, des vécus différents, des organisations différentes ; ce qui pose des limites, que l’on peut dépasser, mais sans en ignorer la difficulté. Jusqu’où aller dans le partage ? Il faut commencer par ouvrir la Bible ensemble, tout en admettant que c’est un risque. La culture du débat d’idées doit être entretenue : d’où l’importance de penser à des formations pour mieux vivre le débat. »

Revenant sur ces échanges, Jean-Luc Blanc a tenu à insister en premier lieu sur le fait que « le dépassement des dénominations issues de ces derniers siècles ne peut en aucun cas être un abandon de nos identités. Les identités doivent rester plurielles, il ne faut pas tendre vers Babel et la recherche de l’uniformité ». Rebondissant ensuite sur l’idée, évoquée par l’un des participants, de créer une Église francophone d’Europe, il a souligné l’existence d’expériences allant dans ce sens dans d’autres parties du monde, par exemple en Afrique de l’Ouest, avec l’idée de mettre en place une fédération transnationale. Avant de conclure : « Si certaines Églises ont réussi à dépasser positivement le dénominationalisme, c’est aussi parce que la société a porté un regard différent sur l’Église. Au Maroc, l’Église s’est vécue comme une unité, y compris avec les catholiques, parce que le pays voyait les chrétiens comme un ensemble. »

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