Au Congo-Brazzaville, la question des guérisons occupe une place importante au sein de l’Église évangélique du Congo : elle remonte au réveil de 1947, caractérisé par une forte expansion de cette Église. Figure éminente de ce mouvement, le pasteur Daniel Ndoundou en a longtemps assuré la cohérence ; mais depuis sa disparition, le besoin de règles instituées au sein de l’Église se fait de plus en plus sentir. C’est le thème sur lequel travaille actuellement le pasteur Arsène Nkounkou, enseignant de théologie pratique à l’université protestante de Brazzaville, et titulaire d’une bourse du Défap.
Arsène Nkounkou photographié dans le jardin du Défap © Défap
Dans l’histoire de l’Église évangélique du Congo (EEC), Daniel Ndoundou occupe une place éminente. Figure principale du « Réveil de 1947 » (ou « Nsikumusu »), qui avait débuté parmi les élèves pasteurs et instituteurs de la station missionnaire de Ngouedi au sud du Congo-Brazzaville, il a dirigé durant 38 ans un mouvement qui a non seulement profondément influencé l’histoire et les pratiques de l’Église, mais a aussi eu un impact encore visible aujourd’hui dans la société. Au moment de la naissance de ce mouvement, nettement influencé par le précédent du Réveil de 1921 au Congo belge, avec pour conducteur Simon Kimbangu, l’Église protestante du Congo connaissait une période de net refroidissement spirituel et de conflits sociaux, qui se traduisait par une désaffection des fidèles. Après le Réveil au contraire, les missionnaires suédois à l’origine de l’Église évangélique du Congo constatèrent qu’en quelques mois à peine, le nouveau mouvement, porté par des équipes enthousiastes de « Réveillés » qui allaient de village en village rassembler les populations et prêcher la bonne parole, réussit à gagner toutes les régions sud du pays et atteignit Brazzaville en 1948. C’est ainsi qu’au lieu d’aboutir à une scission d’avec l’Église « des blancs » et une répression des autorités coloniales comme ce fut le cas avec les ngunzistes du Congo Belge, le mouvement fut protégé par les missionnaires qui tentèrent de l’intégrer dans l’Église existante. D’où l’apparition, au côté des institutions de l’EEC inspirées par les missionnaires suédois, d’un pôle prophétique, fortement ancré dans la culture traditionnelle Kongo.
Au sein de ce mouvement de Réveil, les pratiques prophétiques et les guérisons occupèrent très tôt une place très importante. Tout au début du mouvement et jusqu’à la fin des années 1960, ces guérisons s’opéraient par la prière avec ou sans l’imposition des mains. Au début des années 1970, le pasteur Ndoundou décida de compléter ses prières d’intercession en ordonnant l’utilisation des plantes médicinales dans la guérison des malades. Cette méthode thérapeutique prit le nom de « médecine révélée » car les plantes utilisées pour les soins étaient, selon ses promoteurs, révélées par Dieu à travers les songes ou les rêves. À la mort du prophète, le mouvement se perpétua par l’activité de figures prophétiques locales. Leur activité thérapeutique et visionnaire continua à s’exercer au sein de « groupes spécialisés » abrités dans les paroisses, sous le contrôle des pasteurs, mais également dans des centres thérapeutiques privés, appelés bizinga, en dehors du contrôle de l’Église. D’où d’inévitables difficultés et tensions entre les autorités de l’Église et des pratiques inspirées de la culture traditionnelle, réintégrées dans la pratique religieuse à l’occasion du Réveil, mais qui tendent parfois de nouveau à reprendre leur autonomie.
Une absence de régulation
Le pasteur Daniel Ndoundou – archives © DR
C’est précisément à cette tension que s’intéresse Arsène Nkounkou dans son travail de thèse. Pasteur de l’Église évangélique du Congo, enseignant la théologie pratique à l’université protestante de Brazzaville, il travaille spécifiquement sur la médecine par les plantes dites « révélées » ; une pratique pour laquelle il espère pouvoir faire des propositions de régulation au sein de l’Église. Un travail de longue haleine, qu’il a commencé dès 2018, à ses propres frais, avec la nécessité d’interruptions régulières du fait de sa vie professionnelle. Il dispose pour cette année 2022 d’une bourse de trois mois du Défap, qui lui permet d’étudier à Montpellier et d’enrichir sa documentation à Paris.
« Aujourd’hui, souligne Arsène Nkounkou, la « médecine révélée » et son usage des plantes sont officiellement acceptées par l’Église évangélique du Congo : la question a été examiné au niveau synodal et la pratique a été reconnue comme venant de Dieu. L’Église a même fixé la tarification des tisanes. Mais le problème, c’est l’absence de régulation. Avant sa disparition en 1986, c’est le pasteur Daniel Ndoundou lui-même qui s’en chargeait : c’est à lui que revenait le soin de discerner les dons spirituels en matière de guérison et d’autoriser tout chrétien désireux de les utiliser au sein de l’Église à le faire. Mais après sa mort s’est posé un problème de succession. L’Église, pour éviter les tensions, a donné la responsabilité à chaque pasteur de discerner les charismes dans sa paroisse. Le problème étant que tous n’avaient peut-être pas les mêmes dispositions pour le faire que Daniel Ndoundou lui-même… D’où un temps de désordre, et beaucoup de centres thérapeutiques qui ont commencé à exercer en-dehors de l’Église. »
Problèmes de théologie et problèmes d’hygiène
Tout ceci posant des problèmes à la fois de relations avec l’EEC… et de pratiques, dont certaines vont ouvertement à l’encontre de la théologie de l’Église. « Il existe, reconnaît Arsène Nkounkou, des conflits entre certains centres et certains pasteurs de paroisse. Par ailleurs, lors de mon travail de Master, déjà consacré à ce thème, l’enquête de terrain que j’ai menée m’a permis de constater des décalages entre la position officielle de l’Église et les usages de certains centres thérapeutiques : le fait d’exorciser ou de chasser des démons avec des plantes, par exemple, alors même que l’Église n’autorise pas l’usage des plantes dites médico-religieuses ou médico magiques. » Autre problème : celui de l’hygiène, et notamment de la conservation des tisanes…
Ce qu’espère aujourd’hui Arsène Nkounkou, c’est poursuivre à travers sa thèse le travail entamé lors de son Master ; et après avoir observé les tensions et les dérapages, proposer des solutions pour mieux encadrer les pratiques existantes. « Aujourd’hui, insiste-t-il, alors même que la pratique est reconnue par l’Église, il n’y a ni cadre, ni documentation pour préciser comment faire : chaque paroisse, chaque centre agit à son gré. Il n’y a pas de pratique uniformisée, et il n’existe aucun document au niveau synodal pour réglementer ce qui existe. » Signe supplémentaire de cette difficulté de l’Église à édicter des règles : « au départ, la question était rattachée à l’Évangélisation ; après la mort de Daniel Ndoundou, elle s’est retrouvée rattachée au département de la Santé ; ensuite, elle a été confiée à un aumônier, avec comme effet direct de voir la « médecine révélée » rattachée à l’Aumônerie générale. Puis la question est revenue au département de la Santé. » En travaillant sur trois axes : observations, analyse des résultats et proposition d’un nouvel Agir, Arsène Nkounkou espère aider son Église à formaliser un enseignement et des lignes théologiques claires pour réguler les pratiques de la « médecine révélée ».