Méditation du jeudi 18 novembre. Nous revenons sur l’épisode d’une rencontre inattendue : celle de Philippe et de l’eunuque. Qu’est-ce que notre foi ? C’est une question que nous ne cessons jamais de nous poser. Parce qu’on ne possède pas notre foi, elle nous est donnée, chaque jour, comme ce qui nous anime et nous fait vivre de souffle et de liberté.

« Le baptême de l’eunuque », attribué à Brueghel le jeune © Wikimedia Commons

L’ange du Seigneur dit à Philippe : Va vers le sud, sur le chemin qui descend de Jérusalem à Gaza, dans le désert. Il se leva et partit. Or un Éthiopien, un eunuque, haut fonctionnaire de Candace, la reine des Éthiopiens, et responsable de tous ses trésors, était venu à Jérusalem pour adorer, et il s’en retournait, assis sur son char, en lisant à haute voix le Prophète Ésaïe. L’Esprit dit à Philippe : Avance et rejoins ce char. Philippe accourut et entendit l’Éthiopien qui lisait le Prophète Ésaïe. Il lui dit : Comprends-tu ce que tu lis ? Il répondit : Comment le pourrais-je, si personne ne me guide ? Et il invita Philippe à monter s’asseoir avec lui. Le passage de l’Écriture qu’il lisait était celui-ci :

Il a été mené comme un mouton à l’abattoir ;
et, comme un agneau muet devant celui qui le tond,
il n’ouvre pas la bouche.
Dans son abaissement, son droit a été enlevé ;
et sa génération, qui la racontera ?
Car sa vie est enlevée de la terre.

L’eunuque demanda à Philippe : Je te prie, de qui le prophète dit-il cela ? De lui-même ou de quelqu’un d’autre ? Alors Philippe prit la parole et, commençant par cette Écriture, il lui annonça la bonne nouvelle de Jésus. Comme ils continuaient leur chemin, ils arrivèrent à un point d’eau. L’eunuque dit : Voici de l’eau ; qu’est-ce qui m’empêche de recevoir le baptême ? […] Il ordonna d’arrêter le char ; tous deux descendirent dans l’eau, Philippe ainsi que l’eunuque, et il le baptisa. Quand ils furent remontés de l’eau, l’Esprit du Seigneur enleva Philippe. L’eunuque ne le vit plus : il poursuivait son chemin, tout joyeux. Quant à Philippe, il se retrouva à Azoth ; il annonçait la bonne nouvelle dans toutes les villes où il passait, jusqu’à son arrivée à Césarée.
(Actes 8,26-40)

Qu’est-ce que notre foi ? C’est une question que nous ne cessons jamais de nous poser. Parce qu’on ne possède pas notre foi, elle nous est donnée, chaque jour, comme ce qui nous anime et nous fait vivre de souffle et de liberté. C’est ce que la Réforme a affirmé, obstinément.

Je vous propose aujourd’hui de redécouvrir les grands principes de la foi protestante, cette foi qui nous est donnée et que nous ne possédons pas, à travers ce texte du livre des Actes, la rencontre de Philippe et de l’eunuque.

« L’ange du Seigneur dit à Philippe… va, va dans le désert. » L’appel qui nous est adressé, le souffle qui nous anime, nous pousse dans le désert. Pas vers ce que nous connaissons, mais justement là où nous n’avons aucun repère. Aucune certitude. Là où nous n’attendons que la solitude et peut-être le danger. Se lancer ainsi, c’est prendre un risque. Hors de nos chemins bien balisés, de nos habitudes. La foi n’est pas d’abord certitude, mais risque…

❝ Pour comprendre notre foi, nous n’avons que l’Écriture

Et pourtant, nous ne sommes pas seuls sur ce chemin. Lorsque l’eunuque approche, Philippe l’entend qui lit à haute voix. Assis sur son char, il est plongé dans un texte. Aujourd’hui encore, la foi naît de la confrontation à ces témoignages de foi qui nous ont été transmis : les auteurs bibliques ont raconté, chacun à leur façon, ce que signifie être en relation avec Dieu. La Bible est une collection de livres multiples, aux multiples styles. Ces livres viennent tous nous interpeler, nous questionner. Et comme le souligne ce texte des Actes, ils viennent d’autant plus nous interpeler que nous ne les comprenons pas. Non, cet homme ne comprend pas ce qu’il lit. Et c’est une bonne nouvelle ! parce qu’il lit vraiment. Parce qu’il se frotte aux Écritures sans prétendre les posséder. Parce qu’il cherche une clé, un moyen d’entrer dans ce qui lui est annoncé. S’il comprenait, s’il était sûr de comprendre, il resterait à la porte… Pour comprendre notre foi, nous n’avons que l’Écriture. C’est le premier des grands principes de la Réforme : ce que Luther a résumé par la formule « sola scriptura » , l’Écriture seule. Aucune institution, même la plus prestigieuse, aucun professeur de théologie, aucun prédicateur, ne peut prétendre détenir pour vous ce que signifie l’Écriture. C’est à vous, c’est à chacun de nous d’être cueillis dans nos habitudes, dans nos vies, par ce qui vient nous interpeller ainsi. Nous bousculer, aussi. Comment pourrais-je comprendre, dit l’eunuque ? Et cette question devient une invitation, une invitation à d’autres que nous-mêmes : nous accueillons comme un cadeau une présence qui vient nous aider à cheminer avec le texte. Et qui, surtout, ne prétend jamais en détenir la vérité ultime. L’auteur des Actes en témoigne avec une certaine malice. Vous l’avez sans doute remarqué, il ne donne pas la clé du texte d’Ésaïe. Il nous laisse, comme l’eunuque, nous poser la question. Car il se contente de dire « alors Philippe prit la parole et, commençant par cette Écriture, il lui annonça la Bonne nouvelle de Jésus. » La bonne nouvelle de Jésus… il nous reste, à tous, la liberté incroyable de comprendre pour nous-mêmes ce que cela signifie. La bonne nouvelle de Jésus : le cœur de notre foi. Et pourtant, un cœur qui ne se dit pas dans des dogmes, ni dans des phrases bien coupées, bien nettes. C’est une vérité qui n’appartient qu’à chacun d’entre nous. Qu’est-ce qui est la bonne nouvelle pour moi ? Qu’est-ce qui, dans votre vie, est une bonne nouvelle ? Qu’est-ce qui vient bousculer vos habitudes, qu’est-ce qui vient vous lancer sur un chemin désert pour vous envoyer vers un avenir ? Ce désir-là, c’est « la bonne nouvelle de Jésus ». Et c’est une autre des affirmations de la Réforme : le Christ seul, « solus Christus » . Notre foi, c’est ce qui vient nous interroger sur ce visage de Dieu révélé dans la personne de Jésus-Christ.

❝ Quel Dieu étrange se révèle ainsi !

Un Christ né comme le plus faible de toutes les créatures : un bébé humain, né dans un monde où il n’y avait pas de place pour lui. Un Christ mort comme le plus faible de tous les humains, abandonné par les siens, traversant les ténèbres de la mort, abaissé, comme un agneau muet devant ceux qui vont le tuer. Quel Dieu étrange se révèle ainsi ! Un Dieu faible et dépendant, mourant et abaissé. Non, ce n’est pas le Dieu dont nous rêvons. Et pourtant notre foi nous oblige à regarder en face cette réalité : nous croyons en un Dieu qui sort des cieux pour nous rejoindre dans notre humanité la plus faible, la plus souffrante. Nous sommes confrontés à une autre image de Dieu. Pas celle dont nous rêvons. Nous avons une tendance fâcheuse à imaginer un Dieu qui est tout ce que nous ne sommes pas : tout-puissant, qui sait tout, qui peut tout, qui exige tout. Et Jésus nous force à voir un autre Dieu : solidaire, jusqu’au bout, de notre humanité. Aujourd’hui encore, cette bonne nouvelle révolte le monde. Aujourd’hui encore, rappeler ce visage de Dieu fait de nous des prophètes, des résistants. C’est ça qui nous permet de dire que Dieu n’est pas un bourreau, qu’il n’exige pas, jamais, de sacrifice, qu’il n’est pas complice du mal. Mais qu’il nous aime, jusqu’au bout, comme il a aimé son fils, jusqu’au bout de son humanité, de notre humanité.

❝ Cette grâce, il nous est donné de pouvoir y répondre. Cette réponse, c’est la foi.

C’est Dieu seul qui a l’initiative de cet amour qu’il nous porte. Dieu, et pas nous. C’est lui qui vient nous chercher, nous inviter. C’est ce qu’on appelle la grâce. La grâce : ce qui nous est donné et qui nous fait vivre. Ce qui nous permet d’être libres de toute culpabilité : ce n’est pas par nos propres forces que nous sommes libérés, mais par grâce. Gratuitement. Pour rien. Pour nous. Pour nous donner une vie véritable. La grâce seule ! C’est le troisième fondement de la Réforme : « sola gratia », la grâce seule. Cette grâce, il nous est donné de pouvoir y répondre. Cette réponse, c’est la foi. C’est le mouvement qui nous pousse vers Dieu, dans la gratitude pour ce qu’il nous offre. Dans l’incroyable certitude, difficilement explicable par des mots, que la grâce que Dieu nous offre vient nous rejoindre là où nous sommes. C’est le mouvement qui pousse l’eunuque à dire, très simplement : « voici de l’eau, qu’est-ce qui empêche que je sois baptisé ? » Rien ! Rien n’empêche qu’il soit baptisé ! Rien n’empêche que sa foi soit ainsi rendue évidente, pour lui comme pour les autres ! La foi seule… « sola fide » : c’est la quatrième formulation des fondements de la foi selon les Réformateurs. La foi seule… pas nos propres efforts, ni notre argent, ni nos convictions, ni un catéchisme bien appris, ni rien qui puisse se laisser enfermer dans des mots. Rien n’empêche notre foi. Aucune question morale, aucun empêchement humain. Et très simplement, comme l’eunuque est simplement baptisé par Philippe, c’est chaque jour que notre baptême vient redonner un sens à notre vie. Il vient nous rappeler que notre foi est une réponse au don de Dieu, que c’est une liberté offerte. Car Dieu n’est visible que dans la foi…

❝ La seule réponse qu’il ait eue, mais qui nourrit toute sa vie désormais, c’est que Dieu est présent

Une dernière remarque sur ce texte : la joie de l’eunuque. Lorsqu’il a été baptisé, aussitôt l’Esprit du Seigneur vient emporter Philippe. On pourrait croire que l’eunuque, ainsi abandonné au milieu du désert, sans personne pour le guider dans sa foi nouvelle, en aurait de l’angoisse. Mais c’est tout le contraire ! Sa foi lui est donnée, vraiment : ce n’est pas temporaire. C’est quelque chose qui vient habiter en lui et lui donner cette joie profonde qui vient de la certitude de la présence de Dieu dans sa vie. Un Dieu qui l’a rejoint, là où il était. Confronté à ses questions, la seule réponse qu’il ait eue, mais qui nourrit toute sa vie désormais, c’est que Dieu est présent. C’est qu’il est libéré de toutes les fausses images de Dieu qui encombraient sa vie.

C’est ce que la Réforme a résumé ainsi : « soli Deo gloria » , à Dieu seul la gloire. Nous n’avons plus à nous courber devant aucune idole, quelle qu’elle soit. Ni image, ni statue, ni institution, ni personne, même pas nous-mêmes : nous ne reconnaissons la gloire qu’à Dieu. Car il est le seul qui nous libère de toutes ces idoles.

C’est une vérité pour hier comme pour aujourd’hui. Comment dire ça aujourd’hui ? Comment inventer de nouvelles façons de dire ce nouveau rapport à Dieu, au monde et à nous-mêmes ?

❝ Au fond, la Réforme nous rend tous théologiens

On peut inventer de nouvelles façons de le formuler. C’est tout l’effort de la théologie : aller jusqu’au bout de notre liberté de penser notre rapport à Dieu, au monde et à nous-mêmes. Mais ce serait une erreur de croire que seuls les théologiens ont droit à la parole sur ce sujet. Au fond, la Réforme nous rend tous théologiens. Sur les petites comme sur les grandes choses.

Cet effort nous oblige à réviser sans cesse les formes de l’institution dont nous avons hérité et que nous habitons, cette Église qui est un des visages de l’Église de Dieu : c’est le dernier des grands principes de la Réforme : « Semper reformanda » . Le rappeler, c’est dire que les formes et les structures auxquelles nous sommes habitués ne nous viennent pas directement de Dieu et ne sont pas sacrées : elles sont au service de notre mission, nous n’en sommes pas prisonniers.

Qu’il nous soit donné, aujourd’hui, demain et pour tous les demains à venir, d’entendre l’appel à retourner au désert, dans la joie d’une rencontre inattendue.

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