Méditation du jeudi 28 octobre. La guérison pour elle-même n’a pas de sens. Elle n’a de sens que parce qu’elle ouvre un avenir possible, nouveau, différent. Le service découle immédiatement du don que nous avons reçu. Mais que dirai-je de ce que j’ai reçu ? Comment dirai-je à mon frère humain ce que signifie avoir été relevé par le Christ ?

Guérison de la belle-mère de Pierre par John Bridges (en), XIXe siècle. © Wikimedia Commons

« Ils quittèrent la synagogue et allèrent aussitôt à la maison de Simon et André, en compagnie de Jacques et Jean. La belle-mère de Simon était au lit, avec de la fièvre ; aussitôt on parla d’elle à Jésus. Il s’approcha d’elle, lui prit la main et la fit lever. La fièvre la quitta et elle se mit à les servir.

Le soir venu, après le coucher du soleil, les gens amenèrent à Jésus tous les malades et ceux qui étaient possédés par des démons. La ville entière se pressait à la porte de la maison. Jésus guérit beaucoup de gens atteints de toutes sortes de maladies et il chassa aussi beaucoup de démons. Il ne laissait pas parler les démons, parce qu’eux savaient qui il était. »
(Marc 1,29-34)

Qui, parmi nous, peut dire qu’il n’a jamais espéré un miracle ? Nous pouvons tous connaître le désespoir. Il est arrivé un moment, pour chacun de nous, où nous n’avons plus cru possible de recevoir quelque chose. Et pourtant… pourtant nous avons reçu, encore, quelque chose. La Bible nous parle de ces guérisons qui font irruption alors qu’on n’attendait plus rien. C’est rassurant ! On aime les récits de guérison, on y revient, comme un réconfort, comme à quelque chose qui nous dit qu’il y a toujours de l’espoir…

« Aussitôt, ils lui parlent d’elle »

La belle-mère de Simon a été relevée de sa fièvre. Elle a été guérie, relevée par le Christ. On pourrait simplement s’en réjouir avec l’évangéliste Marc et, rassurés, passer à autre chose. Mais je vous invite à relire le texte attentivement avec moi, et plus particulièrement ces trois premiers versets :

« En sortant de la synagogue, ils se rendirent, avec Jacques et Jean, chez Simon et André. La belle-mère de Simon était alitée, elle avait de la fièvre ; aussitôt ils lui parlent d’elle. Il s’approcha et la fit lever en lui saisissant la main ; la fièvre la quitta, et elle se mit à les servir. »

C’est le début du ministère de Jésus. Jacques, Jean, Simon et André sont les quatre premiers disciples, quatre pêcheurs de poissons. Ces quatre hommes écoutent Jésus, ébahis, et le suivent. Ils ont déjà assisté à un premier miracle, une première guérison.

Et que font ces quatre disciples tout nouvellement recrutés ? Ils l’emmènent chez eux, pratiquant l’hospitalité sans hésitation avec ce Maître qui les surprend, qui bouleverse leurs représentations, leurs attentes et leurs croyances. Eux qui avaient tout quitté pour le suivre, c’est… chez eux qu’ils l’emmènent. Et « aussitôt, ils lui parlent d’elle ». Ces hommes qui suivent Jésus et qui accueillent cet homme extraordinaire dans leur maison, leur première pensée est de faire appel à lui pour guérir cette femme qui souffre. Pour que Jésus s’approche de cette femme et la guérisse, il a fallu que d’autres s’en mêlent.

« Aussitôt, ils lui parlent d’elle ». C’est par ces quelques mots que l’avenir s’est ouvert, pour tous ceux qui étaient présents dans la maison ce jour-là. Parler de celui qui souffre. C’est le premier acte des disciples, les premières paroles qu’ils prononcent dans l’évangile de Marc, le premier service rendu. Et c’est bien là le premier service que nous aussi, nous sommes appelés à rendre. Ne pas oublier celui qui souffre en silence, le sans-voix à nos côtés, celui, ou celle, qui est bien incapable de se relever seule. Le premier service, ce n’est pas d’abord de le relever nous-mêmes ! C’est en appeler à un autre, ce Christ que nous ne comprenons pas, qui fait irruption, que nous ne pouvons que suivre. Le premier service, c’est de savoir qu’on ne peut rien par nous-mêmes, mais en agissant par lui. Qui a le pouvoir de relever, sinon lui ?

Être relevé – un don

Le premier service que nous puissions rendre, c’est de nous en remettre à un autre que nous-mêmes. Ce que nous avons reçu, c’est le don gratuit, illimité, pour rien, de la vie en Christ. Lorsqu’il est venu nous rejoindre dans notre humanité, c’est chacun de nous qu’il a pris par la main, qu’il n’a pas hésité à toucher, avec douceur, avec un amour infini pour nos faiblesses, nos maladies, nos hésitations, nos échecs, nos refus. Il a tendu la main, il a pris notre main dans la sienne, alors que nous ne le connaissions même pas. Et sans que nous fassions le moindre effort, sans que nous fassions nous-même le moindre geste, c’est lui qui nous a relevés. Nous avons été relevés : en grec, c’est le même mot pour dire la résurrection. La rencontre avec lui ne dépend pas de nous, elle n’exige de nous aucun effort, elle nous rejoint là où nous sommes. Et elle nous ressuscite. Elle nous redonne goût à la vie.

C’est un cadeau. C’est donné. Et c’est d’une extrême exigence.

Servir ?

Finalement, que signifie « servir » ? C’est rendre l’autre capable de servir à son tour… Mais pas un service servile et décérébré, pas un esclavage. Servir… à quelque chose, à quelqu’un, au sens profond et joyeux du service. La belle-mère de Simon peut enfin se lever, et se mettre à servir. C’est une vie nouvelle qui s’ouvre. On abandonne tout pour aller se risquer dans le monde. Les chrétiens ne sont pas appelés à annoncer l’Évangile pour un salaire. Ce qui les fait vivre, d’une vraie vie imprenable, c’est d’avoir déjà reçu la vie. Nous n’avons pas signé de contrat avec Dieu, nous ne sommes pas ses salariés : nous avons été appelés à servir. Cette charge nous est confiée. Aussitôt relevés, nous voici chargés d’une mission : servir. À quelque chose, à quelqu’un.

Que dirai-je à mon frère humain ?

Le service découle immédiatement du don que nous avons reçu. Mais que dirai-je de ce que j’ai reçu ? Comment dirai-je à mon frère humain ce que signifie avoir été relevé par le Christ ?

Souvenons-nous du temps où nous étions encore à terre, où nous n’étions pas encore relevés. Le poids d’être en vie, simplement d’être en vie, est parfois si lourd qu’on croit être rassasiés de malheur. On voit passer les jours et on ne peut croire que l’avenir apportera autre chose que la douleur, l’épuisement, la peine. Et puis un jour, en un instant ou sur un long temps, une rencontre change tout. C’est au creux de ta solitude et de ton impuissance que le Seigneur vient t’appeler et te relever. Regarde ! Il est à tes côtés, il prend ta main, et sans que tu saches comment, ta crainte, ta peine et ton impuissance sont tombées comme un vieux manteau. Tu es debout, face à lui.

Une fois relevés, avons-nous le choix ? Un avenir nous est donné. Nous ne l’imaginions même pas, nous croyions peut-être même que la mort valait mieux que nos souffrances, et tout à coup une brèche s’ouvre dans le quotidien, un rayon de soleil perce au travers des nuages, et l’espérance est là. Cet avenir qui nous est donné, il est inattendu, inouï, à la fois exaltant et effrayant… Mais c’est cet avenir qui nous est donné qui donne sens à notre guérison. La guérison pour elle-même n’a pas de sens. Elle n’a de sens que parce qu’elle ouvre un avenir possible, nouveau, différent.

Servir, maintenant

C’est cela que nous avons à dire à nos frères humains. Et ça ne se dissocie pas du service auquel nous sommes appelés.

Le service, c’est la pratique de l’amour du prochain. C’est difficile ? Oui – et non. Oui, c’est difficile, si nous comptons sur nos propres forces, si nous croyons ne jamais en faire assez, si nous croyons qu’il faut en faire encore plus, tout le temps. Mais non, si nous avons la certitude que nous servons déjà, quoi qu’il arrive, et que c’est le Christ qui agit à travers nous. Déjà, maintenant, nous sommes au service… dans nos vies telles qu’elles sont. Dans ce temple. Dans notre œuvre diaconale. Dans nos vies. Dans des détails ou de grands projets.

Le service, la diaconie, c’est le même mot en grec. Les services de diaconie de nos Églises sont une façon de servir, de façon communautaire.

Nous avons tous de bonnes raisons de nous engager dans la lutte pour un monde meilleur. Il y a au moins une bonne raison : nous savons que tout le monde, chaque être humain sans exception, est sous le regard bienveillant de Dieu, que personne n’est indigne du regard de Dieu. Nous pouvons nous engager sans crainte par amour pour les autres, en sachant que c’est vers chaque être humain, quel qu’il soit, que nous sommes envoyés. Mais la seule vraie raison à nos engagements, au fond, c’est l’appel que nous avons reçu et le don qui nous a été fait.

Ce don nous ouvre aux autres. Et finalement, c’est peut-être ça, le véritable miracle…

Amen

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