En dépit des dégâts liés au dernier séisme, et aggravés par la saison des cyclones, le pire problème auquel Haïti est confronté aujourd’hui reste l’insécurité. Les gangs qui contrôlent des quartiers entiers de Port-au-Prince bloquent l’aide internationale, rançonnent la population en multipliant les rapts et menacent même l’approvisionnement en pétrole du pays. Suite à la mort d’un diacre, abattu en plein culte dans le quartier du Palais National, censé être le plus protégé du pays, la Fédération protestante d’Haïti organise une journée de grève le vendredi 1er octobre. Le dimanche 3 octobre, les protestants haïtiens sont invités à s’habiller en noir et blanc en signe de deuil.
Culte à la Première Église Baptiste de Port-au-Prince © DR
Il s’appelait Sylner Lafaille ; il avait 60 ans, il était diacre ; il est mort le dimanche 26 septembre 2021, vers les sept heures du matin, sur le seuil de la Première Église Baptiste de Port-au-Prince où devait commencer la célébration du premier office. Sa femme et lui venaient d’être assaillis par un groupe lourdement armé. L’objectif des agresseurs : enlever Marie Marthe Laurent Lafaille, 59 ans, l’épouse du diacre, pour réclamer une rançon. C’est parce qu’il tentait de les empêcher d’entraîner sa femme que Sylner Lafaille a été abattu. Les coups de feu ont provoqué une panique chez les fidèles présents, dont plusieurs ont été blessés dans le mouvement de foule qui a suivi.
Cette nouvelle attaque en plein lieu de culte a suscité une émotion profonde au sein du protestantisme haïtien, et plus largement au sein de toute la population. Non que les rapts contre rançon soient rares : ils sont au contraire devenus une vraie source de financement pour les gangs armés qui contrôlent des quartiers entiers de la capitale. Ainsi, au cours du seul week-end où est mort le diacre Sylner Lafaille, plus d’une douzaine de personnes ont été enlevées dans Port-au-Prince et sa banlieue. Trois jours plus tôt, c’est une journaliste de la Télévision Nationale d’Haïti qui avait disparu dans des circonstances similaires. Mais la mort de Sylner Lafaille à la porte de la Première Église Baptiste de Port-au-Prince (un patrimoine national), située à la rue de la Réunion (c’est-à-dire tout près du Palais National, censé être le lieu le plus protégé du pays), montre aux yeux de beaucoup d’Haïtiens que la sécurité n’est plus garantie où que ce soit, ni pour qui que ce soit. Ce qu’a souligné dans un communiqué l’Office de la Protection du Citoyen (OPC), une institution indépendante chargée de veiller au respect des Droits Humains : « Après le drame survenu à l’église Baptiste de la Réunion, considéré comme lieu saint et espace inviolable, aucun endroit n’est protégé. Les églises, les écoles, les universités, les stations de radio et de télé, les bureaux publics et privés, les magasins sont exposés à la furie des bandits armés opérant en toute impunité ». Il s’agissait en outre de la seconde attaque d’un lieu de culte, après l’enlèvement, filmé en direct, le 1er avril dernier, de six personnes à l’Église Adventiste Galaad de Diquini, dans la commune de Carrefour.
Les protestants haïtiens invités à s’habiller en noir et blanc en signe de deuil
La Première Église Baptiste de Port-au-Prince © DR
Pour dénoncer le meurtre du diacre Lafaille et cette insécurité que rien ne semble devoir diminuer, et qui n’a en rien décru depuis la mort du président Jovenel Moïse, la Fédération protestante d’Haïti a annoncé l’organisation d’une journée de grève ce vendredi 1er octobre. Lors de ce mouvement prévu dans les 10 départements du pays, les activités seront paralysées dans toutes les institutions protestantes, notamment les écoles et universités – seuls les hôpitaux et centres de santé poursuivant leurs activités, a indiqué le pasteur Calixte Fleuridor, président de la fédération. Ce dernier en a profité pour demander aux ravisseurs de libérer l’épouse du défunt afin qu’elle puisse préparer les funérailles de son mari : ce sont des gens humbles qui n’ont pas les moyens de payer la rançon exigée par les ravisseurs, a-t-il fait savoir. Et le dimanche 3 octobre, les protestants haïtiens sont appelés à s’habiller en noir et blanc en signe de deuil, les autres confessions religieuses et tous les secteurs de la vie économique et sociale étant invités à se joindre au mouvement.
Avant cet appel à la grève, la Conférence des pasteurs haïtiens avait déjà demandé au gouvernement et aux autorités de mettre fin à ces actes qui sèment la terreur au sein de la population haïtienne. Et au-delà du milieu des Églises, plusieurs syndicats des transports et de la sous-traitance ont également appelé à la grève générale le lundi 4 octobre pour dénoncer les kidnappings et la violence des groupes armés. Les gangs qui gangrènent la capitale font en effet peser une menace sur les terminaux pétroliers, dont celui de Varreux, qui représente à lui seul 70% des capacités de stockage du pays. Une situation qui provoque une pénurie à Port-au-Prince, avec comme conséquence une flambée des prix du carburant (dont le prix réel a presque quadruplé dans certaines stations-services, en dépit des tarifs officiellement affichés), et qui a poussé il y a quelques semaines l’Association des professionnels du pétrole à lancer un véritable SOS aux autorités. Ces mêmes gangs continuent par ailleurs à gêner considérablement l’arrivée de l’aide dans les secteurs sinistrés suite au tremblement de terre du 14 août.
Le Défap et la Plateforme HaïtiDes liens privilégiés existent de longue date entre la Fédération protestante de France (FPF) et la Fédération protestante d’Haïti (FPH). Le passage de quatre tempêtes dévastatrices sur le territoire haïtien en 2008 (Fay, Gustav, Hanna et Ike) s’était traduit par la création de la Plateforme Haïti, regroupant divers acteurs du monde protestant sous l’égide de la FPF. En 2010, au moment du tremblement de terre qui devait faire plus de 230.000 morts, les réseaux protestants étaient donc bien en place, et la solidarité avait trouvé rapidement des canaux pour s’exprimer. Le président actuel de la Plateforme Haïti est le pasteur Rodrigue Valentin, de l’Église du Nazaréen, et sa coordination administrative est assurée par le Défap. La Plateforme rassemble les acteurs suivants : |