Alors que Défap et Cevaa célèbrent leur cinquantenaire, le numéro 81 de Perspectives Missionnaires, unique revue de missiologie protestante dans le monde francophone, dresse un panorama des évolutions qu’ont connues les organismes missionnaires au cours des dernières décennies, et des problématiques auxquelles ils sont confrontés aujourd’hui. En voici la présentation, à travers cet article de Marc Frédéric Muller et Jean-François Zorn.

Photo de couverture du n°81 de Perspectives Missionnaires © PM

En ces temps de jubilé cinquantenaire de deux organismes missionnaires, la Cevaa – Communauté d’Églises en mission et le Défap – Service protestant de mission, Perspectives missionnaires propose un dossier permettant de s’interroger sur les mutations intervenues au sein des organismes missionnaires, internationaux et nationaux.

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Les anciennes sociétés de mission, fondées pour les premières d’entre elles un demi-siècle avant la constitution des empires coloniaux, avaient eu pour principale tâche de propager l’Évangile au sein de populations étrangères au christianisme. L’accès à l’autonomie des Églises nées de la mission, à l’heure de la conquête des indépendances politiques des pays, a nécessité la création d’un nouveau cadre de relations internationales, propice à des relations de partenariat, et cherchant à s’affranchir de tout paternalisme.

De nouvelles institutions ont été créées en Europe à partir des années 1960-70. D’une dynamique d’implantation d’Églises, on est passé à des relations inter-ecclésiales pour porter une mission évangélique de «partout vers partout». Le dépassement de relations asymétriques a cependant été rendu difficile du fait du maintien d’importantes inégalités économiques entre, d’une part, de «jeunes» Églises démunies financièrement mais portées par une forte croissance et, d’autre part, de «vieilles» Églises bien établies mais sans cesse plus fragilisées par la sécularisation.

Jusqu’à la fin des années 1980, la priorité est donnée à l’appel à la solidarité, notamment financière, articulé à une critique d’un ordre mondial considéré comme injuste : les actions, projets ou échanges, sont au service d’objectifs de développement, avec le souci d’une approche holistique qui prenne en compte toutes les dimensions nécessaires à l’épanouissement de la vie.

Après la chute du mur de Berlin en 1989, et avec l’essor des mouvements migratoires, les préoccupations socio-économiques, qui donnaient une forte dimension diaconale à l’action missionnaire, se déplacent vers des problématiques plus culturelles et interculturelles. La naissance d’Églises issues de l’immigration amène aussi de profondes remises en question quant à la manière de vivre et d’incarner l’universalité de l’Église dans la diversité culturelle, tant à l’échelle internationale que sur un même territoire. Le défi demeure aujourd’hui, celui d’une mission véritablement incarnée et œcuménique, sans plus établir de distinction entre Nord et Sud, de discrimination entre un centre et une périphérie, de division entre confessions chrétiennes.

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En ouverture de ce dossier, un article de Risto Jukko offre un survol des évolutions intervenues au sein du mouvement missionnaire né dans la suite de la Conférence universelle des missions d’Edimbourg en 1910. Ce mouvement s’est traduit institutionnellement par la création, en 1921, du Comité international des missions, suivie, en 1963, de celle de la Commission mission et évangélisation du Conseil œcuménique des Églises basé à Genève.

En seconde position, l’article de Françoise Thonet donne une présentation du mouvement de Lausanne, né en 1974. Celui-ci, inscrit dans la mouvance évangélique, a pris une forme institutionnelle dans le Comité de liaison pour l’évangélisation mondiale plus connu sous le nom de Comité de Lausanne. Prenant son origine dans le même mouvement missionnaire mondial que le mouvement œcuménique, il résulte d’une rupture intervenue avec celui-ci dans les années 1960 en raison de différends théologiques évoqués dans les articles. A partir des années 1980, un dialogue s’est néanmoins renoué entre Genève et Lausanne.

S’intéressant à des organismes nationaux, trois articles, respectivement de Julian Woodford, Benedict Schubert et Marc Frédéric Muller, portent sur des organismes protestants ayant entre eux des liens historiques : deux organismes suisses, DM (Suisse romande) et Mission 21 (ex-Mission de Bâle en Suisse alémanique), un organisme français, le Défap, qui a succédé en 1971 à la Société des missions évangéliques de Paris (Mission de Paris) née en 1822.

En effet, la Mission de Bâle est à l’origine de la Mission de Paris alors que DM, né en 1963, est en partie issu de la Mission de Paris. DM a rejoint la Cevaa, Communauté internationale d’Églises en mission, en 1971 comme organisme représentant des Églises de Suisse romande tandis que le Défap devenait le service missionnaire dont les Églises de France se dotaient, en particulier pour vivre de nouvelles relations avec les Églises de la Cevaa.

Ce panorama est complété par la présentation d’un organisme évangélique, la Mission baptiste européenne, par David Boydel, et d’un organisme catholique, le Service national missions et migrations, par Xavier de Palmaert.

Au-delà des différences de traditions théologiques et ecclésiologiques ces croisements font apparaître des problématiques communes. Se révèle de quelle façon plusieurs institutions missionnaires, avec leur héritage et leur sensibilité spécifique, ont essayé d’accompagner les transformations qui ont affecté la marche du monde et le devenir des Églises. Mais également comment ces évolutions les obligent à toujours repenser leurs propres mutations.

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Le dossier s’achève par la présentation d’une nouvelle discipline théologique, la missiologie, par deux acteurs de sa promotion dans l’espace francophone, Jean-François Zorn et Gilles Vidal. Celle-ci trouve ses bases épistémologiques et institutionnelles après que les anciennes sociétés missionnaires ont disparu ou se sont réorganisées. L’exemple protestant français montre que le patrimoine pédagogique (à travers la formation des missionnaires) et documentaire (à travers les archives et la littérature missionnaire) peine à trouver sa place dans le monde des facultés de théologie, longtemps tournées vers la formation des seuls ministres destinés à
l’Europe et aux Églises établies. Cependant, la nécessité d’inventer d’autres ministères dans une Europe sécularisée, de réfléchir à l’avenir du christianisme au milieu d’autres religions et idéologies et dans des espaces multiculturels, constitue une opportunité pour la missiologie de se constituer en discipline apte à préciser les nouvelles conditions de la diffusion et de la contextualisation du christianisme au XXIe siècle.

Mais l’expérience montre qu’en matière de missiologie, comme dans bien des domaines de l’innovation, la pratique précède souvent la théorie, celle-ci survenant quand la pratique est en crise.

Autre problématique mise en évidence par cet article, celle relative aux programmes de formation et d’action pilotés par divers organismes (dont les facultés de théologie), appelés eux-mêmes à muter quant à leur pratique pédagogique et à l’invention de nouveaux paradigmes de la mission.

 

Le sommaire de ce n°81

« Perspectives Missionnaires », revue de missiologie de référence
Il ne suffit pas de vouloir témoigner ; encore faut-il savoir comment s’y prendre. C’est l’un des grands défis de la Mission aujourd’hui, dans un monde changeant, travaillé par une mondialisation qui érige souvent plus de murs qu’elle n’abat de frontières. Voilà pourquoi la Mission a besoin de lieux de débats et d’espaces de réflexion. C’est le rôle que joue depuis plus de trente-cinq ans Perspectives missionnaires, unique revue protestante de missiologie de langue française.
Née en 1981 dans la mouvance évangélique, à une époque de remise en question des modèles missionnaires, elle s’est élargie aux différents acteurs francophones de la mission dans le monde protestant et avec une ouverture oecuménique. Elle est actuellement gérée par une association indépendante et s’appuie sur plusieurs organismes de mission de Suisse et de France (DM-échange et mission, et le Défap, avec lesquels elle entretient des partenariats étroits), et depuis fin 2017 la Cevaa.
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