De retour du Liban, après plusieurs séjours au sein de la communauté protestante francophone de Beyrouth et 12 mois de présence dans le pays du Cèdre, le pasteur Gérard Riess témoigne de la vitalité d’une communauté qui vit et s’engage, malgré les difficultés et l’absence de lieu de culte.

Vue d’un culte de l’EPFB © Gérard Riess

 

Une crise interminable. Au Liban, les trois chocs successifs qui ont été constitués par la crise du secteur bancaire, la crise sanitaire liées au Covid-19, et enfin l’explosion survenue dans le port de Beyrouth, ont plongé l’activité du pays dans une quasi-paralysie durable, et la population dans une pauvreté et une détresse grandissantes. Une situation insupportable pour tous, et qui frappe en particulier les plus fragiles, que la Banque mondiale a récemment détaillée en chiffres : plus de 75% de la population vit aujourd’hui en-dessous du seuil de pauvreté, soit avec moins de 6 dollars par jour. Le taux d’inflation aurait même atteint 155% au cours de l’année 2020, les prix de certains produits essentiels mais non subventionnés ayant même atteint une hausse de 400%, alors que la livre libanaise a perdu plus de 90% de sa valeur depuis octobre 2019.

Parallèlement, des milliers de travailleurs immigrés, frappés de plein fouet par la profonde crise économique, se retrouvent au chômage et incapables de subvenir à leurs besoins, s’est alarmée pour sa part l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Il s’agit principalement de travailleurs étrangers en provenance des Philippines, de l’Éthiopie, du Bangladesh ou encore de certains pays africains ; parmi ces «invisibles» de la société libanaise figurent par exemple de nombreuses femmes de ménage. Une fragilité accrue, dans un contexte de crise généralisée, qui les expose à tous les abus, ainsi que, parfois, au refus pur et simple de leurs employeurs lorsqu’il s’agit de les payer. Près de la moitié souhaiteraient retourner dans leur pays mais ne pourraient payer le prix d’un billet retour. D’autres aussi ne pourraient pas repartir du Liban en raison du système de la «Kafala» qui les prive de leur passeport au profit de leurs employeurs ou des agences d’intérim qui les emploient.

Le Liban, «un bel oiseau à qui on a coupé les ailes»

Le Liban reste un pays meurtri, à l’image de sa capitale, Beyrouth, où les ruines des explosions du 4 août sont encore partout présentes. La silhouette éventrée du silo à grains du port, émergeant de ce qui ressemble à un champ de bataille, en reste le symbole repris par des photos publiées dans toute la presse internationale. «Le Liban est réellement un pays cassé», témoigne ainsi le pasteur Gérard Riess dans une de ses dernières lettres. «Il ressemble à un bel oiseau à qui non seulement on a coupé les ailes l’empêchant de voler, mais jour après jour on lui enlève les plumes qui restent, au point d’en faire un mort-vivant. Les Libanais sont tous résignés et à bout de nerf face à une situation socio-économique chaotique et désespérante. Paradoxalement chaque fois que la communauté se rassemble, un souffle frais d’amitié, de joie, de prière, de chants, de danses vient mobiliser des énergies insoupçonnées, qui font des merveilles.»

Vue d’un culte de l’EPFB © Gérard Riess

Le pasteur Gérard Riess vient d’effectuer, avec son épouse Barbara, plusieurs séjours au sein de l’EPFB, l’Église protestante française de Beyrouth, où il a assuré le rôle de pasteur intérimaire bénévole. Il y avait pris la suite du pasteur Pierre Lacoste, envoyé par le Défap en vertu d’un accord entre cinq partenaires unis pour encourager et soutenir le témoignage protestant français au Levant : la Ceefe (Commission des Églises protestantes d’expression française à l’extérieur), la FPF, l’ACO (Action chrétienne en Orient), le Défap, en lien avec l’APFB (Association Protestante Française de Beyrouth). Ce qu’il a vécu au sein de cette Église apparaît d’autant plus remarquable que la petite communauté francophone de l’EPFB compte beaucoup de ces «pauvres parmi les pauvres» que sont ces employées de maison venues travailler au Liban dans l’espoir d’une vie meilleure, et qui se retrouvent soumises à un quasi-esclavage. Si la plupart d’entre elles viennent d’Éthiopie, des Philippines ou du Bangladesh, certaines de ces jeunes femmes, venues notamment de Madagascar, sont francophones et protestantes : elles sont 5000 environ parmi les 250.000 travailleuses domestiques présentes au Liban. Ce sont certaines de ces jeunes femmes que l’on retrouve désormais aux cultes de l’EPFB, aux côtés de la communauté francophone protestante de Beyrouth ou de paroissiens d’autres origines – et l’Église se mobilise régulièrement pour elles. Avec des moyens des plus limités : car aujourd’hui encore, l’EPFB reste privée de temple. Un projet immobilier qui aurait dû voir le jour il y a déjà plusieurs années, et bloqué par d’interminables démarches administratives, a contraint l’Église de Beyrouth à chercher refuge au sein des murs du Collège Protestant. Elle s’est même retrouvée privée de lieu de réunion régulier, pour cause de durcissement des mesures sanitaires dues au Covid-19, allant jusqu’à devoir se réunir dans l’enceinte d’un cimetière. Mais elle poursuit ses activités et son témoignage.

«Des sans-droits qui retrouvent leur dignité humaine en Dieu»

De retour en France en ce mois de mai, le pasteur Riess témoigne, avec son épouse Barbara, de ce qu’il a vu et vécu au sein de l’Église protestante française de Beyrouth : «C’est avec beaucoup de reconnaissance que nous relisons un parcours, marqué par de multiples rencontres, découvertes, faites de contrastes et paradoxes s’inscrivant dans le paysage singulier du Proche Orient si surprenant, si insaisissable… Pour n’en citer que quelques-uns, voici ce qui nous revient en mémoire : immersion dans une région dangereuse, offerte comme une chance pour une expérience humaine et spirituelle d’une densité exceptionnelle… Découverte d’un pays qui vit actuellement une descente aux enfers mais où résonne la louange à Dieu… Accompagnement d’une Église SDF qui survit grâce à l’hospitalité de ceux qui l’accueillent avec bienveillance… Proximité avec des sans-droits qui retrouvent leur dignité humaine en Dieu… Vécu communautaire avec des personnes de nationalités et de langues différentes rassemblées dans un élan de foi vivifiant (12 pays différents représentés lors d’une journée de rencontre). Ou encore : lorsque des personnes démunies, vivant au jour le jour, aident les défavorisés à rester debout ; lorsqu’une communauté de foi s’installe dans un cimetière pour renaître à l’espérance ; lorsque la prière à Jésus se mélange à la psalmodie musulmane ; lorsqu’un temps de confinement ouvre à la possibilité d’être accueilli à «la table de Jésus» ; lorsqu’une expérience de foi sur une «Terre du Christ» est synonyme d’immersion parmi les chrétiens d’Orient…»

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