Alors que le président Jovenel Moïse devait rendre le pouvoir le 7 février, selon le conseil supérieur du pouvoir judiciaire haïtien, il est toujours en place et gouverne par décrets. La violence grandit dans le pays et les rapts organisés par des gangs sont de plus en plus nombreux : en témoigne l’enlèvement récent de dix personnes, dont sept religieux. Dans un contexte de pauvreté et de pénuries croissantes, manifestations et grèves appellent à la fois à la libération des otages et au départ du président. Le Défap, en lien avec ses partenaires de la Plateforme Haïti, suit de près l’évolution de la situation.

S’il est une activité qui prospère en ce moment en Haïti, c’est celle du kidnapping. Activité fort lucrative, aux mains d’une centaine de gangs régnant chacun en maîtres sur leur territoire, qu’ils défendent en se livrant à de véritables batailles rangées. Jusque dans la capitale, Port-au-Prince, ils contrôlent des quartiers entiers. Voilà des mois que le nombre de ces enlèvements crapuleux va croissant. Si des échos en sont parvenus dernièrement jusqu’en France, où les autorités se sont mobilisées, c’est parce que parmi leurs victimes les plus récentes figurent des ressortissants français ; l’enlèvement, à peu près deux semaines plus tôt, de trois membres de l’Église pentecôtiste dont un pasteur, n’avait pas eu un tel retentissement. Reste qu’en Haïti même, ce dernier rapt de dix personnes, parmi lesquelles sept religieux catholiques (cinq Haïtiens ainsi qu’une nonne de la Mayenne et un prêtre de l’Ille-et-Vilaine qui vit en Haïti depuis plus de trente ans) a représenté une telle onde de choc qu’elle a entraîné un remaniement gouvernemental. Les représentants des Églises eux-mêmes ne se sentent plus à l’abri de ces rapts. Mgr Max Leroy Mésidor, archevêque de Port-au-Prince, constatant que «la violence des bandes armées prend une proportion sans précédent», a fustigé : «Les autorités publiques qui ne font rien pour résoudre cette crise ne sont pas à l’abri de tout soupçon. Nous dénonçons les complaisances et les complicités d’où qu’elles viennent». La Conférence haïtienne des religieux a exprimé son «profond chagrin, mais aussi sa colère».

L’enlèvement a eu lieu le dimanche 11 avril. Les dix personnes se rendaient alors à la cérémonie d’installation d’un jeune curé dans sa nouvelle paroisse, à Galette-Chambon. L’attaque a eu lieu à la Croix-des-Bouquets, un secteur contrôlé par un gang connu sous le nom de la «400 Mawazo». Le soir-même, Loudger Mazile, porte-parole de la conférence épiscopale d’Haïti, annonçait que les ravisseurs réclamaient 1 million de dollars de rançon. Depuis, la famille d’une des otages, une septuagénaire haïtienne, a réussi à réunir 50.000 dollars pour obtenir sa liberté ; mais les autres restent captifs. Quatre des ecclésiastiques sont membres de la société des prêtres de Saint-Jacques, en mission en Haïti. Parmi les sept religieux toujours séquestrés, deux prêtres sont de santé fragile : l’un a besoin de soins après une blessure par balle à l’abdomen, l’autre, diabétique, est sous insuline.

Des Églises mobilisées contre les dérives dictatoriales

Face au choc suscité par ce dernier enlèvement, le président Jovenel Moïse s’est dit «conscient que l’État doit faire plus d’efforts». Le mercredi 14 avril, le premier ministre, Joseph Jouthe, a remis sa démission, aussitôt remplacé par Claude Joseph, l’ancien ministre des affaires étrangères. L’Église catholique, pourtant d’ordinaire très réservée, a lancé un appel à la grève générale pour réclamer la libération des otages ; un appel qui a été très suivi à travers le pays, pendant que les messes prenaient des allures de meetings politiques réclamant le respect de la Constitution – en clair : le départ du président.

L’événement en dit long sur la contestation visant le chef de l’État, accusé de dérives dictatoriales et d’encourager le chaos : impossibilité de tout dialogue entre Jovenel Moïse et l’opposition politique, paralysie d’institutions comme le Parlement et le Sénat qui ont été réduites au silence, pendant que le président, dont le mandat aurait dû s’achever le 7 février, continue à gouverner par décrets… Côté protestant, une Commission protestante contre la dictature en Haïti (CPCDH) réunit depuis la mi-février la Conférence et la Fédération des pasteurs haïtiens ainsi que le Conseil national spirituel des Églises d’Haïti. La dernière tentative en date de susciter un dialogue réunissant les partis politiques de l’opposition, la société civile, le pouvoir et les partis politiques proches du pouvoir, lancée par la plateforme interreligieuse Religions pour la paix, s’est soldée par un échec.

Au quotidien, la population haïtienne doit endurer cette insécurité endémique, les multiples pénuries aggravées encore par les effets de la pandémie de Covid-19, les coupures d’eau ou d’électricité, le mauvais état des infrastructures, la mauvaise qualité des services publics et la corruption, une pauvreté grandissante, une inflation galopante… Un symbole parmi d’autres : le gouverneur de la Banque de la République d’Haïti a annoncé la mise en circulation prochaine de nouveaux billets de 2500 et 5000 gourdes, la monnaie haïtienne. Mais au taux de change actuel, le billet de 2500 gourdes ne vaudrait guère plus en dollars que ce que valaient les billets de 1000 gourdes imprimés en 2005 ; et guère plus que les billets de 100 gourdes en 1991… Près de deux tiers des 11 millions d’habitants du pays vivent avec moins de 2,41 dollars par jour. Mais bien qu’épuisés, les Haïtiens trouvent encore la force de manifester.

Comment aider ?

Depuis longtemps, ce sont les Églises qui tentent de pallier les carences de l’État en matière d’action sociale, d’éducation, de protection de l’environnement : autant d’actions cruciales pour Haïti où la profonde crise que traverse le pays frappe d’autant plus durement les plus fragiles. Et si Haïti est considérée comme «zone rouge» par le ministère français des Affaires étrangères, ce qui y limite les voyages aux seuls cas de nécessité absolue, c’est en soutenant ces institutions liées aux Églises qu’il est possible d’aider malgré tout. Elles-mêmes ne sont pas à l’abri des pénuries et de la violence, mais elles se consacrent avec dévouement à semer des graines d’espérance. Le soutien de partenaires étrangers est pour elles nécessaire. Ainsi, la Mission Biblique développe sur place des projets sociaux, d’enseignement et de santé en partenariat avec l’UEBH (l’Union Évangélique Baptiste d’Haïti). Avec le soutien du Défap, la Fédération des Écoles Protestantes d’Haïti (la FEPH), à travers son réseau de 3000 écoles protestantes, revendique la scolarisation de 300.000 enfants – un enjeu majeur pour la formation des futurs citoyens, alors que du fait de la mauvaise qualité de l’enseignement public, l’analphabétisme concerne près de 4 Haïtiens sur 10. ADRA a développé un programme efficace de reboisement, dans un pays où la couverture végétale n’excède pas 2% du territoire – une déforestation qui aggrave encore les effets des fréquents cyclones…

Ce qui relie ces différents acteurs, c’est la Plateforme Haïti, mise en place par la Fédération protestante de France en lien avec celle d’Haïti, et coordonnée par le Défap. Elle permet un partage d’informations, des actions en commun, des récoltes de fonds pour les projets en cours sur place… La Mission biblique en est membre, ainsi qu’ADRA-France, mais aussi la Fondation La Cause pour les orphelinats, le SEL… Au vu de la situation d’urgence que connaît le pays, plusieurs acteurs de cette Plateforme ont déjà eu l’occasion d’échanger en comité réduit, et préparent une réunion plus large au cours des prochains jours.

Le Défap et la Plateforme Haïti
Des liens privilégiés existent de longue date entre la Fédération protestante de France (FPF) et la Fédération protestante d’Haïti (FPH). Le passage de quatre tempêtes dévastatrices sur le territoire haïtien en 2008 (Fay, Gustav, Hanna et Ike) s’était traduit par la création de la Plateforme Haïti, regroupant divers acteurs du monde protestant sous l’égide de la FPF. En 2010, au moment du tremblement de terre qui devait faire plus de 230.000 morts, les réseaux protestants étaient donc bien en place, et la solidarité avait trouvé rapidement des canaux pour s’exprimer. Le président actuel de la Plateforme Haïti est le pasteur Rodrigue Valentin, de l’Église du Nazaréen, et sa coordination administrative est assurée par le Défap. La Plateforme rassemble les acteurs suivants :

 

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