Une année avec les Actes des apôtres : méditation du jeudi 11 mars 2021. Cette semaine, nous prions avec nos envoyés au Sénégal.

Le prêche de Saint Paul – Joseph-Benoît Suvée, Los Angeles County Museum of Art © Wikimedia Commons

Le chapitre 21 du livre des Actes nous rapporte d’abord la montée vers Jérusalem de Paul et de ses compagnons et tout au long du chemin, l’Esprit leur fait savoir par la bouche des chrétiens rencontrés que l’arrivée à Jérusalem sera tragique pour l’apôtre car «il sera livré» aux païens. On pense bien sûr aux annonces de la Passion dans l’évangile selon Luc ; Paul, comme celui qu’il reconnaît comme son Seigneur, est prêt à mourir et ne se laisse pas dissuader de continuer sa route. Ses compagnons ne peuvent que conclure : «Que la volonté du Seigneur soit faite !»

L’accueil à Jérusalem est pourtant joyeux. Il ne reste aucune amertume de la séparation entre Paul et les autres apôtres (au chapitre 15). Pierre n’est plus là et c’est Jacques, un frère de Jésus, qui dirige la communauté. Devant toute l’assemblée des Anciens, avec solennité, Paul évoque son ministère parmi les païens et ses auditeurs rendent gloire à Dieu pour cette mission qui a porté des fruits. Cependant, cette réussite donne lieu au soupçon : il est accusé par des chrétiens d’origine juive de conduire les Juifs à l’apostasie, c’est-à-dire à l’abandon des prescriptions de Moïse, dont fait partie la circoncision. Cette accusation est injuste et fausse, puisqu’il avait été décidé que la position libérale prise par l’Église par rapport à la circoncision, qui renonçait à demander aux païens de se faire circoncire en devenant chrétiens, ne s’appliquerait justement qu’aux païens. Paul a lui-même circoncis Timothée (Ac 16,3). De plus, il pratique sa foi selon les usages religieux en participant aux temps liturgiques et aux pratiques de la synagogue. Alors, pour montrer qu’il se soumet toujours aux rites de la religion juive, il accomplit un rite de purification de sept jours au Temple.

«Les sept jours allaient s’achever quand les Juifs d’Asie, qui l’avaient remarqué dans le temple, soulevèrent toute la foule et mirent la main sur lui. Ils criaient : «Israélites, au secours ! Le voilà, l’homme qui combat notre peuple et la Loi et ce Lieu, dans l’enseignement qu’il porte partout et à tous ! Il a même amené des Grecs dans le temple et il profane ainsi ce saint Lieu.» Ils avaient déjà vu en effet Trophime d’Éphèse avec lui dans la ville et ils pensaient que Paul l’avait introduit dans le temple. La ville entière s’ameuta, et le peuple arriva en masse. On se saisit de Paul et on le traîna hors du temple, dont les portes furent aussitôt fermées. On cherchait à le tuer quand cette nouvelle parvint au tribun de la cohorte : « Tout Jérusalem est sens dessus dessous ! » Il rassembla immédiatement soldats et centurions, et fit charger la foule : à la vue du tribun et des soldats, on cessa de frapper Paul. S’approchant, le tribun se saisit alors de lui et donna l’ordre de le lier avec deux chaînes ; puis il voulut savoir qui il était et ce qu’il avait fait. Mais, dans la foule, chacun criait autre chose que son voisin et, comme le tribun, à cause de ce tumulte, ne pouvait obtenir aucun renseignement certain, il donna l’ordre d’emmener Paul dans la forteresse. Quand ce dernier fut sur les marches de l’escalier, les soldats durent le porter à cause de la violence de la foule, car le peuple tout entier le suivait en criant : «À mort !» Actes 21,27-36

 

 

Nous avons oublié, dans notre civilisation occidentale habituée à la tolérance religieuse, à quel point la foi peut être dangereuse pour ceux qui osent la dire en public. Lors d’une rencontre internationale de jeunes théologiens il y a des années, j’avais été frappée du parcours de certains de mes jeunes collègues : ils avaient assisté et parfois échappé de peu à des émeutes dirigées contre leurs communautés et accompagné pastoralement ceux qui avaient survécu. Pouvons-nous imaginer ce qui peut soutenir une telle foi ? Qu’est-ce qui permet à ceux qui ont mis leur confiance dans le Christ de résister à de tels tourments sociaux et personnels ? Le livre des Actes ne passe pas sous silence l’incroyable violence à laquelle sont soumis les chrétiens qui vont jusqu’au bout du chemin – le chemin vers la mort, celui qu’a suivi Jésus. Il ne passe pas non plus sous silence que la violence peut surgir de la religion elle-même.

Paul a choisi d’amadouer les plus rigoristes des convertis d’origine juive en se livrant à un rite au Temple, mais c’est précisément ce qui va le mettre en danger. Il a été vu en compagnie d’un Grec, Trophime, et les « Juifs d’Asie » (sans doute Éphèse) le soupçonnent d’avoir fait entrer cet homme non-juif dans le Temple, ce qui est un sacrilège puni de mort (voir Ez 44,6-9). C’est faux, mais cela suffit à accuser Paul d’attenter à la Loi et au Temple. Il est mis à la porte du Temple qui est refermé symboliquement derrière lui : il n’y a littéralement plus de retour possible. Lui qui avait souhaité montrer publiquement son respect des pratiques religieuses en se rendant au Temple en est exclu, injustement. On trouve ici un nouvel écho du destin de Jésus qui, pour témoigner de l’intervention de Dieu dans le monde, se voit écarter injustement jusqu’à être mis à mort, aux mains des Romains.

Paul est en grave danger. Les Romains viennent à la rescousse pour empêcher la foule de le mettre à mort – et ils l’emprisonnent pour le mettre à l’abri. Ce qui avait été annoncé est accompli : il a été livré aux mains des païens.

Que reste-t-il ? La parole. C’est en prenant la parole pour dire qui il est, d’où il vient et ce qu’il a vécu que Paul va réagir. Il va exposer la vérité de sa vie et de sa vocation, dans toutes ses péripéties. Il va prendre le risque de témoigner de sa foi à ceux même qui souhaitent le mettre à mort. Sa prédication est accusée de mettre en danger les institutions religieuses, et pourtant c’est l’œuvre de Dieu dans et pour le monde que Paul annonce en suivant les traces du Christ.

Paul est désormais prisonnier et il n’a plus que la parole ; il sait que cela ne lui sauvera pas la vie, mais il ne s’agit plus de cela. Il s’agit désormais de témoigner jusqu’au bout en tenant ferme à cette parole solide qui l’anime d’une foi inébranlable – inébranlable non parce qu’il est doté de qualités surhumaines, mais parce qu’il a mis sa confiance dans un Autre que lui-même. Ce lien-là, cette foi-là, ne peuvent être détruits, jusque par-delà les tribulations et la mort.

 

 

Questions pour nous :

  • Faisons-nous assez l’effort de comprendre les tribulations de nos frères et sœurs qui vivent leur foi chrétienne au péril de leur vie ? Comprenons-nous à quoi ils sont en butte ?
  • Nous posons-nous parfois la question de savoir ce que signifie suivre dans les pas du Christ, même lorsque cela peut représenter un danger très réel ? Où puiser notre force ?
  • Luc, l’auteur du livre des Actes, souligne que les accusations portées contre Paul sont injustes. La bonne foi n’est-elle donc pas suffisante ?
  • En butte à l’injustice, à quoi avons-nous recours ? Comment résister ?

 

 

Prions :

Dieu, nous ne savons guère
te tenir compagnie en ta Passion.
Mais toi, tu sais rester avec nous en nos malheurs.

Apprends-nous donc à combattre le dérisoire et l’opaque de la souffrance
Par la liberté, la force et la persévérance de l’amour.
Délivre-nous de nos envies de contourner les obstacles
Comme de nos complaisances à y sombrer.
Donne-nous l’impatience de ceux qui aiment
Et la patience de ceux qui comprennent
Afin que nous devenions aptes à écouter,
Désireux de guérir et actifs pour lutter

Amen

Prière du pasteur André Dumas

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