Depuis deux mois, les manifestations se succèdent à Port-au-Prince et dans les principales villes du pays, envahies par les barrages, minées par l’insécurité et en proie aux pénuries – nouvel épisode du mouvement de contestation qui réclame depuis plus d’un an le départ du président Jovenel Moïse. Le Défap, en lien avec ses partenaires de la Plateforme Haïti, suit de près l’évolution de la situation.

Une rue de Port-au-Prince, novembre 2019 © DR

Une Église envahie par des manifestants en plein culte : c’est la scène qui s’est produite, ce samedi 2 novembre, à Carrefour Poy, à une cinquantaine de kilomètres au nord de Port-au-Prince, la capitale d’Haïti. Des protestataires réclamant la démission du président de la République Jovenel Moïse ont investi l’Église Adventiste Éphèse d’Arcahaie. Si, aux dernières nouvelles, l’incident n’a pas fait de blessés, il témoigne du degré de tension que connaît aujourd’hui l’ensemble de la société haïtienne, au deuxième mois d’un nouveau pic de mobilisation contre le président haïtien.

Haïti, l’un des pays les plus pauvres de l’hémisphère occidental, a toujours du mal à se remettre du séisme d’une magnitude de 7,0 qui a tué plus de 100.000 personnes et laissé environ deux millions d’Haïtiens sans toit en 2010. À la suite de cette catastrophe, une épidémie de choléra – malencontreusement propagée par des casques bleus de l’ONU justement envoyés pour aider la population – a tué environ 10.000 personnes. Depuis lors, Haïti a connu des tempêtes et des inondations tragiques : en 2016, l’ouragan Matthew a détruit 90% des bâtiments situés le long de la côte sud du pays et causé des dommages matériels évalués à 1,9 milliard de dollars. La société haïtienne est tout aussi sinistrée : le taux de chômage est supérieur à 70%, avec un taux d’inflation de 19%, et plus de la moitié des 11 millions d’habitants vivent avec moins de 2,41 dollars par jour.

Le déclencheur de la contestation : l’affaire Petrocaribe

Mais outre la dégradation des conditions de vie, le mauvais état des infrastructures, la mauvaise qualité des services publics et la corruption, une grave crise politique et institutionnelle est venue aggraver les maux de la société haïtienne. Depuis plus d’un an, l’opposition politique réclame la démission de Jovenel Moïse. Les protestations, lancées à l’origine pour dénoncer une hausse du prix du carburant, se sont intensifiées avec la diffusion d’un rapport selon lequel quelque 2,3 milliards de dollars liés à un accord avec Petrocaribe, une alliance pétrolière permettant à certains pays des Caraïbes d’acheter du pétrole du Venezuela en bénéficiant de paiements différés, avaient disparu. L’argent économisé devait servir à financer des programmes sociaux et d’équipement dont la société haïtienne a cruellement besoin. Cependant, peu d’améliorations ont été apportées et le rapport a mis en évidence des détournements de fonds.

Les épisodes de mobilisation se succèdent depuis des mois, entrecoupés de périodes où la tension se transforme en insécurité globale. Au cours de la vague de manifestations qui a repris depuis deux mois, les universitaires, les ouvriers du textile, les artistes, le secteur médical sont tour à tour descendus dans la rue. Après des séries de manifestations massives, qui ont paralysé les principales villes du pays, les protestations ont dégénéré en une tension généralisée qui a vu des barrages s’ériger en plein coeur de Port-au-Prince, des entreprises attaquées et incendiées. Le Nouvelliste, l’un des quotidiens de référence dans le pays, écrit ainsi : «Port-au-Prince ressemble à un champ de ruines. Les activités normales sont paralysées ou fortement perturbées dans la capitale haïtienne et dans les principales villes de province depuis deux mois. Il ne se passe un jour sans qu’il n’y ait des mouvements de protestation, le plus souvent violents, exigeant la démission du président de la République.»

Les pénuries de carburant ont provoqué des émeutes et ont entraîné une interruption de l’approvisionnement en eau, tandis que les populations ont du mal à trouver du carburant pour leurs générateurs, leurs cuisinières et leurs véhicules. Les manifestants ont aussi obligé nombre d’écoles à fermer. Des barrages routiers et des affrontements entre protestataires et forces de l’ordre ont bloqué des voies d’approvisionnement stratégiques entre Haïti et la République dominicaine voisine, qui a renforcé la sécurité à sa frontière. De nombreuses routes autour de la capitale haïtienne sont devenues impraticables. Les hôpitaux et tout le secteur de la santé pâtissent tout particulièrement des pénuries. Les programmes internationaux d’aide également…

L’aide internationale bloquée

Actuellement, 2,6 millions d’Haïtiens ont besoin d’une aide alimentaire. Le coordonnateur humanitaire de l’ONU en Haïti a évoqué récemment le sort de centaines de milliers de familles auxquelles les organisations humanitaires n’ont plus accès du fait des troubles. Il a notamment parlé de dix-neuf mille enfants souffrant de malnutrition dont les cas nécessiteraient des soins d’urgence. Alors que l’opposition haïtienne s’active pour fournir les noms de possibles candidats au poste de chef de l’État, les États-Unis appellent à un dialogue entre tous les acteurs et à la formation d’un gouvernement comme solution à la crise, et le sous-secrétaire d’État adjoint au Département d’État américain pour l’hémisphère occidental, Jon Piechowski, en a fait un préalable pour toute aide alimentaire – alors qu’une telle aide avait précisément été sollicitée par le président Jovenel Moïse.

L’appel de Religions pour la Paix Haïti © DR

La plateforme Religions pour La Paix Haïti, antenne régionale de Religions for Peace, conférence mondiale de représentants des religions dédiée à la promotion de la paix, a été sollicitée ces dernières semaines par le chef de l’État pour servir de médiateur, mais a refusé d’endosser ce rôle. Toutefois, dans un communiqué daté du 4 novembre, elle invite les protagonistes de la société civile à encourager un dialogue inclusif, en vue d’un dénouement pacifique de la crise actuelle.

Le Défap, en lien notamment avec ses partenaires de la Plateforme Haïti, suit de près l’évolution de la situation. Le Défap se tient notamment en contact régulier avec la Mission Biblique, qui développe sur place des projets sociaux, d’enseignement et de santé en partenariat avec l’UEBH (l’Union Évangélique Baptiste d’Haïti), ainsi qu’avec la Fédération des Écoles Protestantes d’Haïti (la FEPH), qui grâce à son réseau de 3000 écoles protestantes, revendique la scolarisation 300.000 enfants.

Le Défap et la Plateforme Haïti
Des liens privilégiés existent de longue date entre la Fédération protestante de France (FPF) et la Fédération protestante d’Haïti (FPH). Le passage de quatre tempêtes dévastatrices sur le territoire haïtien en 2008 (Fay, Gustav, Hanna et Ike) s’était traduit par la création de la Plateforme Haïti, regroupant divers acteurs du monde protestant sous l’égide de la FPF. En 2010, au moment du tremblement de terre qui devait faire plus de 230.000 morts, les réseaux protestants étaient donc bien en place, et la solidarité avait trouvé rapidement des canaux pour s’exprimer. Le président actuel de la Plateforme Haïti est le pasteur Rodrigue Valentin, de l’Église du Nazaréen, et sa coordination administrative est assurée par le Défap. La Plateforme rassemble les acteurs suivants :

 

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