«Aimer Dieu, c’est permettre à l’autre d’être reconnu comme un homme infiniment précieux»… À travers cet hommage écrit sous forme de lettre, le photographe Albert Huber, qui fut également envoyé et chargé de mission du Défap, revient sur le parcours singulier de Frédéric Trautmann.
Frédéric Trautmann © Albert Huber
Je t’écris de cette terre d’Alsace qui t’a vu naître, alors que tu viens de rejoindre l’autre rive. C’est à Porto Novo au Bénin que je t’ai photographié, lors d’un reportage à l’AG de la Cevaa, début des années 2000. Nous nous sommes croisés la dernière fois dans la salle des fêtes de l’Élysée à l’occasion de l’hommage du président Hollande aux responsables de la Fédération de l’Entraide Protestante. Mais c’est lorsque tu occupais le bureau du secrétariat général du Défap au 102 du boulevard Arago à Paris que nous nous sommes vraiment rapprochés.
De prime abord, ta haute stature d’homme m’avait impressionné. Mais une fois le contact établi, l’attention était comme captée par ton regard franc et direct. Dans la conversation, tu dégageais un quelque chose à la fois d’énergique et de paisible. Inutile le passage par de grandes déclarations, ton entrain, tu le puisais dans ton attention chaleureuse pour l’autre. Plus particulièrement pour celui resté au bord du chemin, ici comme au-delà des océans. Ton itinéraire singulier est édifiant à ce sujet. «Aimer Dieu, c’est permettre à l’autre d’être reconnu comme un homme infiniment précieux» était la boussole de ton parcours de vie. Tu l’as mise en pratique dans ta première paroisse de Sarre Union dans l’Alsace profonde – 2500 âmes, 4 cultes le dimanche. Plus tard, sur le terrain de la mission en Nouvelle-Calédonie déjà en quête d’indépendance. À ton retour, à la direction du Défap, l’historique Service protestant de mission. Et enfin, pour boucler la boucle, à la tête de Fondation protestante John Bost à La Force, 1000 personnes handicapées en résidence.
Si je ne devais retenir qu’une seule chose de nos échanges et correspondances, c’est à coup sûr la profonde fraternité qui te liait au peuple kanak de Nouvelle-Calédonie. Tu l’as vécue entre solidarités et tensions sur place, puis tout au long de tes 12 années au Défap. La fièvre monte en 1984-1985, quand Pierre Joxe, ministre de l’intérieur et des DOM-TOM, t’appelle au Défap te demandant d’intervenir. Un sous-préfet est pris en otage à Lifou : intolérable pour le gouvernement. Connaissant l’autorité de l’Église protestante au sein du peuple kanak, le ministre te demande d’intervenir. Au téléphone, tu interpelles une nuit entière tes anciens partenaires sur place et le sous-préfet est libéré, le bain de sang évité. «Kanak veut dire homme» écrivais-tu dans tes différents articles et rapports sur le Caillou.
Il est autour de chacun de nous des témoins d’humanité qui spontanément suscitent l’empathie. Personne ne prendra leur place un jour, eux-mêmes n’ayant pris la place de personne. Tu as été, cher Frédéric, de ceux-là.
Albert Huber
ancien envoyé et chargé de mission du Défap