De la révolution sandiniste qui renversa la dictature jusqu’à l’actuelle dérive autoritaire du président Ortega, l’aventure du réseau d’Églises dont est issu le CIEETS s’est forgée à travers les aléas de l’histoire du Nicaragua. Avec dès le début des relations étroites avec les protestants de France, à travers la figure de Georges Casalis, et une constante : être auprès des plus démunis, en faisant de la théologie un instrument de libération spirituelle et sociale.

L’équipe du CIEETS © CIEETS

Au Nicaragua, la crise dure depuis plus d’un an. Plus précisément depuis le 18 avril 2018, date des premières manifestations contre une réforme contestée des retraites. Même si le président Ortega a fait rapidement machine arrière (l’abandon de la réforme avait été annoncé dès le 22 avril), le mouvement n’a fait dès lors que s’étendre et s’aggraver. Héros de la révolution sandiniste qui avait mis fin à la dictature en 1979, Daniel Ortega, toujours à la tête du pays en 2019, s’est vu dès lors confronté à un mouvement massif de rejet et à des accusations de confiscation du pouvoir. Il a répondu par une répression croissante. Après plusieurs mois d’une violence qui a paralysé toute activité dans le pays, avec des villes placées en état de siège, des manifestations réprimées toujours plus durement, des barrages routiers dans tout l’ouest et le centre du pays, et des groupes paramilitaires entretenant la peur, le régime d’Ortega a repris le contrôle du pays. Un contrôle qu’il garde aujourd’hui farouchement à coups d’arrestations massives et de tortures, de disparitions d’opposants, de recours aux violences policières, tout en s’efforçant d’entretenir une façade de dialogue avec l’opposition pour tenter de désarmer les sanctions internationales. La population du pays, pendant ce temps, vit dans la peur et s’enfonce dans la pauvreté. Des milliers d’habitants fuient dans les pays voisins, qui ne sont pas forcément prêts à les recevoir.

Que peuvent des institutions ecclésiales dans un tel contexte ? D’abord, tenter de maintenir les liens et le dialogue. L’Église catholique s’est ainsi efforcée de faire office de médiateur entre les manifestants et le gouvernement. Mais elle s’est rapidement retrouvée accusée par le pouvoir d’être du côté des manifestants, et en butte aux menaces d’un régime prêt à tout pour se maintenir en place. Aussi, lorsque les participants de la plateforme Alliance civique pour la Justice et la Démocratie réunissant étudiants, paysans, entreprises et société civile ont négocié une «feuille de route» pour tenter de sortir de l’impasse politique, les évêques de la Conférence épiscopale ont décliné l’invitation à participer à la suite des discussions. Mais même lorsque le dialogue semble rompu, les institutions ecclésiales peuvent toujours s’efforcer de limiter les souffrances nées de la crise. Le CIEETS (Centre Inter-Ecclésial d’Études Théologiques et Sociales) s’y emploie, dans un contexte des plus difficiles.

Visite de représentants du CIEETS au Défap en mai 2019 (de gauche à droite : Fabienne Chambry, présidente de l’Entraide luthérienne ; Tania Valesca, de la branche sociale du CIEETS, l’AMAD ; Florence Taubmann, du Défap ; Jaïro Arce Mairena (AMAD) © Défap

Le CIEETS, un lieu à part

Dans le paysage religieux du Nicaragua, où s’invitent de nombreux missionnaires nord-américains et coréens pour «évangéliser» de manière fondamentaliste un peuple dont 40% est protestant et 45% catholique, le CIEETS est un lieu à part, parce qu’il se veut oecuménique et représente une assemblée de 25 Églises ; également parce qu’il parvient à conjuguer les études théologiques et les questions d’environnement et de développement. Ses différents enseignements touchent 1500 personnes réparties sur tout le pays. Il y a ainsi deux branches au CIEETS, l’une spécifiquement consacrée aux études théologiques, l’autre à l’action sociale. C’est cette deuxième branche, l’AMAD (Area de Medio Ambiente y Desarrollo, Direction de l’environnement et du développement) qui se consacre plus particulièrement aux questions liées à l’environnement et au développement. Des questions particulièrement sensibles au Nicaragua, où se conjuguent les risques sismiques et les aléas climatiques.

A l’origine des relations entre le Défap et le CIEETS, il y a le pasteur Georges Casalis. Issu d’une famille comportant nombre de missionnaires, et notamment Eugène Casalis, qui dirigea la SMEP, c’est une figure majeure de l’engagement protestant de son époque. Signataire des Thèses de Pomeyrol, qui réclament dans les années 40 un engagement clair de l’Église Réformée de France face à l’occupation nazie, engagé auprès de la Cimade, rédacteur de Témoignage Chrétien, il dirigera par la suite la revue Christianisme Social, avant de s’engager au cours des années 70 en Amérique latine. De là datent les liens avec le Nicaragua, où le CIEETS est créé en juillet 1986. Ses fondateurs sont des dirigeants d’Églises évangéliques intéressés par le travail social et le développement. Les études théologiques y sont vues comme le socle d’un nécessaire engagement auprès des plus fragiles et des plus démunis.

Aujourd’hui encore, en dépit des tensions politiques, le CIEETS poursuit sa mission d’accompagnement des plus fragiles, soutenu par un solide réseau d’Églises locales, avec toujours la volonté de concilier foi et développement, enseignement théologique et préoccupations environnementales et sociales. Son travail lancé auprès des communautés rurales s’est étendu en zone urbaine. Les liens avec les protestants de France sont maintenus : le Défap a notamment soutenu sa bibliothèque, des missions d’enseignement sont régulièrement organisées avec Corina Combet-Galland, spécialiste du Nouveau Testament et professeure émérite à la Faculté de théologie protestante de Paris. Le premier projet de développement de cultures en milieu urbain lancé par le CIEETS à Managua a été financé par l’Entraide luthérienne. Et la mémoire de Georges Casalis continue à être entretenue au Nicaragua, plus de 40 ans après la révolution sandiniste à laquelle il apporta son soutien, et en dépit des dérives autoritaires actuelles de Daniel Ortega. Dans son ouvrage sur Le protestantisme en Amérique latine [1], Jean-Pierre Bastian décrit ainsi les marques d’attachement dont bénéficie toujours le pasteur français ami du peuple nicaraguayen : «au premier étage de la bibliothèque qui porte son nom, au cœur d‘une mezzanine-sanctuaire consacrée à sa figure, se trouve une sorte de reliquaire sous forme de petite armoire vitrée à deux étages dont l’objet le plus symbolique sont ses sandales, exaltation de l’humilité prophétique du révolutionnaire engagé au côté du peuple».

Franck Lefebvre-Billiez

Retrouvez ci-dessous une vidéo du CIEETS présentant un des engagements de ce réseau d’Églises contre la violence : «Ensemble contre la violence de genre» :

Et une autre vidéo du CIEETS présentant son engagement face aux changements climatiques :

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