Depuis le tremblement de terre du 6 octobre, la réponse des autorités haïtiennes est lente. La Fédération des Écoles Protestantes d’Haïti (FEPH), partenaire privilégié du Défap dans la région, faisait partie des tout premiers intervenants sur place. Le séisme n’était pas une catastrophe majeure, et n’était en rien comparable avec la catastrophe de 2010 : la mobilisation internationale est donc restée limitée. Pourtant, les besoins sur place sont nombreux : écoles fragilisées ou qui devront à terme être rasées, matériel scolaire à remplacer… Rencontre avec Christon St Fort, directeur exécutif de la FEPH, qui évoque la situation post-séisme.
Rencontre organisée par la FEPH dans la région touchée au lendemain du séisme © FEPH
En Haïti, l’éducation est un secteur où les besoins sont criants : selon les chiffres de la Banque Mondiale, plus de 200.000 enfants ne sont pas scolarisés. Les écoles publiques sont une petite minorité (9 écoles sur 10 sont des établissements privés); et le niveau général est tellement faible que moins de 5% d’une classe d’âge obtient le bac. Dans ce contexte, la Fédération des Écoles Protestantes d’Haïti (FEPH), grâce à son réseau de 3000 écoles protestantes, revendique la scolarisation de 300.000 enfants. Elle est soutenue directement par le Défap à travers des financements directs et à travers ses envoyés ; elle fait aussi partie des partenaires privilégiés de la Plateforme Haïti, mise en place sous l’égide de la Fédération protestante de France et où le Défap se retrouve aux côtés de divers acteurs du protestantisme français impliqués dans ce pays, comme La Cause ou la Mission Biblique.
Or de nombreuses écoles ont été détruites ou fragilisées lorsqu’un tremblement de terre de magnitude 5.9 a frappé le pays, le samedi 6 octobre à 8h12 du soir. Haïti se trouve à la frontière entre la plaque tectonique caraïbe et la plaque d’Amérique du Nord : le risque sismique y est important, et le tremblement de terre de 2010 a notamment laissé un profond traumatisme. Au cours des heures suivant la première secousse, la FEPH a lancé une mission d’évaluation dans les régions directement touchées : le nord-ouest du pays et plus particulièrement les environs de la ville de Port-de-Paix. Y participaient notamment Christon St Fort, directeur exécutif de la FEPH, et Ingrid Hardouin, chargée d’appui aux partenariats, envoyée du Défap. Un mois et demie après ce séisme, Christon St Fort évoque l’évolution de la situation sur le terrain.
Pour aller plus loin : |
De quelle manière la Fédération des Écoles Protestantes d’Haïti est-elle impliquée dans la réponse au séisme du 6 octobre dernier ?
Christon St Fort : Il faut souligner tout d’abord que la FEPH a l’autorisation de la direction de la Protection civile pour intervenir directement dans les zones sinistrées. Nous avons déjà fait un premier rapport. La FEPH participe aussi aux différents groupes de travail sur la réponse humanitaire. Dans l’immédiat, nous intervenons surtout dans le domaine de l’appui psychosocial : notre première action d’envergure suite au séisme a été une formation à destination des enseignants. Un responsable du ministère de l’Éducation nationale a d’ailleurs souligné, à propos de cette formation à l’appui psychosocial, que la FEPH était la première institution à faire ce genre d’intervention dans la zone touchée par le séisme depuis le 6 octobre.
D’autres actions sont envisagées : notamment une évaluation de l’état de tous les bâtiments scolaires situés dans la région où s’est produit le séisme. Il ne suffit pas de constater qu’il y a des fissures dans un mur : il nous faut l’avis de techniciens compétents pour savoir si le mur est réparable ou si l’école, à terme, s’écroulera – et s’il vaut mieux la raser pour reconstruire. Pour faire une telle évaluation, il faut du temps et des moyens… Un autre aspect, c’est la «peur du béton» : beaucoup d’enfants craignent de retourner en classe, redoutent que le bâtiment ne s’effondre, et il nous faut des éléments pour pouvoir les rassurer.
Quelles sont les actions envisagées à moyen terme ?
L’équipe de la FEPH partant évaluer les besoins : au centre, Ingrid Hardouin, envoyée du Défap © FEPH |
Christon St Fort : Il faudra réparer, bien sûr, là où c’est possible ; et pour les écoles qui se révéleront trop endommagées, il faudra reconstruire. Ce qui supposera dans un premier temps de monter des classes transitoires en structures légères : car reconstruire en dur prend du temps, et il faut bien que les élèves puissent poursuivre leur scolarité. Une autre action d’envergure sera l’information sur les risques naturels. La FEPH est déjà impliquée dans des campagnes d’éducation à la gestion des risques et des désastres : il s’agit de sensibiliser à la fois les enseignants et les élèves aux conduites à tenir en cas de catastrophe naturelle. Haïti est un pays particulièrement exposé, qu’il s’agisse de tremblements de terre ou de cyclones. On sait bien qu’il y aura d’autres séismes. Or si les enfants ne sont pas bien formés, ils ne peuvent pas savoir quel comportement adopter en cas de catastrophe. Voilà pourquoi la FEPH tient particulièrement à développer ces formations dans les écoles.
Enfin, au-delà des bâtiments, il y a tout le matériel scolaire à reconstituer : il faut aider les familles dont les enfants n’ont plus d’affaires de classe, fournir du matériel scolaire aux enseignants quand le leur a été détruit… Ce ne sont pas les projets qui manquent.
Où en est la réponse des autorités haïtiennes face aux conséquences du séisme ?
Christon St Fort © FEPH |
Christon St Fort : Elle est plutôt lente. L’État haïtien s’avère malheureusement dépassé par les événements. Il faut dire que la situation politique n’est pas favorable. Actuellement, il y a des mouvements de protestation dans tout le pays contre le gouvernement en place. La première raison, ce sont les soupçons de corruption : les dirigeants actuels, mais aussi leurs prédécesseurs, sont soupçonnés d’avoir dilapidé les fonds du programme PetroCaribe. C’est un accord régional entre les pays des Caraïbes et le Venezuela, dans lequel Haïti est partie prenante, et qui permet d’obtenir du pétrole vénézuélien à des conditions préférentielles – notamment avec un système de paiements échelonnés. Or 3,8 milliards de dollars affectés à ce programme, et correspondant à des prêts accordés par le Venezuela sous forme de vente à crédit de carburant, remboursables sur vingt-cinq ans avec un taux d’intérêt de 1% par an, semblent avoir disparu… La deuxième raison, liée à la première, ce sont les voix qui s’élèvent au sein de l’opposition au président haïtien, Jovenel Moïse, pour réclamer son départ. Ceux qui avaient protesté contre son arrivée à la présidence voient aujourd’hui, dans le scandale PetroCaribe, un moyen de l’obliger à partir. Le 17 octobre dernier, il y a eu à Port-au-Prince une très grande manifestation contre la corruption. Le 18 novembre, jour de fête nationale, l’opposition a organisé de nouveaux défilés, il y a eu plusieurs morts ; et depuis le pays est bloqué. J’ai vu Port-au-Prince devenir une ville morte pendant plusieurs jours. Les banques restent fermées, tout comme les administrations et les commerces, les transports sont bloqués… Bien évidemment, dans un tel contexte, la FEPH elle aussi a dû reporter certaines de ses activités.
Propos recueillis par Franck Lefebvre-Billiez
Le Défap et la Plateforme HaïtiDes liens privilégiés existent de longue date entre la Fédération protestante de France (FPF) et la Fédération protestante d’Haïti (FPH). Le passage de quatre tempêtes dévastatrices sur le territoire haïtien en 2008 (Fay, Gustav, Hanna et Ike) s’était traduit par la création de la Plateforme Haïti, regroupant divers acteurs du monde protestant sous l’égide de la FPF. En 2010, au moment du tremblement de terre qui devait faire plus de 230.000 morts, les réseaux protestants étaient donc bien en place, et la solidarité avait trouvé rapidement des canaux pour s’exprimer. Le président actuel de la Plateforme Haïti est le pasteur Rodrigue Valentin, de l’Église du Nazaréen, et sa coordination administrative est assurée par le Défap. La Plateforme rassemble les acteurs suivants :
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