Le mot «radicalisation» renvoie aujourd’hui presqu’automatiquement à un islamisme violent. Pourtant, la Bible autant que le Coran contient des «versets douloureux». Quant au processus de révélation, il porte en lui-même l’idée de radicalité en s’emparant de tout l’être, corps, esprit et cœur. En faisant irruption dans l’histoire humaine, il génère adhésion ou refus et luttes de toute sorte, croisant aussi le fer avec le politique. Le n°76 de Perspectives missionnaires, questionne la radicalisation, quelques paroles scandaleuses de Jésus et les défis que relève aujourd’hui le dialogue interreligieux.

Détail de fresque du Mausolée Haft Tanan de Shiraz en Iran (XVIIIe siècle), représentant Ibrahim prêt à sacrifier son fils, qui n’est pas nommé dans le Coran, mais que la tradition islamique désigne comme étant Ismaël.

Le dimanche 22 avril 2018 paraissait dans Le Parisien un manifeste contre l’antisémitisme en France qui, en s’appuyant sur les faits et les statistiques, mettait en cause la radicalisation islamiste. En fin de manifeste, les signataires demandaient «que les versets du Coran appelant au meurtre et au châtiment des juifs, des chrétiens et des incroyants soient frappés d’obsolescence par les autorités théologiques, comme le furent les incohérences de la Bible et l’antisémitisme catholique aboli par Vatican II, afin qu’aucun croyant ne puisse s’appuyer sur un texte sacré pour commettre un crime».

Deux jours plus tard, une trentaine d’imams ont exprimé leur indignation dans le journal Le Monde, tout en dénonçant à leur tour l’antisémitisme et le terrorisme en France, n’hésitant pas à mettre en cause des idéologues qui exploitent le désarroi de la jeunesse : «Depuis plus de deux décennies, des lectures et des pratiques subversives de l’islam sévissent dans la communauté musulmane, générant une anarchie religieuse, gangrenant toute la société. Une situation cancéreuse à laquelle certains imams malheureusement ont contribué, souvent inconsciemment».

Pour aller plus loin :
Retrouvez les archives de « Perspectives missionnaires » sur le site de l’AFOM (Association francophone oecuménique de missiologie) en cliquant sur l’image ci-dessus. Et retrouvez ci-dessous les anciens numéros :
N° 75 – Protestantisme global, fondements et évolutions
N° 74 – Missionnaires en musique
N° 73 – Témoignage et diaconie
N° 72 – Famille, conjugalité, témoignage
N° 71 – Églises et culture émergente
N° 70 – Ensemble vers la vie, Nouvelles pistes pour la mission
N° 69 – Héritiers et témoins d’une terre promise
N° 68 – Se former à la mission ?
N° 67 – Œcuménisme et mission en Europe
N° 66 – Relire David Bosh
N° 65 – Afrique en mission
N° 64 – Bible et traduction en mission
N° 63 – Prier dans un contexte interreligieux ?
N° 62 – La planète évangélique
N° 61 – Divers articles
N° 60 – Dossier Édimbourg – Cape Town 2010
N° 59 – Dossier Afrique du sud
N° 58 – La Mission : entre altérité et identité
N° 57 – Dossier Mission et communication
N° 56 – Dossier Madagascar
N° 55 – Mission en Europe
N° 54 – Christianisme en zones interdites
N° 53 – Économie et foi

De fait, le mot radicalisation renvoie aujourd’hui presqu’automatiquement à un islamisme violent, revendiquant le nom de Dieu et l’utilisation de certains versets coraniques. Pourtant, c’est dans un cadre de dialogue entre les trois monothéismes qu’avait paru en 2008 le livre intitulé Les versets douloureux. Bible, Évangile et Coran entre conflit et dialogue, écrit par le Rabbin David Meyer, l’Imam Soheib Bencheikh et le jésuite Yves Simoens. En utilisant une approche historique et contextuelle pour expliquer la présence de ces versets dans leurs Écritures saintes, et tout en les déclarant en contradiction avec le message d’ensemble qui est de paix et d’amour, les auteurs se refusaient à les ignorer et affirmaient plutôt la nécessité absolue d’une autocritique des religions.

Mais l’heure est-elle à l’autocritique des religions ? Deux tendances semblent aujourd’hui s’affronter : l’une développe un retour à l’identité, au communautarisme, en allant parfois jusqu’à un certain intégrisme, qui n’est pas forcément violent, tandis que l’autre se déploie dans le dialogue interreligieux et la prise en compte du multiculturalisme. Si l’adjectif radical semble s’appliquer presqu’automatiquement à la première tendance, doit-on oublier pour autant que la deuxième relève d’un choix aussi radical que la première, bien que ne se situant pas au même niveau ? Car l’Évangile nous entraîne sans cesse et de manière très radicale, à la suite de Jésus de Nazareth, à l’ouverture et à la rencontre avec les autres humains et les autres peuples, quelle que soit leur appartenance.

Cependant l’utilisation actuellement dominante des mots liés à la radicalité nous oblige à aller explorer l’origine, la racine du religieux, dans le cadre des religions révélées en particulier, d’autant que le terme radical se rattache étymologiquement au mot latin qui signifie racine.

D’abord le processus de révélation contient en lui-même l’idée de radicalité. L’expérience de la révélation est saisissante. D’Abraham à Paul, on peut se référer à tous les textes bibliques qui font récit de l’irruption du divin dans la vie humaine ! La révélation s’empare de tout l’être : le cœur, le corps, l’esprit. Une coupure dans le temps s’établit entre un avant et un après. Le sens de la vie va s’en trouver transformé. C’est une aventure éminemment intime mais en même temps relationnelle car elle correspond au surgissement d’une force extérieure à soi-même. Alors se pose la question de la décision humaine. Décision de foi, décision de changement de vie, décision de témoignage, décision de fonder une communauté de croyants ou d’entrer dans une communauté déjà constituée… Nous connaissons cette radicalité, dont la prédication dans nos églises s’est souvent faite l’écho.

Cependant existe un autre niveau de radicalité lié au fait que la révélation intervient dans l’histoire humaine, c’est-à-dire en contexte. Venant déchirer le tissu du temps, elle n’apporte pas la paix mais l’épée, pour reprendre les paroles de Jésus. Elle génère des inimitiés, des adhésions et des refus, des conflits et des combats. Elle croise le politique, lui sert parfois de caution, à moins que ce ne soit l’inverse. Et c’est là que nous retrouvons nos versets dangereux et douloureux !

En «perspectives missionnaires», nous devons nous interroger sur l’herméneutique de ces radicalités. Il en va de notre présence et de notre témoignage au cœur de la société et de l’histoire.

Dans un monde complexe comme le nôtre, où beaucoup de gens se vivent comme déracinés, la radicalité religieuse peut apparaître comme une promesse de salut, comme ce fut le cas dans le passé pour des radicalités idéologiques et politiques. Nous prendrons l’exemple de la tentation islamiste, qui génère une grande violence meurtrière à travers le monde, et fait des ravages dans notre jeunesse. Un entretien avec le docteur Guillaume Monod, psychiatre, nous conduira à la rencontre de jeunes radicalisés incarcérés à la maison d’arrêt de Villepinte, pour découvrir leurs parcours et les motivations psychologiques et théologiques qui les ont conduits à s’engager dans un islamisme radical.

Qu’en est-il du christianisme ? Avec Elian Cuvillier, nous interrogerons le Jésus des évangiles, dont la radicalité s’exprime parfois dans des propos très violents. Qu’en faire ? Les passer sous silence ? Utiliser l’analyse historique et contextuelle pour en relativiser la portée ? Comment en faisons-nous l’herméneutique ? Avec Samuel Dawaï, c’est le discours apocalyptique qui sera questionné. Il nous montrera comment aujourd’hui en Afrique ce type de discours est instrumentalisé et produit des extrémismes religieux.

Puis, avec Olivier Abel, nous nous poserons la question : est-ce la montée des sentiments religieux qui produit la violence, ou bien est-ce la montée de la violence qui produit des sentiments religieux ? À la suite du colloque des Cèdres Parole de Dieu, violence des hommes qui s’est tenu à Beyrouth du 17 au 19 mai 2017, et s’est penché sur les relations entre violence et discours religieux dans le cadre du christianisme et de l’islam, il nous invite à saluer tous les lieux qui permettent le croisement des interprétations, car le pluralisme est le meilleur outil contre l’appropriation violente de la vérité.

Alors le dialogue interreligieux est-il une arme efficiente contre la « radicalisation » religieuse ? Pour développer cette problématique, Philippe Gaudin analysera les termes et présentera les acteurs de la radicalisation. Évoquant les différents types de dialogue interreligieux, et le rôle que celui-ci peut jouer, il nous invitera finalement à ne jamais oublier de « prendre en compte la soif de repères métaphysiques et religieux » qui se cache derrière la radicalisation.

Enfin, Samuel Dawaï nous présentera l’histoire religieuse du Nord-Cameroun, où musulmans et chrétiens, après avoir longtemps été en conflit, coopèrent aujourd’hui dans la lutte contre Boko Aram.

Florence Taubmann

Retrouvez ci-dessous le sommaire de ce numéro 76 de Perspectives missionnaires :

 

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