Camions et bulldozer arrivant sur la colline © Patrice Leurent pour EAPPI et Défap

Évacuation d’un avant-poste

Des pierres jetées contre la fenêtre © Patrice Leurent pour EAPPI et Défap

Ce dimanche matin, nous roulons vers Ramallah, pour assister à l’office anglican de Saint-Andrew. Le long de la route 60, nous constatons une présence inhabituelle de véhicules militaires et de soldats. Intrigué, notre chauffeur, Ghassan, appelle la DCO Palestinienne (office de coordination mis en place après les accords d’Oslo). L’armée procède à l’évacuation d’un avant-poste illégal à l’ouest de la colonie Tappuah. La forte présence militaire sert à prévenir une éventuelle réaction violente des colons des alentours. Nous décidons de revenir sur nos pas, et d’observer l’évacuation à partir du village voisin de Yassuf. À la jonction Za’tara, toute proche de la colonie Tappuah, forte présence militaire. À l’entrée de la route vers Yasuf, contrôle de nos passeports et de la licence de notre chauffeur.

Puis nous observons l’évacuation de loin, sur la terrasse d’une maison. On voit arriver sur la colline des camions pour transport de mobile-homes, et un bulldozer. Suivant une décision de la haute cour de justice israélienne, cet avant-poste doit être évacué, il est installé illégalement sur une terre privée palestinienne. Sept mobile-homes ont déjà été évacués, les colons s’opposent à l’évacuation des dix derniers, d’où l’intervention de l’armée. Seuls trois sont occupés, les autres servent à des besoins agricoles. Il y a eu des affrontements dans la nuit entre quelques jeunes colons extrémistes et la police israélienne. Quand nous sommes revenus le lendemain, le site était évacué, mais il restait encore quelques structures.

Dans la nuit de l’évacuation, des colons extrémistes ont jetés des pierres contre une maison du village, à titre de vengeance.

Une partie des terres du village de Yasuf a été confisquée par la colonie Tappuah, et une partie est en zone C. Ils ne peuvent y accéder qu’avec un permis, permis accordé seulement pour quelques jours au moment de la récolte des olives. C’est totalement insuffisant pour entretenir correctement ces terres. Lors de notre visite précédente à Yassuf, une dizaine de jours auparavant, notre contact, Jamal, nous avait informé de cette décision d’évacuation, mais aussi d’un nouvel ordre de confiscation de 150 dunums (15 ha). Pour les habitants, l’ordre d’évacuation de l’avant-poste est comme un anesthésiant pour faire oublier la nouvelle confiscation. Quand un avant-poste est évacué, les Palestiniens ne récupèrent pas pour autant l’accès à leurs terres !

Les terres d’Aqraba

« Quand j’étais enfant, nous emmenions paître nos troupeaux sur ces terres ». Nous sommes sur les hauteurs de la vallée du Jourdain, en contrebas de la ligne de crête où se situent les villages palestiniens d’Aqraba, Duma, Beit-Furik, au sud-ouest de Naplouse. Avant 1967, toutes ces terres appartenaient aux villages sur la crête. Ghassan nous emmène sur l’histoire de l’accaparement des terres de sa famille et des villages alentours. Depuis l’occupation israélienne de la Cisjordanie en 1967, les fermiers de ces villages ont été forcés progressivement d’abandonner leurs terres en haute vallée du Jourdain.

Des camps militaires se sont installés, ainsi que des zones de tir, d’accès interdit. Par ordre militaire, les bergers s’aventurant avec leurs troupeaux dans ces zones étaient arrêtés, et devaient payer une amende. L’amende étant doublée à chaque nouvelle arrestation. Il y avait quelques hameaux dans ces pâturages, ils ont tous été détruits. Un jour une explosion due à un tir militaire s’est produite juste à côté de la maison de Ghassan. Sa famille a décidé de partir dans le village d’Aqraba et d’abandonner ses terres. Il avait 18 ans.

Le moyen le plus efficace de les faire partir a été le contrôle de l’eau. Beaucoup de puits ont été interdits, détruits ou empoisonnés. Les fermiers avaient planté des orangers et des citronniers, maintenant c’est quasi désertique. Impossible de cultiver sans eau. Des colonies israéliennes se sont installées sur les terres palestiniennes. Elles ont accès à l’eau à volonté. Cultures sous serres, palmiers dattiers, et même de la pisciculture. Une hérésie dans une région où l’eau est si précieuse.

Et maintenant les avant-postes de la colonie d’Itamar autour de Yanoun s’étendent progressivement pour rejoindre les colonies de la vallée du Jourdain.

Entraves à la libre circulation

Colonie, en haute vallée du Jourdain © Patrice Leurent pour EAPPI et Défap

La foule se presse au terminal de Qalandia. J’effectue un comptage au terminal pour les hommes. Plusieurs dizaines de milliers de personnes vont le traverser entre 5h du matin et midi. Quelques-uns sont refoulés, permis non valable, pas dans la tranche d’âge autorisée. C’est un vendredi pendant le Ramadan. L’accès y est facilité pour que les musulmans puissent aller prier à Jérusalem à la mosquée Al-Aqsa, accès autorisé pour les femmes de tout âge, les enfants de moins de 12 ans, et les hommes de plus de 40 ans. Pour les hommes entre 12 et 40 ans, des permis peuvent être accordés.

Vers 10h du matin un groupe d’une cinquantaine de jeunes, visiblement pas dans la tranche d’âge autorisée, se faufile dans la foule. Réaction brutale des soldats, les jeunes sont refoulés, tirs de gaz lacrymogènes, et la file d’attente est refoulée en arrière. On sent une forte tension. Puis la situation se calme, et la file d’attente peut revenir.

Hors vendredis de Ramadan, les contrôles sont beaucoup plus sévères. Les Palestiniens se pressent dès 5h du matin pour aller travailler à Jérusalem, s’ils ont un permis de travail.

Les terminaux de Qalandia (Ramallah) et Gilo 300 (Bethléem) sont les principaux points d’entrées à Jérusalem. Mais il y a de nombreux checkpoints en Cisjordanie, soit fixes soit mobiles, pour entraver la libre circulation des Palestiniens. À l’entrée de nombreux villages, on trouve une barrière jaune, et souvent un poste de contrôle. En période calme, l’accès n’est pas contrôlé. Mais il peut l’être à tout moment.

Terminal de Qalandia, file des femmes © Patrice Leurent pour EAPPI et Défap

À Beit-Furik, où nous nous sommes rendus plusieurs fois, les habitants se plaignent du checkpoint sur le seul accès restant à leur village. Il peut être fermé à tout moment, pour un exercice militaire, pour quelques minutes ou quelques heures, sans information préalable. Les professeurs sont quelquefois empêchés de se rendre à l’école secondaire du village. C’est imprévisible. Et, comme dans beaucoup d’autres villages, les autres routes d’accès sont fermées par des blocs de pierre ou des talus en terre.

Le 15 mai, jour du 70ème anniversaire de la Nakba (la catastrophe de l’expulsion des Palestiniens en 1948) nous avons constaté que l’accès à de nombreux villages était fermé, avec présence de véhicules militaires. C’était pour prévenir tout risque de manifestation dans les Territoires occupés.

Pour se rendre à Beitilu, il faut passer par un double contrôle militaire le long de la colonie Halamish, puis par un checkpoint à l’entrée du village. Le maire nous raconte que quand la file de voiture est arrêtée au checkpoint, des colons jettent parfois des pierres sur les véhicules, sous les yeux des soldats. Quand nous l’avons rencontré dans sa mairie, un habitant nous a raconté un incident récent. Un soldat a fait arrêter son véhicule, et lui a demandé de charger son téléphone mobile sur le connecteur du véhicule. L’habitant a refusé. Interrogatoire pendant une demi-heure, puis le soldat l’a laisser partir. Mais il contacté le checkpoint suivant. Au checkpoint suivant, arrêt du véhicule, interrogatoire pendant une demi-heure, puis interdiction de passer. Il a dû rebrousser chemin.

Portes agricoles et permis

Passage dans une porte agricole © Patrice Leurent pour EAPPI et Défap

Il est 6h du matin. Quelques fermiers se pressent devant la grille, un tracteur, deux troupeaux de moutons. Nous sommes devant une porte agricole, dans la région de Tulkarem, au nord ouest de la Cisjordanie. Les fermiers attendent l’ouverture de la porte dans le mur de séparation entre Israël et la Palestine. Le mur en zone non urbaine est en fait une grille munie de nombreux détecteurs. Leurs terres se trouvent dans la « seam zone » , une zone de non-droit entre le mur de séparation et la ligne verte, frontière reconnue de l’État d’Israël. La porte est ouverte une demi-heure le matin, vers 6h, et une demi-heure l’après-midi, pour le retour des fermiers. Ils ont besoin d’un permis pour se rendre sur leurs terre, permis accordé pour l’accès à une seule porte agricole.

Les permis sont une autre arme pour limiter la liberté des Palestiniens. Permis pour se rendre à Jérusalem, permis de travail en Israël ou dans les colonies israéliennes. Ils sont accordés pour une période limitée et doivent être renouvelés. Et ils peuvent être abrogés à tout moment. En octobre dernier, un habitant d’Aqraba a tué au couteau un policier à Jérusalem. Quarante personnes de sa famille dans le village ont vu leur permis de travail supprimé. Israël pratique la méthode des punitions collectives, pratique interdite par le droit international. La maison du tueur présumé a reçu un ordre de démolition, démolition toujours pas effectuée. L’identité du tueur n’est pas confirmée !

Notre contact, Murad, nous montre les eaux polluées qui se déversent dans le fond de vallée. Nous sommes dans le village de Bruquin. Au-dessus de nous, sur la colline, une des deux zones industrielles israéliennes construites dans le prolongement de la grande colonie Ariel. Les eaux industrielles polluées se déversent en contrebas dans les villages palestiniens voisins. Dans la région de Salfit et à Bruquin, les habitants se plaignent, mais manifestent peu. Beaucoup travaillent dans la zone d’Ariel, et ils craignent de perdre leur permis de travail en Israël. Dans le village voisin de Kaf ad Dik par contre, les habitants ont porté plainte et déposé des recours. Beaucoup travaillent dans l’administration palestinienne à Ramallah, pas dans la colonie Ariel. La menace sur la perte du permis de travail est une arme efficace de l’occupation.

Pendant que les pompiers se coordonnent, le feu se propage

Le feu dans les terres de Burin sous la colonie Yizhar © Patrice Leurent pour EAPPI et Défap

Il est 18h. On s’apprête à effectuer notre marche du soir à Yanoun. Ghassan nous appelle. Des colons ont mis le feu à des terres palestiniennes à Burin, sous la colonie Yizhar. On se précipite. Ghassan nous emmène sur une piste à travers champs et oliviers. On observe le feu se propager au-dessus de nous. La récolte des olives sera perdue. Un peu plus haut sur la piste, un véhicule de la DCO israélienne. Au bout d’une demi-heure, le véhicule descend à notre niveau et nous demande de partir. La DCO israélienne n’aime pas que l’on observe et rapporte les incidents. Les pompiers de Burin ont été contactés vers 17h30. Ils sont intervenus vers 19h. À 19h30 le feu était circonscrit. Les terres sont en zone C, sous contrôle israélien. Les pompiers de Burin doivent se coordonner avec les Israéliens pour avoir l’autorisation d’intervenir. Contact avec la DCO palestinienne, qui contacte la DCO israélienne. C’est une conséquence des accords d’Oslo. Et pendant ce temps, le feu continue à se propager.

Ce sont quelques exemples sur l’occupation israélienne dont nous avons recueilli les témoignages. Nous sommes une équipe de trois volontaires internationaux EAPPI basés à Yanoun, un petit village au sud de Naplouse entouré par les avant-postes de la colonie Itamar. Nous avons un rôle de présence protectrice auprès des Palestiniens, et d’observateurs des droits de l’Homme dans la région du Sud Naplouse. Nos rapports d’incidents sont partagés avec d’autres organisations de défense des droits humains, comme OCHA-opt (agence de l’ONU pour le droit humanitaire, en territoire occupé de Palestine).

Patrice Leurent, 24 juin 2018

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