L’Institut Al Mowafaqa entre dans sa cinquième année d’existence, et même sixième en comptant «l’année zéro» (2012-2013), consacrée à sa mise en place. Projet soutenu par le Défap, à la fois par un financement direct et par l’envoi de boursiers, il a formé à ce jour 300 étudiants à une «culture du dialogue» interreligieux. Cette formation unique, répondant à une problématique contemporaine cruciale, reste pourtant trop peu connue en France. Bernard Coyault, son directeur, nous envoie des nouvelles de l’Institut.
Vue de l’Institut Al Mowafaqa © Institut Al Mowafaqa |
La montée des tensions sur fond de radicalisations religieuses illustre chaque jour la nécessité d’entretenir le dialogue interreligieux. Le phénomène traverse les frontières et aucune région du monde ne peut prétendre être épargnée. Mais comment dialoguer sans connaître l’autre, ce qui fonde sa foi – comment même un dialogue est-il possible si la parole de l’autre semble attaquer les bases de ma propre foi ? Les questions fondamentales sont les mêmes de l’Afrique à l’Europe, même si les enjeux géopolitiques diffèrent. Un organisme unique, l’institut œcuménique de théologie Al Mowafaqa (mot qui signifie «l’accord»), centre de formation religieuse installé à Rabat, au Maroc, se consacre entièrement à cette problématique du dialogue interculturel et interreligieux. Il est soutenu par le Défap, à la fois par un financement direct et par l’envoi de boursiers.
Bernard Coyault, directeur de l’Institut, a été sollicité dès 2011 pour réfléchir avec un petit groupe rassemblant protestants et catholiques à la mise en place de ce lieu de formation des cadres laïques. Il témoignait en février dernier : «L’intuition originelle du projet était de créer un lieu où l’on peut rencontrer l’autre avec une certaine exigence intellectuelle, en s’appuyant notamment sur l’expérience des cours «à deux voix» (catholique/protestant, Européen/Africain, chrétien/musulman, etc.) où le meilleur de chaque tradition est présenté et mis en dialogue.» L’appui académique est venu de Strasbourg et de l’Institut Catholique de Paris. Le conseil scientifique a été composé à parité avec une douzaine de professeurs africains et européens, catholiques et protestants, hommes et femmes. Aujourd’hui, l’institut propose une formation par alternance composée de sessions intensives de cours. Destinée initialement aux assistants de paroisses et aux pasteurs stagiaires, elle alterne cours et présence dans les communautés.
Une formation unique, trop peu connue en France
Mais cette formation unique, qui permet d’être outillé face à ce qui représente l’un des grands enjeux du monde contemporain, reste trop peu connue au sein de la communauté protestante de France, où les demandes de bourses sont peu nombreuses. Si les promotions d’étudiants reflètent la diversité de leurs origines, les Français y sont peu représentés.
Aujourd’hui, Bernard Coyault nous envoie des nouvelles de l’Institut. «Le rapport d’activités est l’occasion de mesurer le chemin parcouru. J’en extrais quelques chiffres : environ 300 étudiants réguliers formés depuis la création, auxquels s’ajoutent les participants de programmes ponctuels (session d’islamologie, formation des pasteurs des «Églises de Maison » issues de la migration), les groupes extérieurs, le public des conférences, etc. 81 professeurs visiteurs, dont plusieurs universitaires marocains, ont servi ces diverses audiences. Pour l’année académique écoulée, ils étaient 36 enseignants dont 8 femmes, d’Europe (15), du Maroc (5) et d’autres pays d’Afrique (14), du Liban (2) – et quant à leur appartenance confessionnelle, protestants (15), catholiques (14), musulmans (5) et juifs (2).
Notre 3e promotion, accueillie en juillet, reflète la même diversité. Les 18 nouveaux étudiants représentent pas moins de 14 pays (Bénin, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Centrafrique, Congo Brazza, RD Congo, Côte d’Ivoire, Gambie, Guinée Bissau, Niger, Sénégal, Soudan du Sud, Tchad). Ils se répartissent en trois groupes distincts : 1° les candidats boursiers des Églises au Maroc, alternant études et service des paroisses locales (4 catholiques et 3 protestants) ; 2° les candidats indépendants résidant au Maroc (5) ; 3° les candidats boursiers venus d’autres pays envoyés par leur Église (6). S’ajoutent encore quelques auditeurs libres.»
Des promotions marquées par la diversité
Étudiants de l’Institut Al Mowafaqa © Institut Al Mowafaqa |
«L’effectif croissant, y compris d’étudiants venus spécialement d’autre pays, la diversification des origines ecclésiales (catholiques, protestants traditionnels ou pentecôtistes/ charismatiques), sont autant d’éléments qui confirment le rayonnement croissant d’Al Mowafaqa et la pertinence de son modèle de formation théologique «en dialogue», en particulier pour les pays où le christianisme est minoritaire et l’islam majoritaire. Une autre étape à venir, sans que l’on sache à quel horizon sera la possibilité d’accueillir des étudiants marocains – en religion ou en sciences sociales – souhaitant découvrir ou approfondir leur connaissance du christianisme et du judaïsme et de leurs héritages intellectuels, théologiques, spirituels.
Le Maroc de par les évolutions internes de sa société, du fait aussi de l’ouverture croissante sur le continent africain et l’accueil de nouvelles populations, est exposé de façon inédite à la pluralité religieuse. D’autres pays du continent expérimentent quant à eux des tensions où les identités ethnico-religieuses sont dangereusement manipulées. Nos étudiants, et ceux qui les rejoindront en janvier prochain pour le Certificat, sont formés dans une «culture du dialogue», articulant l’approfondissement de sa propre tradition religieuse (y compris la manière d’en rendre compte à autrui) avec une connaissance des autres traditions et l’opportunité de les mettre en débat. Un point commun aux artisans du dialogue, c’est qu’ils sont souvent mal compris dans leur « camp» respectif, soupçonnés de confusion sinon de trahison. Nos étudiants retournent, ou retourneront un jour dans leur pays d’origine. Ils seront croyons-nous plus aptes à se poster sur les brèches pour promouvoir tant à l’échelle individuelle que collective, ce grand passage, indispensable pour assurer le bien commun « d’une culture du rejet à une culture de la rencontre et de l’accueil, d’une culture du soupçon à une culture de la confiance » (Cardinal Tauran, message aux évêques de l’ASSERAC, Yaoundé, 8/7/2017).»