Ce collège évangélique, situé en bordure d’un quartier contrôlé par des gangs, entretient un témoignage essentiel dans cette partie défavorisée de Port-au-Prince. Il est membre de la Fédération des Écoles Protestantes d’Haïti, partenaire de la Plateforme Haïti, dont fait partie le Défap. Le 13 novembre dernier, plusieurs personnes, dont un élève et un enseignant, y ont été abattues par la police en marge d’une opération antigang, pendant que son directeur était brutalisé et arrêté. Remis depuis en liberté, il est en attente d’un jugement, et le protestantisme haïtien réclame justice pour lui, et pour les victimes exécutées par la police.

 

Le collège évangélique Maranatha © Mission Biblique

Le protestantisme haïtien se mobilise et réclame justice après une opération de police qui a mal tourné au collège évangélique Maranatha. Elle s’est traduite par plusieurs morts, dont deux policiers, un élève, un enseignant et le gardien de l’école, ainsi que par huit jours d’incarcération pour le directeur du collège, Armand Louis.

Le collège Maranatha se trouve au Sud-Est de Port-au-Prince, dans un secteur boisé surplombant le quartier de Grande-Ravine, où sévissent des gangs qui rackettent impunément la population. Le 13 novembre, vers les 5 heures du matin, 260 membres de l’Unité Départementale de Maintien de l’Ordre (Udmo) et de la Direction Centrale de la Police Administrative (DCPA), accompagnés de forces de la Mission des Nations Unies pour l’appui à la justice en Haïti (MINUJUSTH), se sont déployés dans le quartier en vue de lancer une opération antigang, et ont pénétré dans le collège. Arrivé dans la matinée et trouvant les policiers sur place, le directeur du collège leur a offert sa collaboration et leur a permis de fouiller les bâtiments du campus. Mais des individus armés avaient franchi le mur d’enceinte ; une fusillade a éclaté, deux policiers ont été tués. Les membres des forces de l’ordre, accusant le directeur de les avoir menés dans un guet-apens, ont commencé à le molester, et ont exécuté sommairement plusieurs personnes présentes qui tentaient de s’interposer. L’opération de police s’est soldée par un échec ; le chef de la Police Nationale Haïtienne (PNH) a reconnu qu’aucune arme n’avait été saisie ; quant au directeur du collège, il a été placé en détention. Malmené et victime d’un malaise évoquant un AVC, il a dû recevoir des soins, qui lui ont été prodigués par sa fille, médecin.

Une arrestation «illégale et injuste»

Pour aller plus loin :
Présentation de la Plateforme Haïti sur le site de la Fédération Protestante de France
Les événements au collège Maranatha suivis sur le site de la Mission Biblique

L’Union évangélique baptiste d’Haïti (UEBH) a rapidement diffusé un communiqué déplorant le comportement des policiers envers Armand Louis, qui a toujours fait preuve d’«intégrité», de «rectitude» et d’«intérêt pour l’éducation de tous les enfants de la zone». Outre son rôle de directeur d’école, Armand Louis est prédicateur laïc, ingénieur de formation, membre du comité exécutif de l’UEBH, et a fait partie de la Commission indépendante d’évaluation et de vérification électorale (Cieve) lors de la présidentielle de 2015. Quant au collège Maranatha qu’il dirige, c’est un établissement d’une qualité reconnue, créé en 1956 et membre de la Fédération des Écoles Protestantes d’Haïti (FEPH), qui regroupe 3000 écoles ; un lieu qui ne peut en aucun cas, comme l’a souligné la FEPH, être «un repaire de bandits».

La mobilisation qui s’est développée au sein du milieu enseignant haïtien et du monde protestant s’est rapidement focalisée sur la nécessité de libérer au plus vite le directeur du collège Maranatha. L’Union nationale des normaliennes et normaliens haïtiens (Unnoh) et le parti politique Rasin kan pèp ont dénoncé une arrestation «illégale et injuste». La FEPH a dénoncé un affront contre le secteur éducatif en général et le monde protestant en particulier. «Cette humiliation infligée par des agents de la PNH à un éducateur chevronné, ayant consacré plus de 30 années de sa vie à la formation de plusieurs générations de jeunes haïtiens, est intolérable», a-t-elle notamment écrit.

Le protestantisme français s’implique

Le directeur du collège Maranatha, Armand Louis © Mission Biblique

Fait rare, cette situation a aussi été dénoncée par le ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle (MENFP), qui a déploré que de tels événements aient pu se produire dans une école, lieu qui doit être un sanctuaire pour les enfants. La FEPH étant l’un des partenaires de la Plateforme Haïti, constituée en 2008 sous l’égide de la Fédération Protestante de France, et particulièrement active à partir de 2010 à la suite du séisme qui avait dévasté la région de Port-au-Prince, le protestantisme français a également réagi : «Beaucoup d’entre nous ont pu visiter le collège et connaissent les conditions difficiles de travail et de témoignage dans cette zone», a souligné dès le 14 novembre un communiqué de la Plateforme, dont fait partie le Défap. «Nous espérons que la situation de Armand Louis puisse être clarifiée et résolue dans les meilleurs délais».

À partir du lundi 20 novembre a été lancée une semaine d’actions à Port-au-Prince pour réclamer justice : conférence de presse, sit-ins, marches à l’appel d’organisations étudiantes et de l’ensemble des écoles protestantes. Entretemps, Armand Louis a été remis en liberté, dans l’après-midi du 20 novembre ; mais les charges pesant sur lui n’ont pas été levées pour autant, et il ne s’agit que d’une libération conditionnelle. Les autorités haïtiennes commencent pourtant à reconnaître les torts de la police.

Le traumatisme est profond au collège Maranatha

Deux des personnes abattues par la police au collège Maranatha : Julio, le gardien (à gauche); Jean Baptiste David, enseignant (à droite) © Mission Biblique

Une enquête a été lancée et ses résultats doivent être connus sous peu ; le premier ministre Jack Guy Lafontant, également chef du Conseil supérieur de la police nationale (Cspn), a promis des sanctions à l’encontre des responsables. La mobilisation se poursuit désormais à Port-au-Prince pour que la vérité soit connue sur cette opération de police.

Mais le traumatisme est profond au collège Maranatha. Fermé depuis le 13 novembre, il a rouvert ses portes le 20 pour accueillir les enseignants, leur permettre de parler, les accompagner après le drame et préparer, en compagnie de psychologues, le retour des élèves. La reprise des cours est annoncée pour le 27. Une semaine de partages, d’échanges et d’encouragements a été prévue pour libérer la parole des enfants. Les murs portent encore les traces des impacts de balles ; et dans les jours qui ont suivi la fusillade, les locaux, pourtant placés sous la protection de la police, ont été pillés, les ordinateurs et le mobilier volés.

Le protestantisme français, à travers la Plateforme Haïti, reste mobilisé et solidaire avec le collège Maranatha et l’UEBH.

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