Il est probable que Célin Nzambé, ancien envoyé de la Cevaa et toujours collaborateur du Défap, ignore cette formule. Le projet monumental auquel il s’est attelé ne semble pas l’effrayer une seconde. Médecin et pasteur, il nous a accueillis lors de son passage en France fin mai pour un entretien passionnant.

C’est le fruit de la collaboration de plusieurs paroisses de France (La Rochelle, Villeneuve Saint Georges et Valence). Son but : réhabiliter au Cameroun une quinzaine d’hôpitaux abandonnés depuis plus de 10 ans pour certains. Personnel individualiste, patients méfiants, hiérarchie corrompue…tout est à reconstruire. C’est avec l’œil brillant et le sourire facile qu’il raconte simplement cette épopée, celle d’un témoin de Jésus Christ.

« Mon premier projet de réhabilitation d’hôpital a été pour l’Union des Eglises Baptistes du Cameroun (UEBC). Le cas est fréquent. Les hôpitaux laissés par les missionnaires ont souvent été considérés comme un tiroir-caisse où il était légitime que chacun se serve. Je suis désormais en poste dans l’EPC où m’a été confié la réhabilitation d’hôpitaux appartenant à l’Eglise.

Nous partons d’un constat : nous héritons de très beaux bâtiments construit entre 1920 et 1935, des quartiers entiers qui peuvent accueillir jusqu’à 100 personnes, avec parfois 10 places en blocs opératoires. Mais il n’y a plus de patient et le personnel, impayé depuis des années, s’est approprié les lieux en famille.

A la base, il y a toujours un problème de gestion. Mais j’ai développé une méthode qui a fait ses preuves : je m’installe avec les gens. En habitant avec eux et en partageant leur quotidien, je me fais petit à petit une place.  Je soigne gratuitement tous ceux qui ont en besoin et communique auprès des vendeuses de poissons, des motos taxi et des coiffeuses qui, en contact avec le reste de la population, diffusent facilement l’information : à l’hôpital, on peut à nouveau se faire soigner.

Dès le 3ème mois, les malades reviennent. On peut ainsi payer 30 à 40% des salaires du personnel. Certains n’ont pas été payés depuis 10 ans ! Il faut environ un an pour que tous les villages aux alentours aient l’information. Mon but, c’est de redonner confiance. Redonner confiance aux patients mais surtout aux personnels hospitaliers. Et leur donner envie à nouveau de faire de la médecine.
Dès la deuxième année, on rééquipe l’hôpital et restaure le matériel. »

 

La difficulté des premiers mois

« C’est vrai que le premier trimestre est très dur : pas de salaire, des conditions de travail épouvantables, une grande amplitude de tâches…Il faut être à la fois urgentiste, radiologue, chirurgien, gynécologue, laborantin, directeur, trésorier, RH… et tout apprendre pour ne pas se faire avoir par la hiérarchie qui considère toujours l’hôpital comme une manne inépuisable.

Bien-sûr, j’adapte mes méthodes à chaque établissement. Et je réalise avec le personnel des livrets de formations pour atteindre les objectifs que nous formulons ensemble, 12 au total : améliorer l’accueil, la motivation, la gestion et les soins… Ce sont eux qui décident comment le faire. Chaque semaine, nous choisissons un axe de travail.

Toutes les décisions sont collectives et doivent être approuvées par le comité de gestion. Cela évite les demandes illégitimes car personne n’a envie d’être associé à haute voix et devant témoins à ces pratiques. Le comité est constitué du conseil, de deux délégués du personnel, d’un représentant du village et du pasteur. »

La moyenne d’âge du personnel actuel est de 50 ans. Certaines compétences seront difficiles à remplacer après les départs en retraite.

 

Panser aujourd’hui et penser demain

« L’objectif, c’est aussi de repérer rapidement ceux et celles qui prendront ma suite. Pour cela, l’épreuve des premiers mois est fort utile : ceux et celles qui acceptent de s’investir dans le projet sans attente financière prouvent ainsi la force de leur implication. Ils sont le plus souvent jeunes, dotés d’une petite expérience médicale et habités d’une forte volonté d’apporter aux autres un peu de ce qu’ils sont. Le sacrifice du début, à mes côtés, est une sorte d’épreuve du feu. Ils vivent cette expérience comme une aventure. Je pense tout particulièrement à Angela Boumsong qui opère désormais seule les patients, avec une belle réussite.

Le recrutement se fait petit à petit. Il y a actuellement 6 jeunes infirmières et 1 kinésithérapeute en stage dans les établissements. Des jeunes volontaires en service international (VSCI) permettent aussi de faire changer les comportements professionnels. Encore une fois, c’est le comité de gestion qui approuve le recrutement, évitant ainsi tout parachutage « amical » mais souvent incompétent. Aujourd’hui, 3 médecins sont à l’œuvre dans les 4 premiers hôpitaux du programme de réhabilitation et leurs salaires sont assurés, garantissant ainsi la pérennité des établissements.

Bien gérées, ces structures nous permettent d’augmenter petit à petit le niveau de vie du personnel, de donner des primes et de rendre le vol auparavant monnaie courante plus rare.
Nous participons aussi à la vie de la cité, en finançant des projets pour les groupes de femmes ou les écoles environnantes. »

 


Poste d’échographie à l’hôpital de Sarbayeme, DR


Madame Sara Moutassi, infirmière chef, DR

 

De la mort à la vie

« Réparer les corps, réconcilier les familles, donner la vie sans la perdre…voilà ce qui m’anime. Je me sens plus pasteur que médecin, c’est vrai. Mais j’ai d’autres projets encore. Le rêve de fonder une mutuelle de santé qui servirait de modèle pour tous les autres hôpitaux de l’EPC.  Avec un objectif : soigner avec un coût à hauteur de 20 % les malades, le reste étant à la charge de la mutuelle, et permettre ainsi aux plus pauvres un accès aux soins. Les calculs sont faits, deux consistoires sont intéressés et plus de 44 églises soutiennent déjà le projet.

Je ne cherche pas à changer le Monde, je suis simplement un témoin, une petite lumière dans les ténèbres qui entourent parfois l’action humaine. Grâce à Dieu, je peux être ici, là où l’on a besoin de moi. Je peux agir, à ma mesure certes, et même si je n’avais pu sauver qu’une seule vie, ne former qu’un seul médecin, cela me suffirait déjà. Je ne cherche pas à gagner la guerre mais à placer quelques lumières qui peut être, donneront naissance à leur tour à d’autres lumières. »


Madame Bien Suzanne, laborantine, DR


Ordre de passage des médecins et infirmiers chefs, DR

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