Au début, comme souvent, c’est d’abord une histoire d’amitié. Celle qui lie le pasteur de l’Eglise évangélique du Maroc, Samuel Amédro, à l’évêque du diocèse, Vincent Landel. Face à l’augmentation du nombre de chrétiens, des étudiants subsahariens principalement, des paroisses nouvelles émergent dès les années 1990. Pourtant, dans les années 1980, tout laissait penser que l’Église était en déclin.

Plus encore : durant la décennie 2000, un manque de pasteurs et de prêtres s’est fait sentir. C’est pour remédier à ce constat qu’a été créé l’institut. Son but : former des responsables religieux pour accompagner les fidèles, dans une volonté d’ouverture. Oublions la crainte et la peur. Pour les étudiants résidant au Maroc, l’Eglise est un refuge, une communauté, un lieu de ressources dans un contexte parfois difficile (manque de moyens, décalage culturel, racisme…). Mais ce refuge peut aussi devenir tentation de repli. Il est alors nécessaire de penser la présence chrétienne comme témoignage de Jésus-Christ : apprendre à connaitre et aimer les gens qui nous entourent et vivre positivement ce temps au Maroc.

Institut Al Mowafaqa, DR

Les prémices d’un projet ambitieux

Bernard Coyault, directeur de l’Institut, a été sollicité dès 2011 pour réfléchir avec un petit groupe rassemblant protestants et catholiques à la mise en place de ce lieu de formation des cadres laïques. Avec cette question : « pourquoi pas une formation unique de théologie comportant une base commune aux protestants et aux catholiques ? ». Un premier cycle universitaire ensemble ? Et pourquoi pas !

Les autorités marocaines ont été consultées. « Il fallait demander conseil pour éviter d’être perçu comme un bastion évangélisateur ».

L’appui académique est venu de Strasbourg et de l’Institut Catholique de Paris. Le conseil scientifique a été composé à parité avec une douzaine de professeurs africains et européens, catholiques et protestants, hommes et femmes. Une rencontre a lieu en juillet 2012 pour constituer la première maquette du programme. Le concept est simple : il s’agit de proposer une formation par alternance composée de sessions intensives de cours. Destinée initialement aux assistants de paroisses et aux pasteurs stagiaires, elle alterne cours et présence dans les communautés.

« Au Maroc, l’Eglise s’africanise »

Avec l’arrivée des étudiants dans les facultés marocaines et la présence accrue des personnes migrantes, l’Église « s’africanise ». Elle devient dans le même temps moins « menaçante » pour les Marocains. Les préjugés, hérités de l’histoire coloniale, disparaissent petit à petit.

La coopération grandissante du Maroc avec les pays subsahariens et la sédentarisation des étudiants et des migrants accroissent la présence chrétienne au Maroc. Les Marocains découvrent un autre christianisme que celui, ambigu, lié à la colonisation, un christianisme à très grande majorité africain.

Preuve que les autorités marocaines sont attentives à ces évolutions et aux propositions de l’intitut : celui-ci a été sollicité par la Rabita des Oulémas1 pour mettre en place, à partir de septembre 2017, un séminaire mensuel pour former des étudiants marocains en religion à la connaissance du christianisme et au dialogue interreligieux. En novembre dernier, l’Institut a d’ailleurs accueilli un colloque co-organisé avec l’Université Internationale de Rabat, l’UPAC (Yaoundé) et l’IRD (Institut de Recherches et Développement) français. Il s’intitulait : « Afrique(s) et radicalité religieuse ». Des théologiens, des sociologues, des philosophes et des historiens de treize pays différents y sont intervenus.

Une alternative aux foyers de crispation

Bernard Coyault témoigne : « L’intuition originelle du projet était de créer un lieu où l’on peut rencontrer l’autre avec une certaine exigence intellectuelle, en s’appuyant notamment sur l’expérience des cours « à deux voix » (catholique/protestant, Européen/Africain, chrétien/musulman, etc.) où le meilleur de chaque tradition est présenté et mis en dialogue. Al Mowafaqa est devenu un laboratoire où l’on donne la parole à l’autre. Ce processus d’apprentissage qui privilégie l’écoute et le débat plutôt que la confrontation, avec les multiples occasions de partage, forge des personnalités qui, quand elles rentrent au pays, sont aptes à écouter et à accueillir l’autre. Al Mowafaqa devient alors une alternative aux foyers de crispation. »

Ici, on apprend à estimer l’autre en restant soi-même et en affirmant qui on est. Il y a d’autres pays de la sous-région où les chrétiens sont minoritaires. La compétition entre les groupes de chrétiens est contreproductive : elle empêche toute réflexion et action commune et nuit finalement au témoignage. Pourtant, il faut une approche intelligente de l’Islam, faite de dialogue et non de tension, basée sur l’estime plutôt que le mépris.

Deux universitaires marocains font partie du conseil scientifique de l’Institut. Lequel a par ailleurs recruté un professeur marocain d’arabe et d’islamologie à plein temps

Bernard Coyault et la promotion 2017 du certificat Al Mowafaqa – DR

 

Programme à la carte et Forem

La première session de cours à l’Institut a débuté en février 2013, avec une trentaine de personnes. Pour la formation longue en théologie, il y a une promotion tous les deux ans. La première remise de diplômes aura lieu en juillet 2017 après un  parcours de quatre années.

Un certificat pour le dialogue des religions et des cultures (formation courte de cinq mois) a été créé avec l’ISTR (Catho-Paris). Moins théologique, il est axé surtout sur la connaissance de l’islam, avec des cours de sociologie des religions, de pédagogie interculturelle ou encore d’arabe.

L’Institut Al Mowafaqa accueille actuellement sa troisième promotion. Le public est très varié : un étudiant en philosophie venu de Nantes, une étudiante en théologie allemande, une protestante et deux catholiques centrafricains, une sœur malienne, deux protestants, un laïc et un pasteur arrivés de l’extrême nord du Cameroun (dans la zone où sévit le mouvement terroriste Boko Haram), une jeune théologienne congolaise, responsable de l’ouverture d’un Institut de théologie œcuménique à Goma, un séminariste du diocèse d’Evry…

L’ambition de l’établissement est d’accueillir tous ceux qui souhaitent se former dans cet esprit d’ouverture et participer à l’amélioration du « vivre ensemble ». Des personnes de profils très différents s’inscrivent donc au certificat ou en licence de théologie. Il y a également des groupes de paroisses venus de France ou d’Allemagne qui viennent en visite. Et un public marocain se développe petit à petit. Toutes les conférences sont ouvertes au public. (télécharger le programme).

Parmi les auditoires spécifiques, il y a aussi les Eglises de migrants qui se sont développées dans les quartiers périphériques à Rabat ou de Casablanca. Une formation des responsables des Eglises de maison au Maroc (Forem) a été mise en place, elle a lieu huit samedis par an. Au sein de ce réseau informel aussi important numériquement que les Eglises officielles, la cible est essentiellement les pasteurs évangélistes,  « prophètes » qui dirigent des communautés souvent en tension dans leur quartier.

Orientation pour 2017

Petit à petit, l’Institut gagne la confiance des autorités. Des liens se créent également avec les universitaires marocains. Être un lieu ressource pour former des étudiants marocains au pluralisme religieux et à la connaissance du christianisme, voilà une nouvelle mission qui pourrait également être mise sur pied.

Bernard Coyault conclut : « Nous sommes au service du pays qui nous accueille. C’est aux Marocains eux-mêmes de nous dire ce qu’ils attendent d’un Institut comme le nôtre et comment, au delà du service rendu aux Eglises chrétiennes du pays, nous pouvons contribuer à une meilleure compréhension du christianisme dans ce pays, sans agenda caché ni esprit de prosélytisme ».

 

 

1 La Rabita Mohammadia des Oulémas est chargée, selon ses textes fondateurs, de faire connaître les prescriptions de la Charia islamique et les nobles valeurs de l’islam : juste milieu et modération. Elle contribue également à l’animation de la vie scientifique et culturelle dans le domaine des études islamiques en renforçant les liens de coopération et de partenariat avec les établissements universitaires et les autres institutions scientifiques poursuivant les mêmes objectifs.
Cette institution, dont le siège est à Rabat, comprend trois organes : le conseil académique, le bureau exécutif et le secrétariat général.

 

 

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