Dans sa dernière lettre, Christopher Annandale, envoyé par le Défap pour participer au programme EAPPI (Ecumenical Accompaniment Program in Palestine and Israel) dépeint le quotidien d’une famille palestinienne. Voici son témoignage.

Vallée du Jourdain, entre Beït Shéan et Jéricho, vue depuis le côté palestinien
vers les montagnes en Jordanie ©Tango7174-wiki-Media commons

Chaque famille palestinienne a ses spécificités. La famille sur laquelle j’ai décidé de dresser quelques lignes n’est pas, je crois, une famille typique. Mais elle revêt certaines caractéristiques qu’elle partage avec d’autres familles : elle a dû abandonner son domicile lors de la Guerre de 1948, d’une part, et beaucoup de ses membres étant partis à droite et à gauche font partie depuis de la diaspora palestinienne, d’autre part. La majorité des Palestiniens, semble-t-il, vivent aujourd’hui en dehors de la Palestine.

Cette famille est chrétienne, ses membres appartiennent à l’Eglise Grecque Orthodoxe, sans doute la plus grande Eglise palestinienne. Elle est donc atypique car les Chrétiens qui constituaient il y a quelque temps 2% de la population palestinienne ne représenteraient plus que 1%. 

La raison principale pour laquelle j’ai choisi cette famille est d’ordre purement pratique. Les trois membres que nous avons rencontrés, et sans doute les autres membres de la famille directe, parlent couramment l’anglais. Ce n’est pas courant en Palestine de faire la connaissance de Palestiniens dont l’anglais dépasse quelques phrases, nécessitant ainsi un recours à un traducteur avec des risques de compréhension souvent importants.

Nous avons rencontré la famille deux fois. La première fois un des fils, Georges*, âgé de 45 ans environ, qui exerce le métier de fermier. C’est un bonhomme costaud, souriant. Nous n’avons pas vraiment fait la connaissance de sa femme, celle-ci étant sans doute très occupée par ailleurs. Il a l’air content de faire la conversation avec nous au sujet principalement de l’agriculture dans la Vallée du Jourdain et notamment de sa propre ferme.

(*) Ce sont des prénoms fictifs.

Nous lui avons demandé un deuxième rendez-vous pour pouvoir explorer davantage l’histoire de sa famille. La deuxième fois Georges s’est substitué sa mère, Christine*. Elle nous a narré les péripéties de la famille depuis sa naissance.

 

 

Christine est petite, aux cheveux gris. Son visage est lumineux. Nous ne connaissons pas la date de sa naissance. Elle est née avant la Guerre de 1948, guerre dans laquelle les frontières de l’État d’Israël ont été établies pour la première fois. La ville de Jérusalem a été divisée en deux, la partie est étant occupée par la Jordanie et la partie ouest par Israël. Au moment de la Guerre sa famille habitait un peu à l’extérieur de la Vieille Ville de Jérusalem, dans un quartier en face de la Porte de Jaffa. Elle allait à l’Ecole St Joseph, une école française. D’ailleurs elle parle toujours le français.

Christine nous raconte qu’à l’époque les relations entre Juifs, Musulmans et Chrétiens étaient bonnes. Sa meilleure amie étant juive, elles sont restées en contact mais son amie est partie en Zimbabwe depuis lors.

La famille de Christine est composée des parents et six enfants, quatre garçons et deux filles. Les enfants sont tous restés en Palestine, alors que les membres de la famille élargie se sont dispersés partout dans le monde.

En 1948 la famille a pris peur. Elle a quitté Jérusalem pour s’établir à Bethléem, d’abord dans une maison louée à des amis, ensuite dans une maison dont ils sont les propriétaires. A la suite de la Guerre de Six Jours, en 1967, les autorités israéliennes annoncent aux Palestiniens de Bethléem que des bus sont à leur disposition pour les emmener en Jordanie. Elle était mariée avec 5 enfants. Le couple a décidé de rester en Palestine. Mais ils ont acquis la ferme où nous leur rendons visite aujourd’hui, à quelques kilomètres de Jéricho.

La ferme est exploitée par un de ses fils, Georges. Son frère, Youssef* est propriétaire d’un magasin (nous avons compris que la ferme appartient aux deux frères).

Il y a 15 ou 20 ans, la ferme était en pleine expansion. Elle produisait des tomates, concombres, aubergines …et de nombreux fruits. Il y avait de beaux arbres. Aujourd’hui il ne reste plus grande chose. Les ressources aquatiques de la communauté ont été accaparées par la société israélienne, Mékorot, principalement au profit des colons juifs. Christine nous indique les canaux en béton secs dans le jardin. Son fils est en train de faire creuser deux réservoirs, l’un pour l’eau «grise» (par exemple, l’eau du lessive) et l’autre pour l’eau «noire» (l’eau des toilettes). Il n’est plus possible de vivre sur les produits de la ferme ; il faut y joindre une autre activité rémunérée.

Georges reçoit un groupe d’étudiants américains en ce moment qui s’appelle « Build Israel-Palestine». C’est un groupe mixte de Chrétiens, Juifs et Arabes.

La fille de Christine, que nous avons rencontré brièvement, vit en Jordanie. Elle a acquis la nationalité jordanienne. De temps à autre elle vient rendre visite à sa mère. Elle nous informe que les Israéliens achètent des terres agricoles en Jordanie.

Christine a toujours insisté sur les vertus de l’éducation pour les enfants de la famille. Deux de ses petits-enfants étudient des sujets costauds: le design graphique et les sciences informatiques.

« Nous vivons sur l’espoir », nous dit Christine.

Christopher Annandale , accompagnateur œcuménique

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