Laurent Mérer, envoyé en Israël/Palestine, raconte l’histoire d’une démolition punitive d’une habitation.
Un message (du jeudi 31 mars à 08h48) de l’Agence des Nations Unies nous prévient : « Les forces israéliennes ont mené ce matin une opération de démolition punitive d’une maison d’habitation dans le quartier de Jabt Alshareef à Hébron. Pour plus d’information contacter le… ».
La maison appartient à la famille d’un jeune Palestinien, Ihab Maswada, tué par balle le 7 décembre dernier pour avoir poignardé un colon en ville. Son cousin, Abd al-Rahman, est tué deux jours plus tard rue Al-Shuhada au cours de l’attaque de deux Israéliens. Tous deux ont une vingtaine d’années. La tension est vive à cette époque à Hébron, après l’assassinat au check-point 56 par les forces israéliennes en novembre d’une jeune palestinienne de 18 ans, et le maquillage de cet assassinat en attaque. Si l’armée nie, personne à Hébron n’est dupe : un témoin a vu les soldats déposer un couteau près du corps de la malheureuse ; de ce fait les autorités israéliennes sont fébriles. Un portrait de la jeune fille dressé à l’entrée du check-point sera tronçonné quelques semaines plus tard pendant la nuit par l’armée.
La maison en ruines, DR
A l’évidence, Ihab Maswada et Abd al-Rahman sont coupables. Terroristes, proclament les Israéliens. Résistance, affirment les Palestiniens. Les Français connaissent cette histoire : nos grands-pères qui tiraient sur des Allemands armés sous l’occupation étaient-ils des terroristes ou des résistants – des héros ? Ici, l’occupation dure depuis maintenant cinquante ans. Le seul horizon de ces jeunes, ce sont les murs, les check-points, les barbelés, l’humiliation des fouilles au corps, et les colons qui paradent, armés jusqu’aux dents. Les autorités palestiniennes et les Palestiniens raisonnables condamnent ces actes de jeunes désespérés qui font en réalité le jeu des colons et des Israéliens, en maintenant une tension qui justifie les déploiements de forces et l’accaparement de nouvelles terres pour « raison de sécurité ».
Notre ami Arrafat nous conduit vers Jabt Alshareef samedi 2 avril dans l’après-midi. La petite rue du quartier populaire qui descend à flanc de colline est encombrée. Un voisin nous montre la maison. Aucun signe extérieur d’exaction, mais dès que nous franchissons le seuil, le spectacle est désolant : toutes les cloisons intérieures du rez-de-chaussée ont été démolies à la masse. Il ne reste qu’un tas de gravats et les meubles disloqués. Cette partie de la maison était occupée par les parents. Nous montons à l’étage dans le salon où deux lits ont été installés.
Le frère nous raconte : « une centaine de soldats ont envahi et bouclé le quartier vers minuit. Plusieurs sont entrés chez nous et nous ont donné dix minutes pour évacuer les lieux. Nous sommes montés ici, au premier étage, et en bas ils ont défoncé les murs à la masse ». « Ils ont tiré une grenade lacrymogène dans la maison, et tout le monde s’est mis à pleurer », ajoute la maman de Maswada, une femme de belle allure dans la cinquantaine, digne sous son voile bleu à motifs blancs, assise en coin dans un fauteuil. Visiblement, elle est encore sous le choc, alors que le frère d’Ihab Maswada qui nous raconte la scène est plus serein. Les belles sœurs servent le café, les enfants jouent sur les deux lits. « Elle est fatiguée », nous dit le frère. Deux autres frères nous ont rejoints. Nous sommes une dizaine dans la petite pièce réaménagée pour héberger les parents.
Les autorités israéliennes, nous expliquent-ils, avaient établi un premier ordre de démolition dès février, resté sans effet. Un deuxième avait été dressé trois jours auparavant, et les soldats avaient dit au père de famille qu’il serait exécuté dans la semaine. « Mais nous avons été surpris quand ils se sont présentés peu après minuit », nous disent-ils.
Les démolitions punitives ont été instituées par le gouvernement Netanyahu à la mi-octobre, suite au regain de tension, et plusieurs ont été réalisées depuis cette date. Le mouvement s’est poursuivi malgré les recommandations du comité militaire israélien qui a déclaré qu’elles n’étaient pas dissuasives.
Les familles qui reçoivent des ordres de démolition peuvent faire appel de la décision, mais ces appels ont toujours été rejetés par la Haute Cour. Plusieurs organisations israéliennes condamnent ces sanctions collectives à l’égard des membres des familles qui n’ont commis aucun crime.
La maman s’endort tranquillement dans le fauteuil, tandis que les frères nous raccompagnent en nous remerciant chaleureusement de la visite. Denier passage au milieu des gravats. Outre les voisins très solidaires, nous sommes les premiers visiteurs à venir leur manifester notre solidarité.