« Il est 7 heures du matin, et le jour se lève à peine sur la plaine de Jinba. Au loin, les premiers contreforts du Néguev émergent de la brume. Tout est calme et paisible dans le petit campement de Ziad, où nous venons de passer la nuit. Seul le hurlement des chacals et l’aboiement d’un chien isolé sont venus troubler le silence nocturne. Ziad s’est levé bien avant l’aube ce matin, et après avoir prié par deux fois comme le lui commande sa religion, il s’est activé sans relâche pour apporter fourrage et maïs à ses cent vingt brebis, réparties dans deux enclos de fortune.

Ziad vit seul ici dans une petite maison très simple. Le confort bien rudimentaire semble le satisfaire. L’électricité est fournie par des panneaux solaires, et l’eau collectée dans des citernes. Une ONG locale a installé récemment des toilettes dans une construction séparée. Quelques oliviers et un figuier agrémentent la petite plateforme où il se tient quand il a un instant de repos. Un petit paradis sur terre donc. Et pourtant !

 

Le jour se lève sur la plaine de Jinba et le Néguev DR

Le jour se lève sur la plaine de Jinba et le Néguev DR

 

En fait, cela fait six ans que Ziad a pu revenir dans ce hameau constitué de quelques masures de pierre accrochées à flanc de montagne et de cavernes creusées dans les falaises calcaires. Deux autres familles ont vécu ici jusqu’en 2011, mais sont reparties depuis, à cause des difficultés quotidiennes et de l’insécurité. La femme de Ziad et son dernier fils sont eux aussi partis pour habiter la petite ville voisine. Auparavant, en 1999, la zone avait été déclarée zone militaire, et les populations expulsées. Et ce retour n’est cependant que très aléatoire, car depuis les accords d’Oslo en 1995, la zone a été classée en zone C, c’est à dire sous contrôle de l’armée israélienne, et Ziad peut être chassé de nouveau à tout moment et sans préavis.

 

Ziad apportant le thé du matin DR

Ziad apportant le thé du matin DR

 

Dans cette zone, toute l’infrastructure et les services publics sont mis en place par Israël. Selon le droit international, tous les habitants de la zone, israéliens ou palestiniens, ont les mêmes droits et devraient recevoir les mêmes services publics. Force est de constater, cependant, que les populations palestiniennes sont totalement négligées. Le système de routes, l’alimentation en eau, le rattachement au réseau électrique, et les autres services publics, sont organisés uniquement en fonction des besoins de l’état d’Israël et des colonies et avant-postes israéliens.

Quant aux populations palestiniennes qui vivent dans cette zone (300.000h), habitants historiques et réfugiés, elles doivent se débrouiller avec des moyens rudimentaires et l’aide bien faible de l’autorité palestinienne et des organismes internationaux pour couvrir leurs besoins essentiels. Et les initiatives, quelles qu’elles soient, semblent systématiquement contrecarrées par les services administratifs de la zone, dans les faits une émanation de l’armée israélienne.

 

 

 

A titre d’exemple, et bien que la zone ait été habitée depuis des temps ancestraux par les populations locales, comme en témoignent de nombreux vestiges, toute construction nouvelle ou réparation de construction existante doit faire l’objet d’un permis. Cette autorisation concerne les maisons individuelles, les écoles, les pistes d’accès, les citernes, les panneaux solaires, les bergeries et poulaillers : tout ce qui constitue le minimum nécessaire le plus élémentaire pour ces populations rurales ou nomades, est soumis a un permis préalable.

Et les permis ne sont pratiquement jamais attribués : dans l’ensemble de la zone C, sur 13 000 demandes de permis déposées, moins d’une centaine ont été acceptées au cours de l’année passée. Par voie de conséquence, beaucoup de constructions ont été érigées sans permis, et la plupart font donc l’objet d’arrêtés de démolition. L’armée peut intervenir à tout moment pour démolir les constructions frappées par ces arrêtés. De plus, beaucoup de petits propriétaires terriens, pourtant en possession de titres dûment établis, se voient spoliés de leurs terrains par les colons ou l’état israélien, et les recours vers les autorités judiciaires aboutissent très rarement.

 

Mais revenons à la raison qui nous a amenés à passer la nuit avec Ziad le 13 octobre dernier.  La veille à la tombée du jour, sept colons habitant un avant-poste voisin (qu’ils ont surnommé «la Ferme de Lucifer» !), étaient venus couper le tuyau d’alimentation en eau de sa citerne, et sa maisonnette et sa bergerie étaient privées d’eau. L’infortuné Ziad n’avait eu d’autre ressource que d’appeler les fermiers d’un campement voisin, Susiya, situé à quelques kilomètres de là. Il avait peur, en effet, que ces mêmes colons reviennent pendant la nuit et ne commettent d’autres exactions.

 

La ferme de Lucifer DR

La ferme de Lucifer DR

 

Ces colons, et ceux d’une colonie voisine, n’en étaient d’ailleurs pas à leurs premiers méfaits. Ils viennent très régulièrement troubler la vie de Ziad et celle des habitants de la plaine de Jinba, en contrebas de la bergerie de Ziad. Le dimanche précédent, ils avaient bloqué la piste d’accès avec de gros blocs de pierre, et les instituteurs, arrivant au matin de la ville voisine de Yatta, avaient dû déplacer ces blocs afin de poursuivre leur chemin.

Cette piste est pourtant cruciale pour les habitants de la zone car elle est utilisée pour acheminer les denrées et matériaux essentiels, et également sert de passage aux travailleurs palestiniens qui vont travailler quotidiennement dans la ville israélienne voisine de Arad (de fondation très ancienne, et dont il est fait référence à plusieurs reprises dans la Bible. Des fouilles ont d’ailleurs montré que Jinba était une halte fréquentée, aux temps bibliques, sur la route de Beer-Schéba à Jéricho).

 

Ziad réamorce le système DR

Ziad réamorce le système DR

 

Dans cette plaine vivent 350 à 400 personnes réparties dans quatre ou cinq hameaux, principalement des bédouins réfugiés en Cisjordanie depuis 1948, et qui nomadisaient auparavant dans la région de Beer-Schéba (bédouins déplacés, donc, en violation du droit international). Une école y a été construite en 2015, qui reçoit quotidiennement 35 élèves, garçons et filles, pour les sept premières années d’enseignement. L’école et la plupart des constructions sont frappées d’arrêtés de démolition par l’administration militaire.

 

L’armée israélienne a quitté depuis quelques années la base qu’elle occupait dans cette plaine, mais continue à y revenir régulièrement, pour y conduire des séances de tir et et des manœuvres, sans guère se préoccuper des troubles causés aux habitants du lieu. Toute la journée d’ailleurs, l’air est rempli du vacarme des chasseurs de l’armée qui patrouillent à haute altitude, et il n’est pas rare qu’un hélicoptère militaire survole les hameaux ou que des véhicules militaires les traversent, pour une inspection plus rapprochée.

 

Ce soir, Ziad sera de nouveau seul dans sa maisonnette de pierre. Son repas sera constitué d’un peu de potage, de pain trempé dans de l’huile d’olive, et d’un verre de thé. Il se couchera ensuite vers 20h00, après la dernière prière sur soir, en espérant que la nuit sera calme, et qu’il retrouvera ses brebis lorsque l’aube poindra, comme tous les matins. »

Jacques Toureille
14 octobre 2015

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