Soledad André : du Liban à la France, accompagner les réfugiés

L’accueil de familles de réfugiés syriens en France, via le dispositif des « couloirs humanitaires », a repris en cette fin d’année, suite à la signature d’un nouveau protocole d’accord avec le ministère de l’Intérieur et le ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères. Ce dispositif, mis en place en 2017 et dont la prolongation a été annoncée par la Fédération de l’Entraide Protestante (FEP) et la Fédération Protestante de France (FPF), s’appuie sur la mobilisation de centaines de collectifs citoyens offrant sur tout le territoire un logement gracieux aux personnes accueillies, au-delà des cercles protestants. Soledad André, envoyée du Défap au Liban comme chargée de mission de la FEP dans le cadre de ce projet des « couloirs humanitaires », évoque sa mission au micro de Benjamin Bories dans l’émission « L’invité de la FPF ».

Soledad André, envoyée du Défap au Liban comme chargée de mission de la FEP © FPF

Le 16 novembre dernier, la Fédération de l’Entraide Protestante et la Fédération Protestante de France annonçaient la signature d’un nouveau protocole d’accord avec le ministère de l’Intérieur et le ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères. Il devait permettre l’accueil en France de 300 personnes réfugiées en provenance du Liban, prolongeant l’engagement initial dit « des couloirs humanitaires » signé en 2017 avec les mêmes ministères. Depuis, les arrivées de réfugiés en provenance du Liban ont pu reprendre à Roissy. Pour permettre leur accueil, il a fallu mettre en place une structure inédite, associant notamment des ONG et des institutions liées aux Églises, mais aussi des centaines de collectifs citoyens sur le territoire français pour héberger, accompagner, aider à l’apprentissage de la langue… Ce projet associe donc de nombreux partenaires, à la fois au Liban où il faut déterminer quelles personnes ou familles peuvent entrer dans le cadre des « couloirs humanitaires » avant de les accompagner dans leur démarche d’obtention de visa, et en France même.

Soledad André intervient au Liban. Elle est envoyée du Défap comme chargée de mission pour la Fédération de l’Entraide Protestante. Après la formation au départ suivie au siège du Défap, à Paris, elle a rejoint Beyrouth. Elle y a été rejointe récemment par une autre envoyée du Défap pour renforcer le dispositif. Elle évoque ci-dessous sa mission au micro de Benjamin Bories dans l’émission « L’invité de la FPF » :

Pour comprendre comment un tel réseau s’est constitué, il faut revenir à 2016, et en Italie. Cette année-là, plus de 5000 migrants tentant d’atteindre les côtes européennes étaient morts en Méditerranée. Chaos libyen, embarcations fragiles et surchargées par les passeurs, multiplication des voyages pour tenter de contourner la surveillance des garde-côtes italiens : autant de facteurs qui avaient fait de 2016 une année particulièrement meurtrière – avec en outre une série de drames fortement médiatisés qui avaient créé un choc au sein des opinions publiques européennes. La provenance de ces naufragés venus mourir en Méditerranée, les « routes de l’exil » entre lesquelles ils avaient dû choisir, dessinaient une géographie de la fuite et du malheur jusqu’alors inconnue du grand public, dans laquelle les guerres dans des pays comme l’Irak ou la Syrie se traduisaient par des mouvements de populations allant vers la Jordanie, les camps du Liban, voire jusqu’en Afrique du Nord. Et la seule réponse des politiques européennes était la fermeture des frontières.



C’est d’abord au sein de la Communauté catholique de Sant’Egidio qu’était née l’idée des « couloirs humanitaires ». Ses juristes spécialistes du droit des étrangers avaient su utiliser les textes européens pour imaginer un dispositif destiné prioritairement aux réfugiés les plus vulnérables : enfants et familles monoparentales, patients en attente de soins urgents, personnes en butte à des persécutions. Il avait été mis en place en association avec la FCEI et avec l’Église vaudoise, membre de la Cevaa. Une opération rendue possible non seulement par l’engagement des Églises qui avaient décidé de le prendre en charge, mais aussi grâce à l’appui de bénévoles et d’associations se chargeant d’accueillir les réfugiés et de les aider à s’intégrer au sein de la société italienne.

Devant le succès de cette initiative, le modèle devait être repris dès l’année suivante en France, par le biais d’un protocole d’entente signé à l’Élysée et associant les ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères à cinq partenaires issus du milieu des Églises. Les réfugiés arrivant en France via ce dispositif se retrouvaient dès lors accueillis légalement dans le réseau de la FEP et de ses partenaires locaux ; des collectifs et des hébergements pour lesquels se mobilisaient nombre de bénévoles issus notamment de l’Église protestante unie de France (EPUdF) ou de l’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine (UEPAL), deux des unions d’Églises constitutives du Défap.

Aujourd’hui, les « couloirs humanitaires » ont conquis leur légitimité. La signature du nouveau protocole d’accord en ce mois de novembre, et la reprise de l’accueil de familles de réfugiés en France, en sont la preuve.




À Beyrouth, des réfugiés dont nul ne veut

Dans un pays, le Liban, qui fait naufrage, les réfugiés venus d’Irak et surtout de Syrie voient leur condition devenir dramatique : 9 sur 10 survivent sous le seuil d’extrême pauvreté, sans statut (le Liban n’étant pas signataire de la Convention de Genève sur les réfugiés), et en butte à des marques d’hostilité croissante. C’est pour permettre aux plus vulnérables d’entre eux d’être accueillis en France que vient d’être renouvelé le dispositif des « couloirs humanitaires ».

Vue du camp de réfugiés palestiniens de Chatila, en place depuis 1948 : l’un des lieux où intervient Soledad André © Soledad André pour Défap

 

Après 10 ans de crise, la vie est plus difficile que jamais pour les Syriens déracinés. L’onde de choc mondiale générée par la photo du petit Alan Kurdi, 3 ans, retrouvé noyé sur une plage de Turquie le 2 septembre 2015, a certes provoqué une prise de conscience de la nécessité d’éviter les « voyages de la mort » à travers la Méditerranée ; elle a été notamment à l’origine du projet des « couloirs humanitaires », né en Italie d’une initiative œcuménique avant d’être étendue en France… Mais qu’en est-il aujourd’hui ?

Depuis 2011, des millions de Syriens ont dû fuir les combats, soit à travers leur propre pays, soit en tentant d’atteindre les pays voisins comme la Turquie, le Liban ou la Jordanie. On estime qu’ils sont environ 5,6 millions répartis aujourd’hui dans ces trois pays, dont 1,5 million pour le seul Liban, petit pays de 6 millions d’habitants. En Syrie même, Bachar al-Assad, après avoir repris le contrôle de la majorité du territoire, réclame leur retour – ce que la plupart d’entre eux redoutent, craignant d’être enrôlés dans l’armée ou arrêtés par les services de renseignement. Les autorités libanaises ont officiellement soutenu cette position et affirmé que les conditions en Syrie étaient propices à ce retour, allant à l’encontre de la position du HCR, le Haut-Commissariat aux Réfugiés de l’Onu.

L’impossible retour en Syrie

Dans un pays en déroute, le Liban, les réfugiés syriens font ainsi partie des plus fragiles parmi les fragiles. Sans statut officiel, sans structure pour les accueillir, sans moyen de subsistance, ils se retrouvent au centre de tensions politiques croissantes après avoir fui la guerre dans leur pays. Il faut dire que le Liban lui-même connaît une crise considérée comme sans équivalent depuis 1850, selon la Banque Mondiale : entre la crise du Covid-19, l’explosion du port de Beyrouth, une crise économico-politique qui a mis en lumière la corruption de l’ensemble de la classe dirigeante et a fait basculer les trois-quarts des Libanais dans la pauvreté, la plupart des habitants du pays survivent aujourd’hui au jour le jour, entre coupures d’électricité (les centrales n’étant plus alimentées en hydrocarbures), impossibilité de se procurer des biens de première nécessité (devenus inaccessibles du fait de l’inflation, qui a atteint 131,9% au cours des six premiers mois de 2021) ou d’obtenir de l’essence pour se déplacer ou du fioul pour leurs générateurs. Près d’un quart des Libanais vivent même sous le seuil d’extrême pauvreté, avec moins de 2 dollars par jour. Le PIB du Liban a chuté d’environ 55 milliards de dollars en 2018 à 20,5 milliards de dollars prévus en 2021, tandis que le PIB réel par habitant a chuté de 37,1%. Une baisse aussi brutale, note la Banque Mondiale, est généralement associée à une situation de guerre.

Face à la violence de cette crise, la réponse des autorités publiques a été molle et inefficace ; la Banque Mondiale elle-même souligne la toxicité du « consensus politique de préserver un système économique en faillite qui a profité à quelques-uns pendant très longtemps ». En revanche, la question des réfugiés syriens devient de plus en plus facilement un exutoire. Il leur a notamment été reproché d’avoir accès à des aides d’ONG internationales, voire de constituer une main d’œuvre à bas coût et de faire baisser le salaire des Libanais – un ressentiment exploité sans vergogne par certains politiques libanais. La crise sanitaire a renforcé ces tensions, certaines municipalités en profitant pour mettre en place des mesures applicables aux seuls réfugiés syriens, comme des couvre-feux. Et les discours politiques réveillent parfois le spectre des « réfugiés palestiniens » arrivés entre 1948 et 1967, un épisode qui avait fortement déstabilisé le Liban.

Comment vivent donc les réfugiés syriens dans un pays qui fait naufrage ? Près de 9 sur 10, selon les estimations du HCR, survivent sous le seuil d’extrême pauvreté. Un foyer sur deux est en insécurité alimentaire et certains en situation de famine et sans accès aux soins. En outre, ils ne bénéficient pas du statut de réfugié au Liban, pays qui n’est pas signataire de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés. Le gouvernement libanais les considère comme des « personnes temporairement déplacées ». Faute de solutions durables sur le territoire libanais et à défaut de pouvoir rentrer en Syrie, un grand nombre de ressortissants syriens font des demandes d’asile auprès des consulats de pays membres de la Convention de 1951. Mais obtenir un visa humanitaire est souvent une épreuve hors de portée pour ces réfugiés, même s’ils remplissent toutes les conditions requises. C’est précisément là qu’intervient Soledad André, chargée de mission pour la FEP et présente à Beyrouth en tant qu’envoyée du Défap, sous statut VSI : elle aide à constituer les dossiers, et pour cela doit recueillir des témoignages, reconstituer comme des puzzles des parcours jalonnés de violences et de traumatismes ; il lui faut ensuite prévoir les conditions d’accueil des familles en France, et les accompagner dans l’avion jusqu’à Paris… Une tâche qui prend de plus en plus d’ampleur, et face à laquelle la Fédération des Églises évangéliques italiennes, l’un des partenaires d’origine du projet, peine à maintenir son engagement. Voilà pourquoi le Défap a envoyé récemment une autre volontaire au Liban.




Liban : garder les «couloirs humanitaires» ouverts

La convention permettant l’arrivée de réfugiés particulièrement vulnérables issus de camps présents au Liban vient d’être reconduite avec le gouvernement français, après plusieurs mois de négociations. Elle porte sur l’accueil de 300 personnes via des « couloirs humanitaires » sûrs, alternative légale aux « voyages de la mort » en Méditerranée. Le Défap, qui a déjà une VSI sur place, Soledad André, chargée de mission de la FEP, va y envoyer prochainement une autre volontaire.

Groupe de réfugiés au départ de Beyrouth le 15 mars 2020. Au premier plan, prenant la photo : Soledad André, envoyée du Défap pour la FEP © Soledad André pour Défap

 

François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France (FPF), le reconnaît : « Le nombre de réfugiés accueillis ne représente qu’une goutte d’eau mais nous voulons rester fidèles à une parole reçue, celle de l’hospitalité ». Depuis 2017, date de la signature en France du premier protocole sur les « couloirs humanitaires », un peu plus d’un demi-millier de Syriens ou d’Irakiens fuyant la guerre ont pu être accueillis en France grâce à la mobilisation d’un réseau œcuménique. Après plusieurs mois de négociations, le dispositif vient d’être reconduit grâce à une nouvelle convention signée par les ministères des Affaires étrangères et de l’Intérieur avec la FPF et la Fédération de l’entraide protestante (FEP). Il prévoit l’accueil sur trois ans de 300 réfugiés ayant fui leur pays et actuellement installés dans des camps au Liban.

Dans l’organisation qui permet de faire venir ces réfugiés en France, et qui associe de nombreux partenaires, notamment issus du milieu protestant, le Défap intervient au niveau de la logistique. C’est ainsi que Soledad André, chargée de mission de la FEP qui accompagne à Beyrouth les réfugiés dans le cadre de ce programme, qui aide à monter leurs dossiers et qui les accompagne dans l’avion jusqu’à leur arrivée à Roissy, est une envoyée du Défap depuis 2018, avec le statut de VSI (Volontaire de Solidarité Internationale). Elle a été rejointe récemment par une autre envoyée du Défap, pour tenir compte à la fois de l’augmentation du nombre des personnes à accompagner, et des difficultés de la FCEI (la Fédération des Églises évangéliques italiennes, partenaire et porteuse du projet des « couloirs humanitaires » au Liban) à continuer le financement du projet et donc la continuité de la permanence de l’équipe à Beyrouth.

Une mobilisation exemplaire

Car, c’est là un point crucial, le projet ne bénéficie d’aucun financement public : il est porté essentiellement, tant sur le plan des fonds que sur le plan de l’organisation, par les Églises et les bénévoles qui y participent. À l’origine de cette initiative, il y a eu tout d’abord un constat : nombre de familles fuyant des pays en guerre comme l’Irak ou la Syrie se retrouvaient soit bloquées dans des camps au Liban… soit tentaient de traverser la Méditerranée, devenant ainsi la proie des réseaux de passeurs et de trafiquants d’êtres humains, risquant leur vie dans le naufrage d’embarcations surchargées. Le programme ayant servi de modèle à cette convention est ainsi né en Italie en 2016, à la suite de plusieurs drames particulièrement meurtriers qui avaient servi d’électrochocs au sein des opinions publiques européennes : il s’agissait d’une initiative de la Communauté catholique de Sant’Egidio, dont les juristes spécialistes du droit des étrangers avaient su utiliser les textes européens pour imaginer ces « couloirs humanitaires », destinés prioritairement aux réfugiés les plus vulnérables : enfants et familles monoparentales, patients en attente de soins urgents, personnes en butte à des persécutions. Ce dispositif avait été mis en place en association avec la FCEI et avec l’Église vaudoise, membre de la Cevaa. Une opération rendue possible non seulement par l’engagement des Églises qui avaient décidé de le prendre en charge, mais aussi grâce à l’appui de bénévoles et d’associations se chargeant d’accueillir les réfugiés et de les aider à s’intégrer au sein de la société italienne.

Devant le succès de cette initiative, le modèle a été repris dès l’année suivante en France, par le biais d’un protocole d’entente signé à l’Élysée et associant les ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères à cinq partenaires issus du milieu des Églises. Les réfugiés arrivant en France via ce dispositif se sont retrouvés ainsi accueillis légalement dans le réseau de la FEP et de ses partenaires locaux ; des collectifs et des hébergements pour lesquels se sont mobilisés nombre de bénévoles issus de l’Église protestante unie de France (EPUdF) ou de l’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine (UEPAL), deux des unions d’Églises constitutives du Défap.

La FEP et les associations partenaires du projet ont publié en 2018 une première étude sur les familles arrivées en France depuis juillet 2017. Elle révélait que 65% des familles accueillies se disaient satisfaites de leur hébergement en France. Toutefois, si 83% des familles avaient enregistré leur demande d’asile 15 jours après leur arrivée en France comme prévu dans le protocole, près de la moitié de ces familles n’avaient pas été entendues par l’Ofpra (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides) durant les trois premiers mois suivant leur arrivée en France. Des délais que l’État s’est engagé à réduire dans la nouvelle convention signée au cours de ce mois d’octobre.




Beyrouth : «Une Église SDF qui survit grâce à l’hospitalité de ceux qui l’accueillent»

De retour du Liban, après plusieurs séjours au sein de la communauté protestante francophone de Beyrouth et 12 mois de présence dans le pays du Cèdre, le pasteur Gérard Riess témoigne de la vitalité d’une communauté qui vit et s’engage, malgré les difficultés et l’absence de lieu de culte.

Vue d’un culte de l’EPFB © Gérard Riess

 

Une crise interminable. Au Liban, les trois chocs successifs qui ont été constitués par la crise du secteur bancaire, la crise sanitaire liées au Covid-19, et enfin l’explosion survenue dans le port de Beyrouth, ont plongé l’activité du pays dans une quasi-paralysie durable, et la population dans une pauvreté et une détresse grandissantes. Une situation insupportable pour tous, et qui frappe en particulier les plus fragiles, que la Banque mondiale a récemment détaillée en chiffres : plus de 75% de la population vit aujourd’hui en-dessous du seuil de pauvreté, soit avec moins de 6 dollars par jour. Le taux d’inflation aurait même atteint 155% au cours de l’année 2020, les prix de certains produits essentiels mais non subventionnés ayant même atteint une hausse de 400%, alors que la livre libanaise a perdu plus de 90% de sa valeur depuis octobre 2019.

Parallèlement, des milliers de travailleurs immigrés, frappés de plein fouet par la profonde crise économique, se retrouvent au chômage et incapables de subvenir à leurs besoins, s’est alarmée pour sa part l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Il s’agit principalement de travailleurs étrangers en provenance des Philippines, de l’Éthiopie, du Bangladesh ou encore de certains pays africains ; parmi ces «invisibles» de la société libanaise figurent par exemple de nombreuses femmes de ménage. Une fragilité accrue, dans un contexte de crise généralisée, qui les expose à tous les abus, ainsi que, parfois, au refus pur et simple de leurs employeurs lorsqu’il s’agit de les payer. Près de la moitié souhaiteraient retourner dans leur pays mais ne pourraient payer le prix d’un billet retour. D’autres aussi ne pourraient pas repartir du Liban en raison du système de la «Kafala» qui les prive de leur passeport au profit de leurs employeurs ou des agences d’intérim qui les emploient.

Le Liban, «un bel oiseau à qui on a coupé les ailes»

Le Liban reste un pays meurtri, à l’image de sa capitale, Beyrouth, où les ruines des explosions du 4 août sont encore partout présentes. La silhouette éventrée du silo à grains du port, émergeant de ce qui ressemble à un champ de bataille, en reste le symbole repris par des photos publiées dans toute la presse internationale. «Le Liban est réellement un pays cassé», témoigne ainsi le pasteur Gérard Riess dans une de ses dernières lettres. «Il ressemble à un bel oiseau à qui non seulement on a coupé les ailes l’empêchant de voler, mais jour après jour on lui enlève les plumes qui restent, au point d’en faire un mort-vivant. Les Libanais sont tous résignés et à bout de nerf face à une situation socio-économique chaotique et désespérante. Paradoxalement chaque fois que la communauté se rassemble, un souffle frais d’amitié, de joie, de prière, de chants, de danses vient mobiliser des énergies insoupçonnées, qui font des merveilles.»

Vue d’un culte de l’EPFB © Gérard Riess

Le pasteur Gérard Riess vient d’effectuer, avec son épouse Barbara, plusieurs séjours au sein de l’EPFB, l’Église protestante française de Beyrouth, où il a assuré le rôle de pasteur intérimaire bénévole. Il y avait pris la suite du pasteur Pierre Lacoste, envoyé par le Défap en vertu d’un accord entre cinq partenaires unis pour encourager et soutenir le témoignage protestant français au Levant : la Ceefe (Commission des Églises protestantes d’expression française à l’extérieur), la FPF, l’ACO (Action chrétienne en Orient), le Défap, en lien avec l’APFB (Association Protestante Française de Beyrouth). Ce qu’il a vécu au sein de cette Église apparaît d’autant plus remarquable que la petite communauté francophone de l’EPFB compte beaucoup de ces «pauvres parmi les pauvres» que sont ces employées de maison venues travailler au Liban dans l’espoir d’une vie meilleure, et qui se retrouvent soumises à un quasi-esclavage. Si la plupart d’entre elles viennent d’Éthiopie, des Philippines ou du Bangladesh, certaines de ces jeunes femmes, venues notamment de Madagascar, sont francophones et protestantes : elles sont 5000 environ parmi les 250.000 travailleuses domestiques présentes au Liban. Ce sont certaines de ces jeunes femmes que l’on retrouve désormais aux cultes de l’EPFB, aux côtés de la communauté francophone protestante de Beyrouth ou de paroissiens d’autres origines – et l’Église se mobilise régulièrement pour elles. Avec des moyens des plus limités : car aujourd’hui encore, l’EPFB reste privée de temple. Un projet immobilier qui aurait dû voir le jour il y a déjà plusieurs années, et bloqué par d’interminables démarches administratives, a contraint l’Église de Beyrouth à chercher refuge au sein des murs du Collège Protestant. Elle s’est même retrouvée privée de lieu de réunion régulier, pour cause de durcissement des mesures sanitaires dues au Covid-19, allant jusqu’à devoir se réunir dans l’enceinte d’un cimetière. Mais elle poursuit ses activités et son témoignage.

«Des sans-droits qui retrouvent leur dignité humaine en Dieu»

De retour en France en ce mois de mai, le pasteur Riess témoigne, avec son épouse Barbara, de ce qu’il a vu et vécu au sein de l’Église protestante française de Beyrouth : «C’est avec beaucoup de reconnaissance que nous relisons un parcours, marqué par de multiples rencontres, découvertes, faites de contrastes et paradoxes s’inscrivant dans le paysage singulier du Proche Orient si surprenant, si insaisissable… Pour n’en citer que quelques-uns, voici ce qui nous revient en mémoire : immersion dans une région dangereuse, offerte comme une chance pour une expérience humaine et spirituelle d’une densité exceptionnelle… Découverte d’un pays qui vit actuellement une descente aux enfers mais où résonne la louange à Dieu… Accompagnement d’une Église SDF qui survit grâce à l’hospitalité de ceux qui l’accueillent avec bienveillance… Proximité avec des sans-droits qui retrouvent leur dignité humaine en Dieu… Vécu communautaire avec des personnes de nationalités et de langues différentes rassemblées dans un élan de foi vivifiant (12 pays différents représentés lors d’une journée de rencontre). Ou encore : lorsque des personnes démunies, vivant au jour le jour, aident les défavorisés à rester debout ; lorsqu’une communauté de foi s’installe dans un cimetière pour renaître à l’espérance ; lorsque la prière à Jésus se mélange à la psalmodie musulmane ; lorsqu’un temps de confinement ouvre à la possibilité d’être accueilli à «la table de Jésus» ; lorsqu’une expérience de foi sur une «Terre du Christ» est synonyme d’immersion parmi les chrétiens d’Orient…»

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Centenaire de l’ACO : un cycle de conférences à Beyrouth

1922-2022 : depuis un siècle, l’Action Chrétienne en Orient, œuvre missionnaire créée par un pasteur alsacien témoin du génocide arménien, construit des ponts entre les Églises protestantes de France et du Proche-Orient. Les célébrations de ce centenaire vont s’étaler tout au long des années 2021-2022, et commencent dès ce mois de janvier avec un cycle de rencontres à Beyrouth. Organisées sous forme de visioconférences, elles seront accessibles à toute personne intéressée : pour s’inscrire, c’est ici…

C’est à travers une série d’événements, ponctuant les années 2021 et 2022, que l’ACO – Action chrétienne en Orient – prépare les célébrations de son centenaire. Des événements qui prendront place aussi bien en Europe qu’au Moyen-Orient. Le premier s’annonce dès ce mois de janvier 2021, avec une série de conférences organisées par l’Université Haigazian de Beyrouth. Ces rencontres, qui auront lieu sous forme de visioconférences (situation sanitaire oblige) auront lieu les 28 et 29 janvier, à chaque fois de 16h à 18h30. Les conférences porteront sur les missions européennes et les Églises protestantes au Moyen-Orient au XXème siècle, et seront animées à la fois par des historiens et des acteurs engagés de l’ACO. La langue des intervenants sera l’anglais, et pour s’inscrire, il suffit d’envoyer un message à l’adresse suivante : wilbert.vansaane@haigazian.edu.lb .

Les chrétiens d’Orient ont été souvent victimes de discriminations et de violences, mais ils représentent encore aujourd’hui des communautés vivantes et dont la présence aide au vivre ensemble. Or au début du XXème siècle, au Moyen-Orient, un habitant sur quatre était chrétien ; ils ne sont plus désormais que 11 millions parmi 320 millions de musulmans (soit un sur 30), partout minoritaires et contraints de chercher la protection des pouvoirs en place pour continuer à exister. Et au sein de cette minorité, les Églises protestantes, avec lesquelles l’ACO est en lien, représentent elles-mêmes un tout petit nombre. «Minoritaires au sein de la minorité chrétienne composée d’Églises traditionnelles orientales, orthodoxes et catholiques», souligne l’ACO, «leur environnement est marqué par l’Islam avec ses différents courants théologiques et ses résonances sociales et politiques. Leur contexte est celui d’une région du monde secouée par des crises géopolitiques aux enjeux divers et complexes, où les puissances régionales et occidentales confrontent leurs intérêts. Pour autant les Églises protestantes que nous soutenons au Moyen-Orient rayonnent par leur témoignage vécu au nom de l’Evangile, par leurs œuvres éducatives et sociales, par leurs convictions pacifiques et critiques, par leur souci des relations œcuméniques entre Églises, par leur dialogue avec l’Islam et les minorités religieuses de la région.»

De la Syrie au Liban, puis à l’Iran

Syrie : la renaissance de la paroisse de Kharaba © ACO

À sa création en 1922, l’ACO avait pour but de secourir les populations arméniennes victimes des exactions turques. Son fondateur, le pasteur Paul Berron, décrit dans « Souvenirs des jours sombres » (L’Harmattan) ce qu’il a vu et vécu à partir de 1916 au contact de ces réfugiés, tout en dénonçant la « politique d’extermination » alors mise en œuvre par les autorités turques. Alsacien, donc citoyen allemand avant la Première Guerre mondiale, il avait été envoyé comme aumônier en Syrie et dans la région pour établir et superviser des foyers du soldat. La guerre finie et l’Alsace réintégrée à la France, ce même pasteur Berron, devenu de fait citoyen français, put ainsi passer outre l’interdiction qui frappait les œuvres missionnaires allemandes et créa l’Action Chrétienne en Orient.

Grâce aux paroisses protestantes alsaciennes, mais aussi grâce à des comités néerlandais et suisses, l’ACO a rapidement étendu son œuvre et touché aussi bien les personnes de culture arménienne que de langue arabe et assyrienne, en Syrie mais également au Liban puis plus tard en Iran. Aujourd’hui, grâce à de nombreux partenariats, l’ACO soutient des projets très variés dans les domaines de l’éducation, du social, de la santé, de la solidarité en contexte de crise, de la résolution des conflits, de la formation théologique, de la vie d’Église au sein de communautés locales.

«C’est toute l’humanité qui se joue là»

Parmi ces partenariats, il y a le Défap. Au cours des dernières années, l’ACO a eu l’occasion de collaborer de manière quasi quotidienne avec le Service Protestant de Mission, notamment pour l’envoi de volontaires, au Liban, en Égypte… Dans ce pays par exemple, le Défap a assuré le suivi des envoyés de l’ACO en lien avec les Églises protestantes locales, dans le cadre de la plate-forme Moyen-Orient. Il s’agissait de missions d’enseignement (soutien scolaire, apprentissage de l’expression française), mais au-delà, d’une expérimentation quotidienne du « vivre ensemble » propre à faire mentir ceux qui prêchent la violence entre les communautés. Comme le racontait une ancienne envoyée, décrivant l’école où elle travaillait : «Chrétiens et musulmans se côtoient dans le corps enseignants et chez les élèves (…) Dans cette société égyptienne fragmentée c’est, d’après moi, une bénédiction !»

Comme le soulignait il y a quelques années le pasteur Thomas Wilde, alors directeur de l’Action chrétienne en Orient : «L’ACO travaille pour qu’on se souvienne. Elle a le souci des minorités opprimées : c’est toute l’humanité qui se joue là. L’humanité de l’homme est perdue si on laisse l’oubli s’installer. C’est le devoir des chrétiens et des citoyens du monde de ne pas se résigner.»




Journée de la Règle d’Or : un temps pour mieux connaître l’ACO

En 2022, l’Action Chrétienne en Orient fêtera ses cent ans. En attendant ces célébrations – qui commenceront, dès ce mois de janvier 2021, par une série de conférences organisées par l’Université Haigazian de Beyrouth – ce deuxième dimanche de l’Avent offre une occasion d’être en communion avec les chrétiens d’Orient, à travers la Journée de la Règle d’Or.

Photo d’ouverture : cette fillette fait partie d’une famille chrétienne qui a dû fuir la Syrie vers le Liban – octobre 2015 © Albert Huber, ancien président d’ACO

Longtemps, ils ont fait figure d’oubliés du monde chrétien – alors même que leur histoire remonte aux origines mêmes du christianisme. C’est le conflit syrien et, plus encore, l’apparition de Daech qui ont poussé beaucoup de Français, chrétiens ou non, à une prise de conscience à partir de l’année 2014 du sort des chrétiens d’Orient. En témoigne le succès qu’a connu, en 2017-2018, l’exposition Chrétiens d’Orient : deux mille ans d’histoire organisée à Paris par l’Institut du monde arabe, avec près de deux cent mille visiteurs. Mais bien avant, il existait déjà des liens entre communautés chrétiennes entre l’Europe et le Moyen-Orient : la plus importante étant, côté catholique, l’Œuvre d’Orient, qui était d’ailleurs partenaire de l’exposition à l’Institut du monde arabe. Il existe aussi des relations côté protestant : l’ACO (Action Chrétienne en Orient), partenaire direct du Défap, en est le meilleur exemple.

En 2022, l’ACO fêtera son centenaire. Elle a en effet été créée en 1922 par le pasteur Paul Berron. Témoin direct du génocide arménien au XXème siècle et du calvaire des survivants, il a vécu au Moyen-Orient entre 1915 et 1918. Aujourd’hui, en Égypte, en Syrie, au Liban mais aussi en Europe, l’ACO travaille au développement et au renforcement des communautés chrétiennes, ainsi qu’au défi que représente la cohabitation entre chrétiens et musulmans. L’ACO apporte un soutien financier, parfois en envoyant des personnes, organise des rencontres, fait un travail d’information. Depuis l’origine, l’Action Chrétienne en Orient a pour directeurs des pasteurs de l’UEPAL, Église membre du Défap qui lui apporte un soutien déterminant. L’EPUdF reconnaît aussi l’action de l’ACO, et la Fédération Protestante la considère comme son «expert» pour le Moyen Orient. L’ACO collabore de manière quasi quotidienne avec le Défap, notamment pour l’envoi des volontaires en Égypte, au Liban…

Enseignantes égyptiennes en visite à Paris, dans les locaux du Défap, dans le cadre d’un projet monté conjointement avec l’ACO © Défap

Au cours des mois à venir, le Défap aura l’occasion de vous donner de plus amples nouvelles du centenaire de l’ACO. D’ici là, le dimanche qui vient va fournir une occasion privilégiée pour faire connaître l’ACO et pour être en communion avec les chrétiens d’Orient. Chaque année, lors du deuxième dimanche de l’Avent, chaque paroisse qui le souhaite est invitée à vivre un temps de culte, une prière, un partage d’information ou une action de soutien dédiée aux chrétiens d’Orient ; cette Journée de la Règle d’Or s’appuie sur cette parole du Christ dans l’Évangile de Matthieu, verset qui nourrit l’engagement de l’ACO :

« Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, vous aussi, faites-le de même pour eux, car c’est la loi et les prophètes. »
Évangile de Matthieu, chapitre 7, verset 12

Le pasteur Paul Berron s’était précisément appuyé sur cette parole du Christ pour développer son œuvre. Voici plusieurs documents préparés par l’ACO pour cette journée :

Un texte explicatif sur la Règle d’Or et sur les possibilités d’animation et de soutien.

* une présentation générale de l’ACO qui peut être lue en un peu plus de deux minutes lors d’un culte ou d’une animation missionnaire.

* une prière d’intercession qui s’appuie le verset du jour « Redressez-vous et relevez la tête, car votre délivrance approche. » (Luc 21, 28)

* une prière pour des personnes et des institutions au Liban

* une vidéo Journée de la Règle d’Or à partager avec un temps de méditation sur le verset de la Règle d’Or :

* le temps de partage et de prière en vidéo, vécu avec la paroisse de Gunsbach sur le Liban, peut vous inspirer :

* vous trouvez sur le site de l’ACO les différents appels relatifs à l’aide aux réfugiés du Haut-Karabagh en Arménie suite au conflit. Ces appels peuvent être relayés lors du culte du 6 décembre ainsi que dans les publications des paroisses :

  a) L’appel d’Espoir pour l’Arménie lié aux Eglises Evangéliques Arméniennes de France, appel soutenu notamment par le Conseil d’Eglises Chrétiennes en France : ici.
   b) L’appel de Solidarité Protestante France Arménie pour Noël : ici. 



Les protestants francophones libanais, minorité dans la minorité

Ils ne représentent qu’une fraction des 1% de protestants que compte la société libanaise ; leur histoire remonte pourtant à la moitié du XIXème siècle. Avec, très tôt, des liens forts avec les protestants de France. Retour sur l’histoire de l’Église protestante française de Beyrouth, seule église protestante d’expression francophone au Liban.

Membres de la paroisse protestante francophone de Beyrouth, en compagnie du pasteur Riess © Gérard Riess

 

Une communauté sans temple, mais bien vivante. C’est le paradoxe de l’EPFB, l’Église protestante française de Beyrouth, qui depuis plus de six ans, dépend pour ses réunions du Collège Protestant de la ville. Une «petite communauté mosaïque» comme la décrivait Christine Lacoste, l’épouse du pasteur Pierre Lacoste, envoyé du Défap auprès de cette Église jusqu’en 2019, et auquel a succédé le pasteur Gérard Riess comme pasteur intérimaire bénévole. Elle a connu ces dernières années une croissance permise par son témoignage auprès des employés de maison – souvent des jeunes femmes malgaches, venues en quête d’un moyen de subvenir aux besoins de leur famille restée au pays, et qui sont désormais nombreuses aux cultes de l’EPFB, aux côtés de la communauté francophone protestante de Beyrouth ou de paroissiens d’autres origines.

Au Liban où le protestantisme, surtout lié aux missions américaines, représente environ 1% de la population, le protestantisme français apparaît comme une minorité dans la minorité. Et pourtant, voilà plus d’un siècle et demi que le protestantisme francophone est installé au Liban. Plus précisément depuis le 23 novembre 1856, date du premier culte protestant de langue française jamais organisé au Moyen-Orient. L’histoire de la paroisse protestante de Beyrouth a retenu qu’il avait, grâce à une certaine concorde alors en vigueur en Europe, été présidé par un pasteur allemand parfaitement bilingue… Concorde que la Première Guerre mondiale avait fait voler en éclats. La guerre finie, en 1919, le Traité de Versailles, principalement dans son article 438, avait dès lors défini dans quelles conditions les biens appartenant à des missions religieuses chrétiennes allemandes devaient revenir à des missions religieuses des États alliés ayant les mêmes croyances.

Le tournant des années 2000

Le protestantisme en France, essentiellement tourné vers les terres d’Afrique, n’était pas particulièrement préparé à assumer cette nouvelle responsabilité. La Fédération protestante de France avait toutefois, après des hésitations, choisi d’assumer cette tâche sous l’impulsion d’hommes comme le pasteur Jean Bianquis et son fils Philippe, professeur à l’université américaine à Beyrouth. De cette période datent donc les liens privilégiés entre les protestants de France et la communauté protestante francophone de Beyrouth. Il faudra encore attendre le printemps 1926 pour qu’une mission conduite par le sénateur Eccard séjourne au Liban accompagné de Jean Bianquis (ancien directeur de la Société des missions évangéliques de Paris – désormais le Défap) et de Mlle Puech, infirmière, pour prendre en charge l’héritage de la mission allemande, composé essentiellement d’une église et d’un collège de jeunes filles. Cette école devait par la suite devenir le Collège Protestant.

Longtemps la communauté est restée principalement composée d’expatriés ou de résidents français. Mais les années 2000 ont marqué un tournant avec l’arrivée de domestiques malgaches, souvent protestantes et francophones, pratiquement sans droits et sans aucune visibilité au sein de la société libanaise, et qui ont trouvé au sein de l’EPFB un refuge et un lieu où exister et exprimer leur foi.

Un projet immobilier toujours bloqué

Culte en période de crise sanitaire à Beyrouth © Gérard Riess

Un nouvel élan a été pris en août 2013 : suite au départ du pasteur Robert Sarkissian, présent depuis 1970, la FPF a dépêché une mission, comme jadis elle l’avait fait avec la mission exploratoire «Eccard-Bianquis-Puech». C’est sous son égide que cinq partenaires se sont engagés à encourager et à soutenir le témoignage protestant français au Levant : la Ceefe (Commission des Églises protestantes d’expression française à l’extérieur), la FPF, le Défap, l’ACO (Action chrétienne en Orient), en lien avec l’APFB (Association Protestante Française de Beyrouth). Ce soutien s’est manifesté à travers l’envoi par le Défap du pasteur Pierre Lacoste, présent à Beyrouth de 2013 à 2019, et dont le pasteur Gérard Riess, en tant que pasteur intérimaire bénévole, a pris la suite de 2019 à 2020.

Mais la petite communauté de Beyrouth se trouve sans lieu de réunion depuis plus de six ans. Plus précisément depuis la démolition de son temple, qui aurait dû faire place à un bâtiment plus moderne et plus adapté. À l’origine, l’opération immobilière était destinée à assurer les frais de fonctionnement et l’avenir de l’Église protestante française de Beyrouth, à travers la vente d’une partie du terrain de 4600 m2 du temple historique de la paroisse pour mettre en œuvre un projet entièrement neuf, combinant centre cultuel et activités sociales et culturelles. Un organisme spécifique, la Fondation des Cèdres, a même été créé en décembre 2014 pour gérer le capital issu de cette opération immobilière et financer la construction du nouvel ensemble ; mais à ce jour, le projet reste bloqué.




Beyrouth : «On n’a pas de temple mais on est debout !»

Crise économique, financière, sanitaire : dans Beyrouth où l’on tarde à relever les ruines des explosions du 4 août, la petite communauté protestante francophone poursuit son témoignage et son action diaconale. Le pasteur Gérard Riess vient d’y passer plus d’un an. Il témoigne de «la force de l’accueil» de cette Église.

Le port de Beyrouth, détruit par l’explosion du 4 août 2020 © Gérard Riess

 

Deux réalités parallèles. D’un côté, celle des institutions : Saad Harari, de retour après avoir été chassé par la rue en octobre 2019, a promis pour sauver le Liban un gouvernement d’experts. Son crédit dans l’opinion publique reste très faible ; il y a un peu plus d’un an, des dizaines de milliers de manifestants, sunnites, chiites, chrétiens, druzes, s’étaient rassemblés dans tout le pays, de Tripoli à Saïda, d’Akkar jusqu’à Tyr, unis pour réclamer la chute du régime. Leur chant de ralliement, «Tous veut dire tous !», était une dénonciation d’un système politique confessionnel qui avait permis le blocage de la démocratie libanaise. Un fait sans précédent qui avait alors provoqué la démission de Saad Harari. Et le voilà de nouveau engagé dans des négociations pour former son quatrième gouvernement, profitant de ce même système confessionnel qui assure le poste de Premier ministre à un sunnite. L’économie est en plein naufrage, les caisses des banques sont vides, et l’un des principaux bras-de-fer qui agitent la classe politique, c’est l’audit de la banque centrale. Un audit jugé «indispensable» par Emmanuel Macron, un audit sans lequel les aides internationales resteront bloquées ; mais face à lui se dresse un mur : celui de la loi sur le secret bancaire de 1956, qui a permis de faire du Liban la «Suisse du Moyen-Orient». Le gouverneur de la banque centrale s’y accroche avec d’autant plus de vigueur que toute la corruption de la classe dirigeante libanaise, dont nul ne doute au Liban, risquerait d’éclater encore plus au grand jour.

Et il y a, de l’autre côté, la réalité du quotidien. Celle d’un pays meurtri, d’une capitale, Beyrouth, où les ruines des explosions du 4 août sont encore partout présentes. La silhouette éventrée du silo à grains du port, émergeant de ce qui ressemble à un champ de bataille, en reste le symbole repris par des photos publiées dans toute la presse internationale. «Les explosions dans le port de Beyrouth du 4 août, qui ont tué plus de 300 personnes, blessé 6500 autres, et généré 300 000 sans abris, ont dévasté des quartiers entiers de la ville et beaucoup de bâtiments se retrouvent, à l’arrivée de l’hiver, sans toit ni fenêtres tandis que d’autres sont menacés d’écroulement, témoigne le pasteur Gérard Riess. Les Libanais vivent actuellement en mode survie : fatigue, découragement, énorme colère, sentiment de désolation, situation traumatique qui est à son paroxysme. «C’est pire que les 15 ans de guerre», me dit-on quelquefois…». Car les maux s’accumulent : aujourd’hui, le peuple libanais, «sauf quelques privilégiés étouffe et est en danger de mort, souligne Gérard Riess. Il étouffe face à une situation économique désastreuse (400% d’inflation, parité de la livre libanaise avec le dollars multipliée par 6, petite épargne des gens inaccessible, rayons des magasins qui se vident…). Il étouffe face une pauvreté endémique qui se répand (55% de la population sous le seuil de pauvreté). Il étouffe face aux injustices criantes, du fait de la corruption, du clientélisme, d’une gestion désastreuse et criminelle des affaires publiques.»

«Notre aventure libanaise restera une expérience marquante»

Le pasteur Gérard Riess vient de passer, avec son épouse Barbara, plus d’un an auprès de l’EPFB, l’Église protestante française de Beyrouth, comme pasteur intérimaire bénévole. Il y avait pris la suite du pasteur Pierre Lacoste, envoyé par le Défap en vertu d’un accord entre cinq partenaires unis pour encourager et soutenir le témoignage protestant français au Levant : la Ceefe (Commission des Églises protestantes d’expression française à l’extérieur), la FPF, l’ACO (Action chrétienne en Orient), le Défap, en lien avec l’APFB (Association Protestante Française de Beyrouth). Alors que Gérard et Barbara Riess se préparent au retour, fin 2020, ils témoignent pourtant : «notre aventure libanaise (…) restera assurément pour nous une expérience marquante dans notre parcours de vie, de foi et d’engagement au service de la communauté chrétienne.»

Car la petite communauté protestante de Beyrouth est une communauté qui vit, engagée socialement, présente auprès de certains des plus fragiles de la société libanaise : les employées de maison. Une catégorie sociale particulièrement défavorisée dans le pays : il s’agit surtout de jeunes femmes, attirées au Liban du fait de sa relative accessibilité et de son mode de vie «occidentalisé» vanté par les agences de placement. Mais une fois sur place, elles sont soumises à un semi-esclavage, travaillant onze heures par jour, six jours voire sept par semaine, quasiment recluses chez leurs employeurs, le tout pour des salaires dérisoires… Beaucoup sont originaires d’Éthiopie, des Philippines ou du Bangladesh, mais il y a aussi des jeunes femmes francophones et protestantes venues principalement de Madagascar : elles sont 5000 environ parmi les 250.000 travailleuses domestiques présentes au Liban. Ce sont ces jeunes femmes que l’on retrouve désormais nombreuses aux cultes de l’EPFB, aux côtés de la communauté francophone protestante de Beyrouth ou de paroissiens d’autres origines – et l’Église se mobilise régulièrement pour elles.

La force inattendue d’une communauté sans cesse en train de renaître

Membres de la paroisse protestante francophone de Beyrouth © Gérard Riess

Dans un contexte de paupérisation galopante de la société libanaise, elles font vraiment partie des «pauvres parmi les pauvres», et la communauté protestante de Beyrouth est pour elles un lieu d’ancrage vital. «Malgré un protocole contraignant, nous faisons l’expérience de rencontres joyeuses, fraternelles, contagieuses de ferveur et de manifestations de reconnaissance, souligne le pasteur Riess. Plusieurs célébrations particulièrement belles nous restent en mémoire avec des démarches de foi touchantes (baptêmes, confirmations, Sainte Cène). «Elles ont soif d’être à table avec Jésus», me disait un membre du conseil en charge des candidates aux baptêmes et à la confirmation.» Parallèlement, «une action d’aide alimentaire initiée par la paroisse est en cours : 50 colis sont distribués chaque semaine à des familles sans ressources, proches de l’Église. Des aides ponctuelles pour des soins d’urgence, soutien à personnes vulnérables, aides au transport (taxi pour se rendre au culte) sont accordées régulièrement. Souvent une parole, prononcée par un membre du conseil paroissial, lors de notre entrée en fonction me revient en mémoire : «on n’a pas de temple mais on est debout !».

Car, oui, l’EPFB reste toujours privée de temple : un projet immobilier qui aurait dû voir le jour il y a déjà plusieurs années, et bloqué par d’interminables démarches administratives, a contraint l’Église de Beyrouth à chercher refuge au sein des murs du Collège Protestant. Elle s’est même retrouvée privée de lieu de réunion régulier, pour cause de durcissement des mesures sanitaires dues au Covid-19. Mais elle poursuit ses activités et son témoignage. Gérard Riess souligne «l’entraide et la fraternité entre confessions chrétiennes, qui nous ouvrent les portes en nous accueillant chaleureusement.»

«C’est une Église qui en fait n’a pas grand chose, résume le pasteur Riess, si ce n’est la force de l’accueil, le sourire de la fraternité, le souci de celles et ceux qui sont sans terre d’accueil (…) Paradoxalement c’est cette fragilité d’une situation précaire qui semble donner une force inattendue à cette communauté où l’on se dit quelquefois : «elle va disparaître» mais qui sans cesse est en train de renaître, grâce au courage d’être et au parti pris d’espérance de quelques-uns, que je qualifie volontiers d’«anawim» les pauvres de Dieu… ils n’ont rien, ils ne sont ni reconnus, ni pris en compte, rarement écoutés, mais ils jettent leur confiance en Dieu, le seul qui ne les abandonne pas, car il est Celui qui se penche en priorité vers les pauvres, les humbles, les délaissés.»

 

Gérard Riess, un an à l’EPFB

Originaire de la région de Strasbourg, Gérard Riess a été pasteur durant 35 ans dans l’UEPAL (Union des Églises Protestantes d’Alsace et de Lorraine). Avec Barbara, son épouse, ils ont 3 enfants et 3 petits-enfants. Il bénéficie du statut de pasteur retraité bénévole de l’EPUdF (Église protestante unie de France) pour avoir assuré plusieurs intérims en Charente, Poitou, Bretagne… Sa motivation en venant avec son épouse comme pasteur intérimaire bénévole durant une année à Beyrouth : faire Église ensemble, en apprenant à se déplacer vers l’autre dans nos différences vers l’appel de Dieu… et ainsi découvrir les multiples facettes et couleurs qui font la richesse et la diversité du peuple de Dieu.




Appel à la solidarité pour le Liban

Au nom de sa foi et fort des nombreux liens qui l’unissent aux partenaires libanais, le protestantisme français dans son ensemble veut se  mobiliser à la suite de l’explosion du 4 août qui a eu lieu Beyrouth.

Par ses membres et toutes ses Églises, par ses œuvres, ses associations et ses fondations, il lance aujourd’hui un appel à don.

Plus qu’une aide ponctuelle, cette solidarité s’inscrit dans une longue histoire et un avenir à construire. Elle veut signifier la poursuite d’un témoignage commun, celui d’un christianisme engagé dans la société en vue de la consolation, de la réparation, et de la reconstruction d’une vie solidaire, démocratique et signe d’une espérance imprenable malgré toutes les épreuves.

Donnez à Solidarité protestante

Pour faire un don par chèque, l’envoyer à :
Solidarité protestante
Fondation du protestantisme
47 rue de Clichy, 75009 Paris
En précisant au dos de celui-ci « LIBAN » pour que les fonds soient correctement affectés.

Vous pouvez aussi lire le témoignage de Soledad sur le fil d’actualité de la page Facebook du Défap. Rentrée en France le 6 août, elle était en mission au Liban comme VSI Défap, en collaboration avec la FEP (Fédération de l’entraide protestante) pour travailler au projet des couloirs humanitaires.




Éloigné, en confinement : parole à Soledad

Partir à l’étranger avec le Défap, ce n’est pas seulement découvrir un autre pays, une autre culture, et y vivre de nombreux mois en immersion : c’est aussi se découvrir soi-même. Avec le Covid-19 d’autres problématiques se posent. Au travers de leurs lettres de nouvelles, les envoyés partagent leur ressenti mais aussi leurs questionnements.

 

Soledad ANDRE

Soledad ANDRE est en mission au Liban comme VSI Défap, en collaboration avec la FEP (Fédération de l’entraide protestante), pour travailler au projet des Couloirs Humanitaires.

Le chant des oiseaux se fait entendre dans les rues de Getawi, à Beyrouth, tandis que les premiers rayons de soleil réchauffent mon balcon en ce matin du 2 avril 2020. Depuis quelques semaines, les voitures ont déserté les principales artères de la ville, on n’entend plus le bruit des klaxons et des éclats de voix qui créent habituellement cette joyeuse cacophonie si spécifique à Beyrouth.

Rues désertes dans Beyrouth

Nous sommes en quarantaine depuis le début du mois de mars du fait de la pandémie de COVID-19. Le tout nouveau gouvernement libanais, conspué par les manifestants depuis le premier jour de sa désignation, a pris des dispositions dès le début de l’épidémie au Liban : graduellement, il a décrété la fermeture des crèches, écoles et universités dès le 2 mars, puis de tous lieux de loisirs tels que les bars, les boites de nuit ou les restaurants, puis ce fut le tour des commerces à l’exception des commerces de nourriture et des pharmacies. Le 15 mars, nous sommes passés en « mobilisation générale ». La majorité de la population s’est donc auto-confinée de manière assez disciplinée. Il n’y pas eu de scènes de panique dans les magasins comme on a pu le voir dans certains pays. Je suppose que les Libanais sont habitués aux coups du sort… Ce n’est pas la première crise qu’ils traversent ces dernières années, et c’est sans doute loin d’être la dernière.

Depuis le 28 mars, nous avons franchi une nouvelle étape dans la gestion de la pandémie : le gouvernement de Hassan Diab a mis en place un couvre-feu. Nous n’avons pas le droit de sortir de 19h à 5h du matin, et tous les commerces doivent fermer leurs portes à 17H. Paradoxalement, si les habitants restaient confinés avant cette mesure, il me semble que certains ont pris cette dernière comme une autorisation de sortie durant la journée. La discipline de la population libanaise s’est sensiblement relâchée depuis une semaine.

Nous avons pris la décision de suspendre les activités des Couloirs Humanitaires depuis le 11 mars dernier. Juste le temps pour moi de préparer le dernier voyage pour la France : vingt personnes ont ainsi pu partir le 15 mars, juste avant la fermeture de l’aéroport. Ce départ n’a pas été facile à organiser. Du fait de la pandémie, il nous a fallu modifier les dates, rassurer les équipes de réception en France quant à la mise en place des bonnes mesures d’hygiène au Liban, préparer les familles au contexte très particulier de leur arrivée, gérer le stress, la peur, rassurer…

Mais, cinq jours avant le départ, alors que j’accompagnais les familles pour leur enregistrement auprès des autorités libanaises et la préparation de leur visa de sortie, un des bénéficiaires du programme a été arrêté et mis en cellule. Son crime ? Il aurait utilisé une fausse carte d’identité à son arrivée au Liban, en 2017. L’utilisation de faux papiers n’est pas rare parmi les réfugiés syriens, en particulier parmi ceux qui ont tout perdu dans les bombardements ou les attaques du régime ou de l’opposition.

Groupe au départ le 15 mars

Ce n’est pas la première fois que nous devons faire face à ce genre de situation. Malheureusement, cette fois-ci, du fait du ralentissement de l’administration pour cause de pandémie, nous n’avons pas réussi à faire sortir ce jeune homme de prison à temps pour le départ.

Voilà donc plus de deux semaines que nous ne rencontrons plus les bénéficiaires du projet et que nous travaillons de chez nous. Il est donc temps d’avancer sur toutes ces choses que l’on met habituellement en attente par manque de temps : des formations en ligne sur le droit d’asile ou sur les différentes techniques d’entretien, le tri des dossiers, la protection des données, l’amélioration des préparations au départ pour les bénéficiaires… Nous avons encore de quoi nous occuper.

Le confinement serait-il donc l’occasion de simplement « prendre le temps » ? Pour nous qui avons le luxe de pouvoir travailler à notre domicile (tout du moins pour quelque temps), oui. Cette situation n’est toutefois pas tenable pour une grande majorité de Libanais, de Syriens ou de Palestiniens présents au Liban. Les 30 et 31 Mars 2020, des manifestations ont éclaté dans les banlieues sud de Beyrouth et à Tripoli, au Nord du pays. La population est en colère ; comment pourrait-elle se confiner et rester des semaines sans travailler dans un contexte de crise économique sévère ? Comment envisager un confinement dans des quartiers surpeuplés ? Et davantage dans les camps palestiniens tels que Sabra ou Chatila, semblables à de gigantesques bidonvilles, ou encore dans ceux, plus récents, des réfugiés syriens ?

Depuis plusieurs mois, le pays accumule les crises : en septembre 2019, des relations sont devenues plus que tendues avec Israël après l’envoi de deux drones chargés d’explosifs sur Beyrouth ; en octobre 2019, le début de la révolution libanaise sur fond de crise économique et financière, puis a suivi une crise politique et institutionnelle sans précédent depuis la fin de la guerre en 1991… Le 10 mars 2020, le Liban déposait le bilan. La crise sanitaire liée au coronavirus s’inscrit donc dans un contexte généralisé déjà particulièrement tendu.

De notre côté, au sein du programme des Couloirs Humanitaires, nous avons donc suspendu la plupart de nos activités pour le moment, mais sommes déterminés à reprendre le projet dès que possible, persuadés que ce programme est plus que jamais essentiel dans un contexte tel que celui dans lequel nous vivons aujourd’hui.




Couloirs humanitaires : un premier bilan de l’accueil des migrants

Pour la première fois, une étude fait le point sur ce projet visant à accueillir en France des personnes particulièrement vulnérables ayant fui la Syrie ou l’Irak, via le Liban : profil des familles accueillies, conditions d’hébergement, problèmes rencontrés, parcours administratif… Cette initiative, calquée sur le modèle italien, met en lien plusieurs associations œcuméniques dont la Fédération de l’Entraide Protestante (FEP) et la Fédération Protestante de France (FPF) ; elle est soutenue par des Églises constitutives du Défap comme l’Église protestante unie de France (EPUdF) et l’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine (UEPAL) qui se sont mobilisées pour trouver des solutions d’hébergement et d’accompagnement, et une envoyée du Défap, Soledad André, a participé au projet à Beyrouth en tant que chargée de mission de la FEP.

Départ de Beyrouth de sept familles syriennes, 26 février 2019 (Soledad André, envoyée du Défap, est la deuxième à droite) © Communauté de Sant’Egidio

«Si l’Europe ne peut pas protéger ceux qui sont en difficulté (…), qui ont pris la mer à la recherche d’une vie meilleure, elle aura perdu son âme, en plus de son cœur.» Cet extrait d’un courrier envoyé le 8 août 2019 à la Commission européenne par l’Italien David Sassoli, président du Parlement européen, en dit long sur les tensions politiques entourant le sort des migrants, alors que les ports se ferment face aux navires affrétés par des ONG pour leur venir en aide.

Depuis le début de la guerre civile en Syrie, au cours de l’année 2011, plus de 5,6 millions de personnes ont fui le pays, selon les chiffres du HCR (le Haut-Commissariat aux Réfugiés de l’Onu). Les plus jeunes étant les plus vulnérables : les enfants syriens vivent la plus grave crise humanitaire au monde, selon le fonds des Nations Unies pour l’enfance (Unicef), qui déplore des milliers de morts, de blessés, de handicapés et de traumatisés. Selon les Nations Unies, pas moins de 731 000 enfants syriens sont actuellement privés d’école. Les trois pays ayant accueilli le plus grand nombre de ces réfugiés sont la Turquie, le Pakistan et le Liban. Les pays européens, pour leur part, contrôlent leurs frontières et n’acceptent les demandes d’asile qu’au terme de procédures longues, complexes, le plus souvent illisibles pour les nouveaux arrivants. Alors que le Liban, avec ses 4 millions d’habitants, accueille environ 1,5 million de réfugiés, l’UE dans son ensemble a accepté 538 120 demandes d’asile en 2017 (un tiers provenant de Syriens), dont 60% pour la seule Allemagne. La France, deuxième pays accueillant le plus de réfugiés en Europe, n’a accepté que 40 575 demandes ; l’Italie 35 130.

Jamais le risque n’a été aussi élevé pour les migrants en Méditerranée

Mais pendant que sont établies des procédures régulières d’asile, la fermeture des frontières européennes empêche les réfugiés de faire valoir leurs droits à ces mêmes procédures. Ce qui pousse à l’ouverture de «routes de l’exil» de plus en plus dangereuses. La «route des Balkans» est aujourd’hui considérée comme infranchissable. Celle via la Méditerranée, marquée par de multiples naufrages de bateaux surchargés, est de plus en plus étroitement surveillée. L’Onu a ainsi averti le 9 juin dernier que le risque pour les migrants de mourir dans la Méditerranée n’a jamais été aussi élevé qu’aujourd’hui : d’une part en raison du faible nombre de bateaux désormais présents pour les aider, d’autre part à cause du regain de tensions en Libye, qui favorise les départs. «Si nous n’intervenons pas vite, il y aura un bain de sang en Méditerranée», a prévenu Carlotta Sami, porte-parole de l’agence pour les réfugiés de l’ONU, citée par le Guardian.

D’où l’initiative des couloirs humanitaires. Un programme directement inspiré d’un exemple italien associant la Fédération des Églises évangéliques italiennes et la communauté catholique de Sant’Egidio. Il a pour objectif l’accueil de personnes vulnérables se trouvant dans les camps au Liban, indépendamment de leur appartenance religieuse ou ethnique. Il est régi par un protocole d’entente signé à l’Élysée et qui associe les ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères à cinq partenaires issus du milieu des Églises : la Fédération protestante de France, la Fédération de l’Entraide protestante, la Conférence des évêques de France et le Secours catholique – Caritas France. Une alternative légale aux «voyages de la mort» à travers la Méditerranée… Ces personnes en situation de grande vulnérabilité sont accueillies légalement en France dans le réseau de la FEP et de ses partenaires locaux. Elles n’arrivent en France qu’une fois assuré leur accueil dans de bonnes conditions par un collectif d’accueil local. Des collectifs et des hébergements pour lesquels se sont mobilisés nombre de bénévoles issus de l’Église protestante unie de France (EPUdF) ou de l’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine (UEPAL), deux des unions d’Églises constitutives du Défap. À Beyrouth même, une envoyée du Défap, Soledad André, a participé à l’organisation des couloirs humanitaires en tant que chargée de mission de la FEP.

Le long parcours des demandeurs d’asile

La FEP et les associations partenaires du projet ont publié une première étude sur les familles arrivées en France depuis juillet 2017. Cette étude, réalisée en 2018, révèle que 65% des familles accueillies sont satisfaites de leur hébergement en France. Toutefois, si 83% des familles ont enregistré leur demande d’asile 15 jours après leur arrivée en France comme prévu dans le protocole, près de la moitié de ces familles n’a pas été entendue par l’Ofpra (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides) durant les trois premiers mois suivant leur arrivée en France. Les réfugiés bénéficiaires de cette action ont indiqué que leur niveau de français de départ a pu évoluer positivement, de même qu’ils ont bien reçu l’accès aux soins gratuit. On ne leur propose toutefois pas encore d’activités sociales rémunérées.

L’étude relève aussi des points d’amélioration : assurer l’accès à un accompagnement social et administratif de qualité, respecter les délais fixés par le protocole, assurer un accès rapide aux soins, améliorer l’accès au cours de français, au bénévolat, à la formation et au marché du travail…




Avec 300 euros, offrez un avenir à un enfant syrien

L’Association internationale Amel, en partenariat avec l’Église Protestante Française de Beyrouth et la Fédération Protestante de France, lance sa campagne 2017-2018 de parrainage d’enfants syriens à Beyrouth. Parce que la crise des réfugiés syriens au Liban menace toute une génération d’enfants, dont la majorité risquent de se retrouver privés des savoirs fondamentaux et donc des outils nécessaires lorsque viendra le temps de la reconstruction… Ils ont besoin de vous.

 

Enfants syriens au Liban © Amel

Voilà six ans que dure le conflit syrien, déclenché dans la foulée du Printemps arabe en 2011. Aux revendications initiales des Syriens, s’est rapidement ajoutée la dimension régionale d’un conflit qui s’est installé dans la durée, chacun des pays voisins intervenant à sa manière pour un camp ou pour l’autre et transformant peu à peu la Syrie en terrain de rivalités qui la dépassent. Près de 220.000 personnes ont été tuées depuis le début du conflit. Plus de 50% de la population syrienne est actuellement déplacée, que ce soit dans ou hors des frontières du pays. Parmi ceux qui ont quitté la Syrie, plus de 4 millions réfugiés (soit 95%) se trouvent aujourd’hui répartis dans seulement cinq pays, à savoir la Turquie, le Liban, la Jordanie, l’Irak et l’Égypte. À lui seul, le Liban accueille entre 1,2 million et 1,5 million de réfugiés venant de Syrie, ce qui représente environ une personne sur cinq dans le pays.

La vie de ces réfugiés est misérable : seuls 40% du montant de l’appel de fonds lancé par l’ONU pour répondre aux besoins humanitaires des réfugiés syriens ont été obtenus. Le manque de fonds signifie que les réfugiés syriens les plus vulnérables au Liban ne reçoivent que 13,50 dollars par mois soit moins d’un demi-dollar par jour pour l’aide alimentaire.

Une génération d’enfants privée d’éducation et d’avenir

Comment parrainer ?
  • 1 parrainage = 300 euros (285 euros + 15 euros de frais de dossier FPF) ;
  • Durée : un an renouvelable (septembre 2017 à septembre 2018)
  • Adresser sa demande à christinelacoste064@gmail.com
  • Envoyer votre don à : La Fondation du Protestantisme, 47 rue de Clichy, 75311 PARIS – cedex 09 (don donnant droit à une réduction fiscale)
  • Chèque à l’ordre de : « Fondation du protestantisme » (inscrire au dos : « Parrainage AMEL »)

Cette crise syrienne au Liban est avant tout une crise de l’enfance et de la jeunesse. Seuls 48% des enfants syriens sont actuellement scolarisés. Mais ces enfants rencontrent des difficultés majeures à se maintenir à l’école, en raison du retard accumulé, des nombreux traumatismes et discriminations subis à l’école et des difficultés économiques des familles. Le taux d’échec scolaire et les risques de décrochage, au sein de cette population, atteignent des seuils critiques. Cette situation menace toute une génération, privée de son droit à l’éducation et du même coup de son avenir, alors même que cette génération est le seul espoir de la région lorsque viendra le temps de la reconstruction. Facteur aggravant : avant même le début de la crise des réfugiés, l’éducation nationale était très fragilisée au Liban, notamment par le manque d’enseignants qualifiés et le très faible niveau d’investissement dans l’école publique, poussant chaque année des milliers d’enfants à quitter l’école. L’arrivée massive de réfugiés syriens n’a fait qu’amplifier les difficultés et la qualité de l’éducation dans les écoles publiques s’est encore dégradée.

Voilà pourquoi, depuis 2014, un programme de parrainage éducatif a été lancé par Amel Association International en partenariat avec l’Eglise Protestante Française de Beyrouth (EPFB) et la Fédération Protestante de France. Cette coopération a été initiée par le pasteur Pierre Lacoste, envoyé par le Défap au sein de l’EPFB, et son épouse Christine. L’objectif est d’offrir un accompagnement éducatif et un soutien psycho-social aux enfants syriens de la banlieue sud de Beyrouth, afin de les aider à intégrer, à se maintenir et à réussir au sein du système éducatif libanais.

Aide aux devoirs et un soutien psychologique

L’unité d’école mobile (2017) © Amel

Ces activités, supervisées par une psychologue qualifiée, sont mises en oeuvre par les animateurs d’Amel formés aux problématiques de la protection de l’enfance. Ce programme permet aux enfants de renforcer leur capacité de résilience, d’acquérir des savoirs fondamentaux et de maintenir un niveau scolaire acceptable en attendant de retrouver le cours d’une vie normale dans leur pays. Ces activités, véritables moments de partage et de cohésion entre enfants réfugiés, posent les bases du vivre ensemble pour cette génération appelée demain à reconstruire la Syrie.

En vous engageant par un don de 300 euros, vous pouvez offrir à un enfant syrien une chance d’acquérir les savoirs fondamentaux qui sont si difficiles à obtenir pour lui au sein du système éducatif libanais. «Trois fois par semaine, après l’école, soulignent les responsables de l’opération de parrainage, l’enfant parrainé sera accueilli dans le centre de Haret Hreik de AMEL (banlieue sud de Beyrouth) pour des activités périscolaires, récréatives et culturelles, d’aide aux devoirs et un soutien psychologique. Des rencontres sont organisées régulièrement avec les parents sur des sujets tels que les droits des enfants, la communication non violente, le respect ainsi que des temps forts plus festifs. (…) L’éducation est le premier rempart contre les extrémismes, la misère sociale et la violence. Nous voulons cette année encore, continuer à améliorer le programme en augmentant le nombre de sessions par semaine, en augmentant le nombre de professeurs et d’animateurs pour personnaliser d’avantage notre accompagnement, en proposant des activités récréatives plus régulières et plus diverses.»