Entre Goxwiller et les villages d’Andranovelona et d’Ilafy, il y a près de 8500 km de distance. Mais déjà une histoire commune, celle qui unit un groupe de jeunes d’une paroisse du Bas-Rhin, entre la plaine rhénane et les forêts vosgiennes, et des enfants de la grande banlieue de Tananarive, la capitale malgache. Ils ne se sont jamais rencontrés. Et pourtant, les jeunes de la paroisse UEPAL de Goxwiller ont récolté des fonds, monté des dossiers afin de trouver des soutiens institutionnels pour se rendre à Madagascar, et ils ont déjà aidé à créer sur place une cantine et à mettre en chantier un dispensaire. De leur côté, les habitants d’Andranovelona et d’Ilafy ont lancé eux-mêmes les travaux pour créer les fondations et les murs du bâtiment, se sont groupés pour porter le sable destiné au mortier depuis la rivière la plus proche : c’est toute la population qui s’est mobilisée et qui se prépare à accueillir les jeunes Alsaciens. Le voyage aura lieu en juillet prochain, avec le soutien du Défap. Présentation par Lalie Robson-Randrianarisoa, pasteure de la paroisse de Goxwiller.
Les jeunes de la paroisse de Goxwiller lors d’une de leurs opérations destinées à financer leur projet © UEPAL, paroisse de GoxwillerComment est né ce projet ?
Lalie Robson-Randrianarisoa : À l’origine, on trouve une association créée dans la banlieue de Tananarive par des membres de la FJKM, l’Église réformée malgache : Akany Tia Zaza, « le foyer qui aime les enfants ». C’était en 2018 : la nouvelle équipe de moniteurs de l’école du dimanche de la paroisse d’Andranovelona-Ilafy constatait depuis quelque temps des absences inexpliquées parmi les enfants fréquentant l’école du dimanche. Leur groupe était passé de près de 300 à environ 200, ce qui était très inhabituel. Les moniteurs décidaient de lancer une enquête auprès de leurs familles. Et que leur disaient alors les parents ? « On ne peut plus vous envoyer nos enfants. Ils ont trop faim, ils n’ont pas d’habits, ils sont malades ».
Très touchée par cette situation qu’elle découvrait, l’équipe des moniteurs de l’école du dimanche décidait de constituer une association pour aider ces familles. Avec une idée simple, qui est aussi d’origine biblique : pas la peine d’essayer d’inculquer quoi que ce soit aux enfants si on ne les nourrit pas ; la foi sans les œuvres, ça n’a pas de sens. Et sitôt l’association créée, ses membres ont commencé à chercher des soutiens à Madagascar, mais aussi auprès d’Églises sœurs à l’étranger, jusqu’en Europe.
Comment s’est fait le contact avec la paroisse de Goxwiller ?
Par l’intermédiaire d’une de mes connaissances, qui m’a contactée en 2018 : je viens moi-même de Madagascar, et je connais une ancienne professeure de français très engagée dans de nombreux projets humanitaires, qui s’est déjà investie auprès d’enfants dans le Sud de Madagascar, et qui habite dans ce village. Elle a fait partie de l’équipe des moniteurs de l’école du dimanche d’Andranovelona-Ilafy. Comme elle fait de fréquents voyages en France, elle a pu venir nous présenter l’action de l’association Akany Tia Zaza. Et les jeunes de la paroisse ont décidé de s’impliquer. Ils ont voulu s’appeler « Les Baobabs » (1), avec l’idée d’aider, mais aussi d’aller sur place pour se rendre compte par eux-mêmes.
Le premier but d’Akany Tia Zaza était de fournir une meilleure alimentation aux enfants. Puis, l’association s’est mise à faire du soutien scolaire, a mis en place une mutuelle pour les familles : car dans les hôpitaux malgaches, les patients doivent tout payer de leur poche, depuis les analyses jusqu’aux médicaments. Mais bientôt, il y a eu un drame : une mort dans le village, par manque d’infrastructures de santé. Quand il y a besoin de soins, il faut se rendre à Tananarive même. Le village n’est qu’à 18 km de la capitale, mais l’état des routes est tel, et les embouteillages si importants, qu’il faut parfois plus de 3 heures pour rejoindre l’hôpital le plus proche. C’est ainsi qu’est née l’idée de construire un dispensaire. Pendant que, parallèlement, le besoin de s’organiser pour nourrir les enfants débouchait sur l’idée d’une véritable cantine scolaire.
Où en est le projet des « Baobabs » ?
Les jeunes de Goxwiller se sont très tôt impliqués pour chercher des subventions, organiser leur voyage : ils avaient prévu de récolter des fonds pour pouvoir se rendre à Madagascar à l’été 2021. Entretemps, il y a eu la pandémie de Covid-19 qui a tout retardé. Mais ils sont très motivés et ne se sont pas découragés. Ils ont multiplié les opérations : organisation de repas, ventes sur les marchés de Noël… Par leurs propres initiatives, ils ont récolté 14.000 euros pour leur voyage. Ils ont trouvé des soutiens. Dont celui du Défap, que je tiens à remercier pour sa confiance. Entretemps, ils ont continué à soutenir Akany Tia Zaza, qui a aujourd’hui l’appui de trois associations en Europe. Et le travail sur place commence à porter ses fruits : il y a désormais une cantine scolaire provisoire qui nourrit 360 enfants à raison de trois jours par semaine. Pour la plupart des enfants qui la fréquentent, c’est leur seul repas de la journée. Il y a aussi un soutien scolaire le samedi pour les enfants qui ont des examens. Mieux pris en charge et mieux nourris, les enfants sont plus concentrés en classe et apprennent mieux.
De leur côté, les habitants des villages ont été très touchés de cet intérêt que leur portaient des jeunes Européens, si loin de leur propre pays. Ils se sont impliqués collectivement pour aider à concrétiser le projet de dispensaire, qui sera la seule structure de santé pour tous les villages environnants. Ils ont uni leurs efforts pour couler les fondations, construire les murs… Grâce aux dons qui leur sont envoyés, ils ont pu commencer à s’équiper en matériel.
Le chantier du dispensaire © UEPAL, paroisse de GoxwillerQuand est prévu le voyage ?
Du 7 au 22 juillet. Le principal objectif sera d’achever la création du dispensaire. Il s’agira aussi d’améliorer la cantine, qui est encore provisoire et qui a besoin de meubles. Mais au-delà, les jeunes de Goxwiller espèrent beaucoup apprendre de ce voyage. Échanger avec les Malgaches. Vivre avec eux. Ils comptent par exemple animer sur place un centre aéré éphémère, qui servira pour des moments ludiques mais aussi pour des formations, et dont le but sera surtout de créer du lien. Je les accompagnerai sur place et je ne leur ai rien caché de l’inconfort d’un tel séjour, mais ça ne les effraie pas : ils sont passés par l’étape du scoutisme et ils savent se débrouiller ! Ils ont déjà prévu de se partager en équipes entre le dispensaire, la cantine, le centre aéré…
Quand ils se sont lancés dans ce projet en créant « Les Baobabs », ces jeunes avaient pour la plupart autour de 14-15 ans. Aujourd’hui, ils sont adultes, ils ont pris des chemins différents : certains sont en fac ou dans une grande école, d’autres sont en apprentissage… Ils se préparent à devenir ingénieur, préparatrice en pharmacie, assistante sociale… Et pourtant, ce projet les unit toujours. Chacun s’y implique avec ses propres compétences. C’est un engagement fort pour eux tous qui va se concrétiser cet été. Ils espèrent, et j’espère avec eux, que ce projet ne s’arrêtera pas là, qu’il en sortira quelque chose de pérenne.
Quelles pourraient être les suites ?
Continuer à financer le projet, et revenir, peut-être d’ici deux ans, pour voir les résultats. Et au-delà de l’école, aider aussi à former les jeunes adultes. Akany Tia Zaza a déjà financé les études d’une jeune Malgache qui se destine à devenir sage-femme/infirmière. Elle achève sa formation l’année prochaine et a signé un contrat de 5 ans avec l’association pour travailler dans le dispensaire. Il y a aussi d’autres besoins sur lesquels nous voudrions intervenir. Par exemple, il y a des enfants du village qui sont obligés de travailler dans des carrières de pierres. Et leurs familles aussi… C’est un travail pénible et ces familles manquent de tout, de matériel, de vêtements, elles grelottent l’hiver… On ne peut pas forcément mettre fin à toutes les misères, mais on voudrait alléger leur fardeau : on a déjà prévu de leur apporter des vêtements lors de notre voyage de juillet.
Mais l’idée centrale, c’est vraiment de créer du lien, et notamment autour de ce qui nous rapproche le plus : l’évangile. Grâce au lien qui nous unit en Christ, la distance physique qui nous sépare est considérablement réduite. Il ne s’agit pas simplement d’aller faire de l’humanitaire, mais de vivre quelque chose ensemble. Comme il est dit dans Matthieu 25 : « toutes les fois que vous avez fait ces choses à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous les avez faites ». Nous voulons, à notre échelle, être des témoins de l’Église universelle. Je me souviens encore, en tant que pasteure, de ce qui m’a été dit le jour de mon ordination : « Vous aurez la tête dans le ciel, mais les pieds dans la boue ». Il y a une connexion directe entre le ciel et la terre. On ne peut pas se cantonner à la théologie en négligeant l’action ; et l’action sans la foi n’a plus de fondement.
Les habitants d’Andranovelona allant chercher du sable à la rivière pour le mortier destiné aux fondations du dispensaire © UEPAL, paroisse de Goxwiller(1) Pourquoi ce nom ? « C’est parce que nous souhaitons nous rendre utiles à autrui que nous avons choisi de nous appeler les Baobabs », expliquent les jeunes de Goxwiller : « cet arbre à la silhouette très reconnaissable est aussi appelé « arbre de vie », car ses fruits comme ses feuilles sont comestibles et connus pour leurs propriétés médicinales, et son tronc absorbe l’eau et lui sert de réservoir ; un symbole de durabilité pour les humains et la biodiversité qui nous plaisait particulièrement ! »