Partir à l’étranger avec le Défap, ce n’est pas seulement découvrir un autre pays, une autre culture, et y vivre de nombreux mois en immersion : c’est aussi se découvrir soi-même. Avec le Covid-19 d’autres problématiques se posent. Au travers de leurs lettres de nouvelles, les envoyés partagent leur ressenti mais aussi leurs questionnements.
Soledad ANDRE est en mission au Liban comme VSI Défap, en collaboration avec la FEP (Fédération de l’entraide protestante), pour travailler au projet des Couloirs Humanitaires.
Le chant des oiseaux se fait entendre dans les rues de Getawi, à Beyrouth, tandis que les premiers rayons de soleil réchauffent mon balcon en ce matin du 2 avril 2020. Depuis quelques semaines, les voitures ont déserté les principales artères de la ville, on n’entend plus le bruit des klaxons et des éclats de voix qui créent habituellement cette joyeuse cacophonie si spécifique à Beyrouth.
Nous sommes en quarantaine depuis le début du mois de mars du fait de la pandémie de COVID-19. Le tout nouveau gouvernement libanais, conspué par les manifestants depuis le premier jour de sa désignation, a pris des dispositions dès le début de l’épidémie au Liban : graduellement, il a décrété la fermeture des crèches, écoles et universités dès le 2 mars, puis de tous lieux de loisirs tels que les bars, les boites de nuit ou les restaurants, puis ce fut le tour des commerces à l’exception des commerces de nourriture et des pharmacies. Le 15 mars, nous sommes passés en « mobilisation générale ». La majorité de la population s’est donc auto-confinée de manière assez disciplinée. Il n’y pas eu de scènes de panique dans les magasins comme on a pu le voir dans certains pays. Je suppose que les Libanais sont habitués aux coups du sort… Ce n’est pas la première crise qu’ils traversent ces dernières années, et c’est sans doute loin d’être la dernière.
Depuis le 28 mars, nous avons franchi une nouvelle étape dans la gestion de la pandémie : le gouvernement de Hassan Diab a mis en place un couvre-feu. Nous n’avons pas le droit de sortir de 19h à 5h du matin, et tous les commerces doivent fermer leurs portes à 17H. Paradoxalement, si les habitants restaient confinés avant cette mesure, il me semble que certains ont pris cette dernière comme une autorisation de sortie durant la journée. La discipline de la population libanaise s’est sensiblement relâchée depuis une semaine.
Nous avons pris la décision de suspendre les activités des Couloirs Humanitaires depuis le 11 mars dernier. Juste le temps pour moi de préparer le dernier voyage pour la France : vingt personnes ont ainsi pu partir le 15 mars, juste avant la fermeture de l’aéroport. Ce départ n’a pas été facile à organiser. Du fait de la pandémie, il nous a fallu modifier les dates, rassurer les équipes de réception en France quant à la mise en place des bonnes mesures d’hygiène au Liban, préparer les familles au contexte très particulier de leur arrivée, gérer le stress, la peur, rassurer…
Mais, cinq jours avant le départ, alors que j’accompagnais les familles pour leur enregistrement auprès des autorités libanaises et la préparation de leur visa de sortie, un des bénéficiaires du programme a été arrêté et mis en cellule. Son crime ? Il aurait utilisé une fausse carte d’identité à son arrivée au Liban, en 2017. L’utilisation de faux papiers n’est pas rare parmi les réfugiés syriens, en particulier parmi ceux qui ont tout perdu dans les bombardements ou les attaques du régime ou de l’opposition.
Ce n’est pas la première fois que nous devons faire face à ce genre de situation. Malheureusement, cette fois-ci, du fait du ralentissement de l’administration pour cause de pandémie, nous n’avons pas réussi à faire sortir ce jeune homme de prison à temps pour le départ.
Voilà donc plus de deux semaines que nous ne rencontrons plus les bénéficiaires du projet et que nous travaillons de chez nous. Il est donc temps d’avancer sur toutes ces choses que l’on met habituellement en attente par manque de temps : des formations en ligne sur le droit d’asile ou sur les différentes techniques d’entretien, le tri des dossiers, la protection des données, l’amélioration des préparations au départ pour les bénéficiaires… Nous avons encore de quoi nous occuper.
Le confinement serait-il donc l’occasion de simplement « prendre le temps » ? Pour nous qui avons le luxe de pouvoir travailler à notre domicile (tout du moins pour quelque temps), oui. Cette situation n’est toutefois pas tenable pour une grande majorité de Libanais, de Syriens ou de Palestiniens présents au Liban. Les 30 et 31 Mars 2020, des manifestations ont éclaté dans les banlieues sud de Beyrouth et à Tripoli, au Nord du pays. La population est en colère ; comment pourrait-elle se confiner et rester des semaines sans travailler dans un contexte de crise économique sévère ? Comment envisager un confinement dans des quartiers surpeuplés ? Et davantage dans les camps palestiniens tels que Sabra ou Chatila, semblables à de gigantesques bidonvilles, ou encore dans ceux, plus récents, des réfugiés syriens ?
Depuis plusieurs mois, le pays accumule les crises : en septembre 2019, des relations sont devenues plus que tendues avec Israël après l’envoi de deux drones chargés d’explosifs sur Beyrouth ; en octobre 2019, le début de la révolution libanaise sur fond de crise économique et financière, puis a suivi une crise politique et institutionnelle sans précédent depuis la fin de la guerre en 1991… Le 10 mars 2020, le Liban déposait le bilan. La crise sanitaire liée au coronavirus s’inscrit donc dans un contexte généralisé déjà particulièrement tendu.
De notre côté, au sein du programme des Couloirs Humanitaires, nous avons donc suspendu la plupart de nos activités pour le moment, mais sommes déterminés à reprendre le projet dès que possible, persuadés que ce programme est plus que jamais essentiel dans un contexte tel que celui dans lequel nous vivons aujourd’hui.