Une vingtaine d’étudiants de l’Institut Protestant de Théologie ont participé le mardi 22 janvier au «déjeuner-culte» organisé au Défap – des rendez-vous lancés en février dernier pour rapprocher le Défap et l’IPT, et qui ont désormais leurs habitués. Au menu : repas, chants, méditation et échanges sur un texte biblique. Les échanges ont tourné autour de la figure de Joseph, et de la condition des minorités. Avec des résonances très actuelles, dans un contexte de mondialisation qui voit les sociétés, et les Églises, s’ouvrir de plus en plus à une diversité de cultures.
Déjeuner-culte au Défap, 22 janvier 2019 © Défap
Lancés il y a un peu moins d’un an, les «déjeuners-cultes» sont désormais bien inscrits dans les habitudes du Défap… et dans celles des convives venus de l’IPT. Ces rendez-vous ont leur petit groupe d’habitués ; ils rassemblent en général entre une quinzaine et une vingtaine d’étudiants de l’Institut Protestant de Théologie. Au menu : repas, chants, méditation et échanges sur un texte biblique. Ambiance décontractée et bonne humeur autour de la table. Repas et textes bibliques servant de base aux échanges sont proposés par les pasteures Tünde Lamboley et Florence Taubmann, du service Animation – France du Défap. Objectif : resserrer les liens entre le Service Protestant de Mission et l’Institut Protestant de Théologie, deux institutions voisines (elles sont placées à 200 m de distance le long du boulevard Arago) mais qui se connaissent peu.
Les invités reflètent la diversité des promotions de l’Institut Protestant de Théologie. En ce 22 janvier, ils sont un peu moins d’une vingtaine à se retrouver dans la salle à manger du Défap, dont quatre nouveaux. Pour introduire le repas, Tünde Lamboley a choisi une prière venue en droite ligne de Nouvelle-Calédonie, en l’honneur de la délégation qui doit bientôt arriver en métropole et qui sera reçue par la Fédération Protestante de France : «Nous te prions, Seigneur, pour que les humains apprennent à respecter tes créatures, à comprendre à quel point nos survies sont liées (…) Nous te prions, Seigneur, pour ceux qui ne veulent vivre que pour eux-mêmes ou leur famille proche, pour ceux qui refusent d’être solidaires, pour ceux qui ne savent qu’être méfiants à l’égard des autres…»
La «double mission» de Joseph
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Sitôt après le repas, alors que le café se prépare, Florence Taubmann se lève et prend la parole : voici le temps de la méditation biblique. «Toutes les semaines, explique-t-elle, je propose un texte qui est mis en ligne sur le site du Défap. Et voilà plusieurs mois déjà que j’ai commencé à travailler sur le cycle de Joseph. Lors du dernier repas que nous avions pris ensemble ici, nous avions partagé la lecture d’une partie de ce cycle : un extrait du chapitre 41 de Genèse, au cours duquel Joseph désormais installé en Égypte avait reçu un nouveau nom, un nom égyptien, mais décidait néanmoins de donner à ses deux fils des prénoms hébraïques. Je suis toujours dans la suite de ce cycle et je vais en arriver bientôt au moment où Jacob va bénir les deux fils de Joseph. L’intuition initiale qui m’avait poussée à entamer cette série de méditations, c’était celle de la «double mission». Elle est bien visible dans le cas de Joseph : il a bel et bien une mission vis-à-vis de son peuple et vis-à-vis du pays qui l’a accueilli, l’Égypte ; et à travers l’épisode de la famine, il va être amené à sauver à la fois le peuple qui l’accueille, et le peuple dont il est issu. Cette problématique de la double mission m’a paru très intéressante dans le contexte actuel, celui de la mondialisation, alors que nos pays sont de plus en plus multiculturels. Elle peut résonner fortement avec de nombreux parcours aujourd’hui : quand je suis amené à vivre dans un autre pays, quelle est ma mission en ce lieu ? Ai-je toujours une mission par rapport au pays dont je viens ? Puis, en m’intéressant de plus près au cycle de Joseph, je me suis rendue compte qu’il est riche d’une multitude de thématiques qui touchent aux questions anthropologiques fondamentales ; tout ce cycle nous offre des lieux de discussions, d’échanges interculturels passionnants.»
Pour ce jour, le texte choisi est extrait de Genèse 47 : on y voit Joseph, alors que sévit la famine qui frappe à la fois l’Égypte et tous les pays avoisinants, faire venir sa famille, qui s’installe dans le pays grâce à l’accueil bienveillant de Pharaon. Mais parallèlement, ce même Joseph, en zélé serviteur du souverain égyptien, met en vente les réserves accumulées pendant les sept années d’abondance. Les habitants du pays, n’ayant plus de nourriture et bientôt plus de moyen d’en acquérir, en sont réduits à vendre leurs troupeaux, leurs terres, et même à se vendre eux-mêmes comme esclaves de Pharaon, qui en vient à faire du pays entier, terres, troupeaux et habitants, sa propriété personnelle…
L’ambiguïté du sort de la minorité
«C’est un passage très dense, note Florence Taubmann, et qui pose beaucoup de questions. On voit ici que Joseph assume pleinement sa double identité : hébreu au pays des Égyptiens, il a épousé une égyptienne, mais son projet, c’est d’avoir sa famille réunie autour de lui. Voilà comment il l’installe en diaspora au moment de la famine. Mais cela pose une autre question : c’est l’ambiguïté du sort de la minorité. Quelles relations entretient-elle avec les habitants du pays… et avec le pouvoir ? En fonction de l’évolution de la situation du pays, ne risque-t-elle pas de devenir une variable d’ajustement, surtout dans le cas de régimes autoritaires ? Quand une minorité atteint un niveau socio-économique élevé, quand elle semble avoir des relations privilégiées avec le pouvoir qui la favorise, mais qui la tient en même temps, elle peut devenir en cas de crise le bouc émissaire de tout un peuple aux abois. Et on a là, avec le peuple hébreu en Égypte, tous les ingrédients d’un tel retournement…»
Tünde Lamboley, qui a longtemps vécu en Hongrie, témoigne pour sa part : «Quand on vit dans un autre pays – et c’est mon cas – Joseph est un personnage très parlant : il vit pleinement dans la contrée qui l’a accueilli, mais il garde tout de même ce lien ineffaçable d’une promesse originelle, à laquelle il revient toujours. Dans la vie, d’où qu’on vient, où qu’on aille, il faut être clair sur qui on est. On peut aussi ressentir une forme de culpabilité vis-à-vis de ceux qui sont restés au pays…» Les échanges sont lancés ; autour de la table, chacun élargit l’exemple de Joseph à d’autres contextes. «Être au clair sur qui on est, commente un étudiant, la question se pose pour les personnes qui doivent changer de pays ; mais on peut la vivre aussi à l’IPT, où se croisent des étudiants qui n’ont pas la même culture, ne viennent pas de la même Église… Et de même, pour celles et ceux qui deviendront pasteurs, il faudra accepter d’être envoyés dans des lieux, des paroisses, qu’ils ou elles n’auraient pas forcément choisis…» Florence Taubmann intervient : «Il y a toujours un sens à être là où on est : Joseph n’avait pas choisi de se retrouver en Égypte… C’est un thème que l’on retrouve dans divers textes bibliques : on a souvent comparé ce cycle de Joseph au livre d’Esther, qui est du même courant diasporique – l’histoire d’une jeune Juive vivant à la cour du roi perse Xerxès et parvenant à sauver son peuple d’un pogrom. Dans les deux cas, ce sont des livres qui nous disent que l’on peut être pleinement soi-même tout en vivant ailleurs. Être pleinement là où Dieu nous a placés.» «Chacun, note encore un convive, peut vivre à n’importe quel moment de sa vie une situation où il se sentira étranger ; d’où l’importance de garder ou de tisser des liens, d’être en communauté.» Un autre souligne : «Il est important de se rappeler, dans les «périodes égyptiennes» de notre vie, qui nous sommes et où est notre terre promise…»