Lassées de voir la Bible utilisée pour légitimer une «soumission des femmes», une vingtaine de théologiennes protestantes et catholiques, se revendiquant également féministes, se sont réunies pour publier «Une Bible des femmes». Une nouvelle manière d’aborder les textes bibliques en les reliant aux préoccupations et aux grands enjeux de l’époque et de la condition féminine. Et, pourquoi pas, un cadeau original et engagé pour Noël… «Au XXle siècle, écrivent les auteures, la Bible mérite d’être tirée du désintérêt et du désamour. En tant que théologiennes, nous avons mesuré les peines, creusé les doutes, sondé les misères que certaines lectures bibliques ont alimentées, surtout auprès des femmes. Nous devons à nos contemporaines des lectures bibliques honnêtes face à leurs questions».

Retrouvez ci-dessus une interview, réalisée par DM-échange et mission, d’une des contributrices de l’ouvrage : Fidèle Fifame Houssou Gandonou, pasteure de l’Église méthodiste du Bénin. Elle a consacré sa thèse aux fondements éthiques du féminisme. «Si nous comprenons l’Évangile, estime-t-elle, nous sommes tous féministes, hommes et femmes».

 

Au-delà des clichés véhiculés par l’imagerie populaire d’un Dieu représenté avec une longue barbe blanche, d’une Ève tentatrice, portant une pomme dans sa main, ou de lettres de Paul vues comme misogynes, la Bible recèle un immense potentiel libérateur pour les femmes. Tout est question d’interprétation… Convaincue, dès 1895, de cette nécessité de relire les textes bibliques avec une autre perspective, Elizabeth Cady Stanton avait réuni un comité de vingt femmes pour réécrire la Bible. Elles découpèrent les passages qui parlaient des femmes, et les commentèrent selon leurs convictions. Ainsi naquit la Woman’s Bible. Un ouvrage très contesté dès l’origine, mais qui n’en devint pas moins un best-seller populaire. Les érudits de l’époque restèrent toutefois prudemment à distance et continuèrent à ne pas aborder le sujet du sexisme dans la Bible… jusqu’en 1964, année où Margaret Brackenbury Crook publia Women and Religion, une étude du statut de la femme dans le judaïsme et le christianisme.

Un peu plus d’un siècle plus tard, la question s’est posée de nouveau : que deviendrait une entreprise de réécriture de la Bible au XXIème siècle par des femmes ? Une Bible relue en fonction des dernières découvertes en sciences bibliques, mais aussi à la lumière des questions du temps. Sachant que l’exégèse est encore bien trop souvent une affaire d’hommes… Ainsi a vu le jour cette «bible des femmes». Le projet émanait de la Faculté de théologie de l’Université de Genève et des Editions Labor et Fides. Il était accompagné d’un cours public au titre provocateur de «Ni saintes ni soumises: femmes de la Bible». Ce livre a réuni à nouveau un comité d’une vingtaine de femmes théologiennes, protestantes et catholiques francophones, vivant en Suisse, au Bénin ou en Allemagne. Elles ont développé une dizaine de thématiques majeures liées aux femmes, en mettant en évidence comment des textes bibliques peuvent être lus à frais nouveaux ; en tissant ainsi des liens avec les problématiques de l’époque, avec la charge mentale des mères de famille salariées, les dénonciations de #MeToo…

«Nul besoin de jeter la Bible si l’on est féministe»

«Une bible des femmes – Vingt théologiennes relisent des textes controversés», sous la direction d’Élisabeth Parmentier, Pierrette Daviau et Lauriane Savoy. Ouvrage publié chez Labor et Fides, 19,00 €

Qu’en est-il des hommes ? Ils ne sont pas laissés de côté, loin de là. «Lecteurs hommes, interpelle l’introduction de l’ouvrage, ne fermez pas ce livre en haussant les épaules, nous avons tout autant pensé à vous ! Et nous vous convions à dépasser à nos côtés des stéréotypes encore trop ancrés. On ne sait pas assez combien d’excellents travaux de biblistes, femmes et hommes, ont changé les interprétations bibliques au sujet des femmes. Les théologies féministes ont beaucoup œuvré en ce sens, suivies par de nombreuses recherches soulignant les perspectives d’encouragement et de libération qui traversent ces textes. Nous espérons éveiller la curiosité pour cette libération qui dans les textes côtoie des enfermements. Nul besoin de jeter la Bible si l’on est féministe – et nul besoin de rejeter le féminisme si l’on est chrétienne. Mais savoir lire… avec perspicacité et rébellion.»

Les auteures en sont persuadées : la lecture des textes bibliques ne peut que gagner à être ainsi faite à travers une nouvelle perspective. «Au XXlème siècle, la Bible mérite d’être tirée du désintérêt et du désamour. En tant que théologiennes, nous avons mesuré les peines, creusé les doutes, sondé les misères que certaines lectures bibliques ont alimentées, surtout auprès des femmes. Nous devons à nos contemporaines des lectures bibliques honnêtes face à leurs questions – qui sont aussi des questions pour les hommes. Dans notre bible des femmes, nous avons voulu laisser parler les textes avec liberté. Nous commentons donc avec des genres littéraires divers, comme dans la vraie Bible : morceaux d’analyse, miettes d’humour, narrations, explications, interrogations, études textuelles, approches historiques, situations d’actualité… Autant de manières de croiser la vie quotidienne et les soucis existentiels des femmes.» Au final, et au-delà «des errances de la tradition chrétienne, des occultations, des traductions tendancieuses, des interprétations partiales, des relents du patriarcat qui ont pu mener à nombre de restrictions, voire d’interdits pour les femmes», reste cette conviction : «le témoignage de la Bible vaut la peine d’être transmis, sans taire les discussions qu’il suscite, mais avec toute la passion et la puissance de vie qu’il éveille. Nous souhaitons que quelque écume déborde sur les plages d’existence de nos lectrices et lecteurs.»

Avec les contributions de Chen Bergot, Joan Charras-Sancho, Pierrette Daviau (dir.), Priscille Djomhoué, Priscille Fallot-Durrleman, Anne-Cathy Graber, Fifamè Fidèle Houssou Gandonou, Christine Jaquet-Lagrèze, Blandine Lagrut, Isabelle Lemelin, Anne Létourneau, Lauren Michelle Levesque, Diane R. Marleau, Martine Millet, Elisabeth Parmentier (dir.), Danièle Ribier, Lauriane Savoy (dir.), Bettina Schaller, Sabine Schober, Catherine Vialle, Hanna Woodhead.

 

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