Tsima Andrianorojaona Razanadrakoto © Défap |
En langue malagasy, «tsima» est un vieux mot qui désigne la garde royale ; ou alors, les piquets qui empêchent la tente de s’écrouler. Ce double symbole qui s’attache à son prénom, Tsima Andrianorojaona Razanadrakoto le décrypte avec un léger sourire, mais il semble s’y reconnaître : ce qui le garde et le protège, ce qui le maintient debout, c’est sa foi. Une foi qui libère. Elle s’exprime à travers la thèse qu’il a soutenue le 30 novembre dernier à l’Institut Protestant de Théologie à Montpellier : «Sans la loi mais par la foi», une exégèse de Romains 12:1 à 15:13, dirigée par Elian Cuvillier. Un travail qui a représenté un cheminement personnel autant qu’intellectuel : il l’a amené bien loin de Madagascar, où il enseigne à l’institut d’études politiques de Tananarive tout en étant pasteur de l’Église internationale Andohalo, seule paroisse internationale de la FJKM (l’Église de Jésus-Christ à Madagascar, plus grande Église protestante de l’île avec environ 8 millions de membres). Ce cheminement a été marqué par des rencontres et notamment celle d’Elian Cuvillier, professeur à la faculté de théologie de Montpellier. Tsima Razanadrakoto rend hommage à «son humanité, sa compréhension, qui m’ont permis de cheminer sur un parcours qui n’était pas facile. C’est son approche, son aide qui m’ont permis de continuer malgré les difficultés que j’ai pu rencontrer à mon arrivée de Madagascar, et de ne rien lâcher. Je lui en suis très reconnaissant, pour ne pas dire redevable. C’est un professeur qui ne garde pas ses distances et qui est très stimulant, quitte à bousculer autant qu’à exhorter.»
La genèse du travail qu’il a soutenu fin novembre remonte à 2011. «J’étais venu en France pour un projet doctoral, raconte Tsima Razanadrakoto, et c’est à ce moment que j’ai commencé à travailler avec Elian Cuvillier. Il m’a préconisé un travail complémentaire en master recherche. Ce qui m’a permis de continuer le cycle doctoral, et d’obtenir une bourse de l’IPT (Institut Protestant de Théologie), grâce à laquelle j’ai pu rester deux ans de plus, jusqu’en 2014. Entre-temps, le Défap m’a toujours soutenu financièrement, et la Cevaa m’a accordé des aides ponctuelles. Après ces trois années de séjour en France, j’ai pris mes fonctions à Tananarive tout en continuant à écrire ma thèse. De 2014 à 2017, j’ai fait des allers-retours entre Madagascar et la France, avec le soutien du Défap.»
«Faire passer des messages sans heurter les sensibilités»
Le choix de son sujet de thèse révèle bien plus qu’un intérêt intellectuel. Il s’y attache à la question du «renouvellement de l’intelligence», entendu comme une traduction pratique de la justification – la justification par la foi se traduisant en la personne du croyant comme une métamorphose opérée par Dieu lui-même. «La théologie de Paul, souligne Tsima Razanadrakoto, m’a toujours intéressé. En partie à cause du contexte propre à Madagascar, qui ne donne pas forcément la première place à la théologie de la grâce et de la rédemption ; et en partie parce que j’ai toujours été intéressé par la relation avec l’Autre. C’était déjà le thème de mon mémoire de master recherche, que j’avais intitulé «La foi à l’épreuve de la rencontre». La foi nous donne des pratiques et des convictions personnelles et communautaires ; mais nous devons accepter que ces pratiques, rites et convictions ne soient pas figés, mais soient toujours à l’épreuve de chaque rencontre. Cette idée, je l’ai étudiée plus largement dans ma thèse en m’intéressant à la question de la relation interpersonnelle sous toutes ses facettes.» Une relation dans laquelle l’apôtre Paul, à travers ses lettres aux Romains, et notamment dans le chapitre 14, réintègre la présence de Dieu : «Paul élargit toujours les relations duelles, en relations triangulaires dans lesquelles Dieu a sa place : le soi, l’autre et Dieu. Dès lors toute relation interpersonnelle y compris avec les ennemis, y compris avec les autorités, se voit régie par cette logique de l’amour, qui conduit chaque croyant à se trouver dans la dynamique de l’espérance et de la persévérance, non dans le jugement et le mépris.»
Or dans toute société se pose nécessairement cette question de «comment exister et être en relation avec l’Autre». Y compris aujourd’hui, ce qui invite à une lecture actuelle de l’épître de Paul aux Romains. Y compris dans la société malgache, même si la rencontre, reconnaît Tsima Razanadrakoto, n’y est pas toujours facile. «Lorsque je suis dans ma position d’enseignant, je peux ouvrir des débats avec des étudiants, qui sont là pour apprendre. Mais il peut m’arriver de rencontrer des gens aux convictions figées, qui ne sont pas forcément à l’écoute ; auquel cas j’essaie de faire passer des messages sans heurter leur sensibilité.» Cette difficulté est particulièrement visible dans les relations interreligieuses : «à Madagascar, le terme de « dialogue interreligieux » n’existe pas vraiment ; on parle plutôt d’évangélisation, parfois à outrance ; on va vers l’Autre uniquement pour essayer de convaincre. La différence, au final, ça fait peur à Madagascar ; on reste sur son coin de rue, dans la position de celui qui juge et considère que les autres font fausse route ; même au sein de la FJKM, on utilisera plutôt le terme « Paik’ady » (tactique de guerre) pour christianiser les musulmans, qui commencent à gagner du terrain (il existe ainsi un projet visant à bâtir de nombreuses mosquées). Mais au sein de la paroisse internationale, j’ai plus de latitude pour introduire l’idée de dialogue avec nos frères musulmans : j’ai déjà donné des conférences sur ce thème, ouvertes au public. Au final, la grande question c’est : quel est le message de l’Église ? Sommes-nous là pour susciter l’hostilité, ou pour pratiquer l’hospitalité ?»
Cette ouverture dont témoigne Tsima Razanadrakoto lui a aussi permis, tout au long de ce parcours qui l’a mené de Tananarive à Montpellier et à Paris, de se laisser bousculer dans ses convictions. «L’image de la France que j’avais avant d’y venir pour mes études, c’était celui, très répandu à Madagascar, d’une France colonialiste, toujours à la source des maux qui nous frappent. J’ai pu découvrir un autre visage de la France, celui qui a le plus d’humanité, qui est touché par l’amour. Et pour cela, je voudrais exprimer ma reconnaissance, en mon nom et au nom de mon Église, envers le Défap, la Cevaa, l’IPT, et envers divers amis qui m’ont fait comprendre qu’il est toujours possible de vivre et d’exister autrement, même dans les pires contextes.»
Franck Lefebvre-Billiez