Le cœur du monde bat au Maroc !

Les pasteurs Bertrand Vergniol et Jean-Luc Blanc étaient au Maroc du 3 au 8 février dernier. L’occasion de rencontrer les partenaires historiques du Défap et de découvrir les nouveaux projets mis en place sur le terrain. Conférence, visite d’un camp de migrants, échanges avec les étudiants de l’Institut Al Mowafaqa et les membres de l’Eglise évangélique au Maroc (EEAM).


Bertrand Vergniol, Karen Smith, Jean-Luc Blanc, Bernard Coyault, et les étudiants
à l’Institut Al Mowafaqa – crédit : Régis Ngago DABO

Première impression

C’est avec Karen Smith, présidente de l’EEAM et Bernard Coyault , directeur du centre AL Mowafaqa, que ces cinq journées marocaines se sont déroulées.

« Arrivés à Rabat, à peine à quelques heures de Paris, nous sommes déjà au cœur d’un monde plein de vie et d’humanité. C’est la première émotion qui nous vient lorsque nous parcourons la ville. Le pays, en pleine mutation, a vu sa population passée de 8 millions d’habitants en 1957 à 38 millions à ce jour ! »

Ils ont salué les frères et sœurs de ces églises chrétiennes en terres musulmanes. Et ce qui semble caractériser ces églises, c’est d’abord leur jeunesse et une formidable énergie. Ces foules subsahariennes et ces étudiants africains redessinent le visage chrétien et expriment leur soif de dialogue interreligieux. Un premier aperçu au Maroc des enjeux qui, à moindre échelle mais avec la même force, touchent le monde.

 

Au plus près des migrants

La visite du camp de migrants à Fès fut l’occasion d’échanger avec les membres du Comité d’Entraide International (CEI). Le travail qu’ils réalisent sur le terrain est reconnu. Ils apportent du bien et pas seulement des biens, assurent une présence humaine et un accompagnement spirituel.  L’histoire de ces hommes, de ces femmes et des enfants qui peuplent le camp est pour chacun unique mais toujours mouvementée. Répartis en quartier, Nigériens côtoyant Gambiens, Ivoiriens ou Camerounais, la vie s’organise passant du provisoire au long terme.

« Grâce à nos frères et sœurs de l’EEAM, témoigne le pasteur Vergniol, ces hommes et ces femmes reçoivent quelques soins, un sourire de Karen, une prière partagée…un peu d‘humanité ».

 

L’Eglise évangélique au Maroc : de l’ambition à la hauteur des défis

En effet, avec sa douzaine de paroisses aux quatre coins du pays, l’Eglise Evangélique au Maroc vit les enjeux et les soucis classiques d’une structure qui a beaucoup d’ambitions mais peu de moyens. Son corps pastoral est principalement africain dont une bonne moitié en formation à l’Institut Al Mowafaqa*,

Les temples sont surpeuplés le dimanche, entre pentecôtisme expressif et diversité théologique et liturgique à maintenir. L’EEAM garde le cap mais le sourire et l’énergie de sa présidente ne suffiront pas. Le Défap y participera.

L’avenir du monde se joue en partie au Maroc. Migrations, défis écologiques, développement économique…malgré toutes les tensions et les difficultés présentes, le pays est sur la bonne voie. Soutenir l’EEAM est une nécessité. Nous nous y sommes engagés.

 

* Lire le dossier complet sur l’Institut Al Mowafaqa

Affiche de la conférence « Croix et Croissant en Afrique francophone et en France »

organisée à l’université royale d’Ifrane, février 2017, DR

 




« L’eau, c’est la vie »

Timothée Ansen est parti pendant un peu plus de 3 ans au Maroc pour travailler au sein d’un partenaire du Défap, l’ALCESDAM.

L’ALCESDAM, Association pour la Lutte Contre l’Erosion, la Sécheresse et la Désertification au Maroc, est un facilitateur entre les bailleurs de fonds et les associations locales. L’association, de droit marocain, ne bénéficie pas des projets en direct mais fait office d’intermédiaire : elle est le garant, pour les bailleurs de fond du bon déroulement du projet.

Depuis trente ans maintenant, elle intervient dans les zones de palmeraies de la province de Tata. Ses objectifs sont de natures multiples : améliorer l’accès à l’eau pour l’agriculture dans le respect de l’environnement, lutter contre le déclin des palmeraies, créer une activité génératrice de revenu via l’élevage, promouvoir les produits du terroir et intégrer la femme rurale dans le tissu social.

 

Exemple de réalisation d'une bergerie collective, DR

Exemple de réalisation d’une bergerie collective, DR

 

L’Eglise Evangélique du Maroc, partenaire du Défap, est membre fondateur de cet organisme. A sa naissance, le projet était unique : relancer la culture des palmiers en zone désertique. Il rejoint aussi le thème de « sauvegarde de la Création » du Conseil Œcuménique pour la décennie et s’inscrit dans une actualité chaude concernant le climat et l’écologie. Un thème que porte le Défap dans sa Mission.

 

Le programme de l’association est au cœur des actions du Défap : venir en aide aux populations locales pour un meilleur développement de la communauté.

 

Un rôle taillé sur mesure

 

Envoyé du Défap, Timothée a eu pour mission la gestion administrative et financière des projets. Rédiger des rapports narratifs et financiers, contribuer, avec le chef de projet, à la bonne réalisation des programmes, faire le lien avec les partenaires, c’était là le rôle qui lui était dévolu.

 

Quatre programmes, désormais finalisés et financés par les bailleurs de fond, l’ont occupé à plein temps :

 

  • Dans le cadre du Plan « Maroc Vert, Pilier II », un programme tripartite de sauvegarde et développement des palmeraies, qui a duré cinq ans ;
  • Un programme de « Réhabilitation des palmeraies de Tata, Akka et Foum Zguid dans la province de Tata » en incluant des activités génératrices de revenus pour les femmes rurales ;
  • Un programme d’Actions Concertées des Oasis au Maghreb ;
  • Un programme de mise en place d’un modèle de nouvelle palmeraie moderne à Touzounine.

 

 Exemple de réalisation d'un foyer pour les femmes rurales, DR

Exemple de réalisation d’un foyer pour les femmes rurales, DR

 

Cette expérience, à la fois passionnante et très enrichissante, était initialement prévue sur une année. Seulement, voilà, quand on met un pied dans cette histoire bouleversante, tant sur le plan professionnel qu’humain, on ne revient pas si facilement. La preuve, Timothée y est finalement resté trois ans et trois mois. Sa mission l’a mené dans différents endroits du Maroc, qu’il s’agisse d’assister à des réunions de conseil d’administration, comité de pilotage ou de rencontrer des partenaires. Il était basé à Tata, ville d’environ 18 000 habitants. Une ambiance de grand village y régnait et c’est aussi ce dépaysement qui lui a plu. Son entourage étant pour la plupart francophones, son intégration s’en est trouvé facilitée : on l’a pris à plusieurs occasions pour un Marocain ! Marocain d’adoption, il l’est désormais : avec un tel accueil, comment ne pas se sentir chez soi là-bas ?

 

L’équipe : des liens forts

 

Trois personnes composaient son équipe opérationnelle. Un fonctionnaire du ministère de l’agriculture marocain, technicien agricole présent à temps partiel, et un bénévole, ingénieur agronome et ancien coordinateur au sein de l’association, qui venait de la capitale apporter son aide ; ainsi que la comptable qui vérifiait les comptes.

 

Le point central qui prévaut dans l’action de l’association, c’est l’amélioration du revenu des habitants. Les habitants de la Province faisant pour la plupart une agriculture de subsistance, le défi historique est celui de l’accès à l’eau d’irrigation. « Pour pouvoir produire, il faut de l’eau. Sans elle, il n ‘y a pas de vie : on perçoit vraiment cette réalité là-bas », témoigne Timothée.

 

Bassin relié à un puits équipé en photovoltaïque, DR

Bassin relié à un puits équipé en photovoltaïque, DR

 

La région se trouve dans un désert de cailloux, parsemé de palmeraies. C’est donc une priorité d’avoir accès à l’eau et disposer de puits collectifs est un des moyens. Sans eux, sans l’irrigation qu’ils assurent, il est impossible d’y maintenir l’agriculture.

 

Timothée n’en était pas à ses premières aventures avec le Défap : ses parents y ont été VSI. Il y a également travaillé pendant neuf mois pour assurer le suivi de projets en Haïti. Ayant grandi dans différents pays d’Afrique sub-saharienne, cette ouverture de poste a soulevé tout de suite chez lui beaucoup d’enthousiasme car intéressé par les problématiques que rencontre cette région.

 

Une approche astucieuse

 

L’association a un rôle de facilitateur : les besoins viennent d’associations locales, l’équipe opérationnelle visite le terrain et rencontre les responsables de l’association. Si la proposition rentre dans les objectifs de l’association, elle est soumise au conseil d’administration qui, après l’avoir validée, donne le feu vert pour utiliser ou chercher le financement adéquat. Une fois un financement obtenu, l’ALCESDAM est garant auprès du bailleur de fonds du suivi technique et financier, conforme aux prévisions, et cela avec la participation systématique de chaque association bénéficiaire. Timothée a été agréablement surpris par cette manière de fonctionner qu’il voit peu dans d’autres ONG.

 

Canal d'irrigation avant travaux Canal d'irrigation après travaux

Canal d’irrigation avant et après travaux, DR

 

Un autre point fort, c’est la diversité du conseil d’administration de l’ALCESDAM. Il se compose de onze personnes provenant d’origines diverses (Français, Suisses, Malgaches, Marocains…) et de confessions différentes (protestants, catholiques, musulmans, athés…).

 

Cette œuvre sociale, où vivent efficacement différentes croyances, est une preuve que nous pouvons nous entendre et réaliser ensemble des actions pour le bien commun.

 

La question du dialogue interreligieux est une priorité pour le Défap. En soutenant les actions de l’ALCESDAM, elle a œuvré un peu plus encore à la résonance de ce dialogue.

 




Formation à l’islamologie : comprendre l’autre

Dans un souci de meilleur vivre-ensemble et de dialogue interreligieux, le Défap a ouvert un programme de bourses pour une formation à l’islamologie. Une première « promotion » est sortie fin juin 2015. Présentation et impressions.
Le programme

 

Ce programme a consisté à donner des bourses à cinq étudiants pour qu’ils étudient et obtiennent le certificat en islamologie de l’Institut al-mowafaqa de Rabat, au Maroc.
Cette première expérience a été un succès.

 

Les bourses pour l’Institut Œcuménique de Théologie ont été attribuées à un étudiant français en théologie, deux pasteurs centrafricains, une jeune pasteure camerounaise et une journaliste de l’Eglise sénégalaise.

 

Ce certificat de six mois d’initiation à l’islamologie est reconnu par l’université de Strasbourg. Il a pour but de former des gens dont ce n’est pas la spécialité mais qui travaillent ou sont en contact avec des musulmans, afin qu’ils comprennent mieux cette culture religieuse.

 

Cette première session a bien fonctionné, et les organisateurs espèrent que l’expérience sera renouvelée.

Le ressenti des étudiants

 

Les boursiers concernés étaient tous très contents d’avoir l’occasion de participer à ce programme. Ils l’ont trouvé très difficile : en six mois, ils ont dû apprendre l’arabe classique afin de lire des textes du Coran.
Les professeurs qu’ils ont eus, de grandes pointures en islamologie, ne réalisaient pas toujours que des chrétiens n’avaient pas de connaissances, ne seraient-ce que basiques, en culture islamique.

 

Les étudiants ont fait un rapport sur leur formation. Ils ont également dû faire, pour valider le certificat, une soutenance de fin de programme.

 

La pasteure camerounaise a soutenu sur le sujet « le dialogue interreligieux face au djihad ».

 

La pasteure camerounaise en train de présenter sa soutenance

Voici un extrait de son texte de soutenance :

« L’actualité est de plus en plus marquée par la manifestation des actes violents posés au compte du djihad. Le concept est donc connu par les sociétés entières, voire le monde entier, sans que l’on ait recours au sens fondamental de cette réalité. (…) Aujourd’hui, les medias ne s’embarrassent guère de nuances en traduisant le terme djihad par « guerre sainte ». (…)

 

La paix dans le monde commence par la paix dans nos quartiers, dans nos rues, en faisant que chacun devienne ambassadeur et responsable. Cela passe par une action concrète : rendre visite à son voisin, organiser un repas entre deux communautés religieuses pour ne citer que ceux-là. Pour bâtir un monde plus fraternel, il faut pouvoir conjuguer spiritualité et action, former aussi les jeunes musulmans et chrétiens à une vision juste du djihad. Car, un enracinement insuffisant en sa propre foi, une connaissance et une compréhension insuffisantes de la croyance et de la pratique des autres religions, peuvent mener à de fausses interprétations.

Pour affronter donc, les défis du dialogue avec l’Islam, il faut apprendre à affiner ses jugements, à déconstruire certaines certitudes, à relativiser certaines croyances et à redécouvrir le message intemporel et universel du Coran.  Déconstruire pour construire est un passage obligé, pour pouvoir discerner dans l’héritage des musulmans, la part du juste et du faux, la part d’utile à eux et à l’autre. 

Déconstruire pour construire, c’est aussi cesser de regarder le djihad, comme étant un problème lié à l’Islam, à l’arabe, au musulman. Nous pensons qu’il est impératif, de regarder le djihad tel que mené aujourd’hui, comme un fléau qui mine la société entière. »

 

Par ailleurs, un des pasteurs centrafricains a donné son ressenti sur la formation :

 

« J’ai beaucoup apprécié la manière avec laquelle nous avons été amenés dans les réflexions et échanges. Ceci a permis une réflexion active de tout le monde qui, malgré notre arrière-plan socio-culturel et religieux, notre vision du monde diverse, des approches différentes ont finalement rendu compte des enjeux des points inscrits aux débats. Je ne peux pas non plus oublier ces moments de partage libre, si enrichissants, où les expériences des uns viennent authentifier celles des autres. Oh ! C’est merveilleux cette formation ! »

Les avantages du programme

 

Cette formation a été bénéfique, notamment lorsque l’on sait que les pays où vivent les étudiants financés par le Défap possèdent une importante communauté musulmane : le Sénégal est majoritairement musulman, le Cameroun possède des problématiques liés à l’Islam au nord, la Centrafrique connaît des soucis de cohabitation entre les différentes cultures religieuses, et la France a un problème grandissant d’islamophobie.

 

Ces personnes vivant dans des zones où les relations avec les musulmans sont difficiles, il paraissait important de les « former » afin qu’ils aient une vision différente et plus juste de l’Islam, pour que la vie en communauté soit facilitée. Mais aussi, il est important qu’ils diffusent leurs connaissances autour d’eux.

 

Le Défap va suivre ce qu’ils vont faire, pour voir comment les choses peuvent avancer avec eux, et s’ils peuvent continuer leur réflexion en islamologie.

L’association espère également que plus de Français vont venir se former et utiliser leur connaissance en islamologie dans le réseau des paroisses.

 

L’idée de ce programme est de favoriser le dialogue interreligieux par une meilleure connaissance des autres cultures.

 

Pour en savoir plus sur l’Institut al-mowafaqa