Jean-Pierre Anzala en mission au Sénégal : Renforcer les liens et préparer l’avenir

Dans le cadre de la préparation du stage de formation continue des pasteurs, prévu en février 2025 au Sénégal, Jean-Pierre Anzala, responsable de l’échange théologique au Défap, et Natacha Cros-Ancey, coordinatrice de la Communion protestante luthéro-réformée (CPLR) se sont rendus sur place. Cette mission s’inscrit dans une démarche de renforcement des partenariats historiques avec les Églises Protestantes et Luthériennes du Sénégal (EPS et ELS), tout en posant les bases théologiques et logistiques pour un événement clé du dialogue interculturel et de la réflexion théologique.

Le temple de Dakar

Ce déplacement avait pour ambition de :
• Collaborer avec les Églises locales pour ajuster le contenu et l’approche du stage au contexte sénégalais ;
• Identifier les intervenants clés, tels que le Professeur Seydi Diamil Niane, spécialiste de l’islam africain, et le Professeur Djim Dramé, promoteur du dialogue interreligieux ;
• Anticiper les besoins logistiques liés à l’hébergement, aux déplacements et aux visites prévues pendant le stage ;
• Explorer les défis locaux et les opportunités pour l’Église dans des contextes de minorité et de sécularisation.

L’accueil de l’Institut Fondamental d’Afrique Noire (IFAN) Cheikh Anta Diop

Des rencontres fructueuses avec les Églises sénégalaises

Jean-Pierre Anzala et Natacha Cros-Ancey ont rencontré les principaux responsables de l’Église Protestante du Sénégal et de l’Église Luthérienne du Sénégal, marquant une étape essentielle dans le renforcement des relations.

Avec l’Église Protestante du Sénégal (EPS)

L’équipe a été accueillie par plusieurs responsables, dont le Pasteur André Ouattara, modérateur, et Mme Florence Kembo, responsable de la communication. Les discussions ont mis en lumière les priorités de l’EPS :
• Développer une mission en milieu rural et diversifier la prédication en langues locales.
• Soutenir des projets d’impact social, tels que l’accès à l’eau, la scolarisation et la formation professionnelle, via l’APES (Association protestante d’entraide du Sénégal).

Jean-Pierre Anzala, Natacha Cros-Ancey et André Ouattara

Avec l’Église Luthérienne du Sénégal (ELS)

L’accueil au centre « Femmes pour Christ » a permis de constater les possibilités d’hébergement pour le stage. Les échanges avec des figures clés, comme le Pasteur Latyr Diouf, ont porté sur des projets stratégiques :
• Construction d’une église à Fatick sur un vaste terrain ;
• Reprise d’un institut de formation pastorale à Yeumbul ;
• Développement d’une catéchèse continue adaptée aux contextes citadin et rural.

Jean-Pierre Anzala, Natacha Cros-Ancey et Latyr Diouf

Des projets qui naissent de chaque rencontre

Ce voyage a permis de poser des bases solides pour la formation, mais aussi pour de futurs partenariats :
• Soutien à la création d’un institut théologique pour la formation pastorale avec l’ELS.
• Renforcement des projets diaconaux de l’EPS par l’envoi de volontaires en mission.
• Appui à l’implantation d’églises dans des zones rurales.

 

Une formation pour l’universalité de l’Église

Le stage prévu en février 2025, fruit de ce travail préparatoire, sera un moment unique d’échange entre pasteurs sénégalais et français. Il permettra d’explorer des thématiques comme le témoignage chrétien en contexte minoritaire ou la cohabitation interreligieuse. Ce projet s’inscrit pleinement dans la vocation du Défap : tisser des liens interculturels au service de l’Église universelle.

Ce déplacement de Jean-Pierre Anzala et Natacha Cros-Ancey illustre la mission du Défap, qui œuvre pour le dialogue, la solidarité et la réflexion théologique en contexte interculturel. Une belle étape pour vivre et témoigner de la richesse de l’Église dans sa diversité.




Soutenir un projet de protection de l’environnement au Bénin : l’appel du Président du Défap

La collecte de fonds pour l’installation d’un biodigesteur dans le village d’Agbonan au Bénin se poursuit. Ce projet entre dans la démarche du Défap en vue de la réduction de son empreinte carbone, ce qui passe entre autres par le soutien à des projets environnementaux. Aujourd’hui, le président du Défap, Joël Dautheville, appelle les Églises locales, les particuliers, les paroisses, etc ; à soutenir ce projet qui permettra aux ménages et aux établissements scolaires de bénéficier d’une énergie durable pour la cuisson et l’éclairage, d’un compost naturel pour un meilleur rendement agricole. En faisant un don, vous vous associez aux projets portés par le Défap et vous contribuez à réduire votre propre empreinte carbone.

 



L’appel du Président du Défap au soutien du projet d’Agbonan

Donnez pour ce projet !

« La crise climatique a des conséquences dramatiques sur toute la planète. Les pays de l’hémisphère Sud, notamment d’Afrique, vont être les plus touchés alors que leur contribution à la pollution est faible contrairement aux pays de l’hémisphère Nord qui sont responsables de 92 % des émissions excessives de carbone dans le monde.

Tout comme ses partenaires, les associations et Églises du Sud, le Défap est conscient de sa responsabilité écologique. Il s’est engagé à réduire son empreinte carbone en diminuant sa production de gaz à effet de serre et en compensant ce qu’il ne peut réduire par le soutien à des projets environnementaux issus des partenaires.

Les Églises du Sud et du Nord s’encouragent mutuellement à lutter pour que la terre continue d’être habitable pour tous.

Le Défap a lancé un appel à dons et vous invite à soutenir le projet d’installation d’un biodigesteur à Agbonan au Bénin pour valoriser les déchets agricoles et ménagers, en produisant du biogaz pour la cuisson et l’éclairage et des fertilisants pour l’agriculture.

D’avance merci pour votre contribution.

Je m’adresse à vous, particuliers, paroisses et Églises locales, associations, etc :

  • en donnant 50 € : vous participez à la sensibilisation de 4 ménages à la gestion et au tri des déchets.
  • en donnant 100 € : vous participez à la formation de 10 personnes à l’utilisation d’un biodigesteur.
  • en donnant 150 € : vous participez à l’achat de 5 brouettes pour le transport des déchets.
  • si vous donnez 800 € : vous participez à l’équipement de 75 ménages pour le tri des déchets.
  • Enfin, si vous donnez 1200 € : vous participez à l’achat et la construction d’un biodigesteur.« 

Joël Dautheville, Président du Défap

Je donne pour ce projet !




Le Défap recrute un Assistant administratif (F/H)

Vous êtes à l’aise dans le travail en équipe, organisé(e), autonome, vous aimez la vie associative et vous êtes disponible dès que possible ? Le Défap recherche un(e) :

Assistant administratif (F/H)

CDI à temps plein – poste basé à Paris

Vous travaillez sous la responsabilité du Secrétaire Exécutif en charge des Échanges de personnes et du Volontariat et êtes rattaché(e) au service Relations et Solidarité Internationale.

Le Défap recrute un assistant administratif F/H
Photo de Andrew Neel – Unsplash

Vos missions

  • Envoi et accueil de volontaires sous statut VSI ou en mission de service civique ;
  • Gestion administrative : candidatures, contrats et conventions, couverture sociale ;
  • Suivi administratif des volontaires ;
  • Interface avec les organismes sociaux et réunions techniques ponctuelles ;
  • Participation aux commissions « Échanges de personnes » et comptes-rendus ;
  • Archivage des dossiers traités.

Cette liste est non exhaustive.

Votre profil

  • Diplômé.e d’un Bac + 2 ou équivalent avec une expérience réussie en gestion administrative et/ou RH ;
  • Maitrise des outils bureautiques (Pack office / Office 365).

Vos compétences et vos qualités professionnelles

  • Gestion administrative et RH. Une expérience d’expatriation longue et/ou la connaissance du milieu du volontariat peuvent être des plus ;
  • Autonomie, anticipation, organisation et rigueur sont des qualités impératives pour ce poste ;
  • Vous êtes réactif(ve), disponible avec des qualités relationnelles et un intérêt pour l’interculturalité.

Candidature

CV et lettre de candidature à envoyer à l’adresse suivante :

secretariat.general@defap.fr

Ou

Service protestant de mission – Défap,
À l’attention du Secrétaire général,
102 Bd Arago
75014 Paris (France)

Plus d’infos : + 33(0)1 42 34 55 55
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La bibliothèque du Défap dans « Courrier de mission »

L’émission « Courrier de mission » du mois de novembre animée par Tolotra Haritsimba RANDRIAMANANJATO a été consacrée à la bibliothèque du Défap. Claire-Lise LOMBARD, responsable de la bibliothèque et des archives, et Blanche JEANNE, documentaliste, ont pu nous donner une vue d’ensemble sur les différentes collections, qu’il s’agisse des archives ou du fonds contemporain, et nous partager deux oeuvres qu’elles apprécient.
Claire-Lise et Blanche dans Courrier de Mission pour présenter la Bibliothèque du Défap© Le Défap

A l’origine destinée à la formation des missionnaires de la Société des missions évangéliques de Paris (1822-1971) puis ouverte aux chercheurs à la fin des années 1960, la bibliothèque du Défap réunit – en complément de ses fonds d’archives – une collection de livres et de revues principalement des XIXe et XXe siècle. Par son fonds contemporain, elle poursuit la mission de documenter le fait missionnaire d’hier à aujourd’hui.

 

Découvrir la bibliothèque

 

Que présentent les collections de la bibliothèque et pour quelle cible exactement ?

Tout en mettant en lumière la richesse de l’établissement, Claire-Lise et Blanche nous amènent à la découverte de la bibliothèque et de son histoire grâce à de petites anecdotes surprenantes ! Par ailleurs, découvrez deux de leurs coups de cœur :

La Bibliothèque du Défap

Courrier de Mission
Émission du 1er novembre 2024 sur Fréquence Protestante

 




« Le pardon chez Paul Ricœur : une proposition de construction socio-politique de la paix » : le texte intégral du webinaire

La deuxième session des « Jeudis du Défap » s’est tenue le 5 septembre dernier avec pour invité Robert Louinor, pasteur et docteur en théologie. La thématique qui a fait l’objet de son intervention était la suivante : « Le pardon chez Paul Ricœur : une proposition de construction socio-politique de la paix ». Cette thématique est également le sujet de la thèse qu’il a soutenue avec succès en 2023, explorant ainsi les dimensions philosophiques et théologiques du pardon selon Paul Ricoeur, plus précisément dans le cadre de la construction de la paix sociale et politique. Après le replay, retrouvez la retranscription intégrale des interventions de cette webconférence présentée par Jean-Pierre Anzala, responsable de l’Échange théologique au Défap, réalisée en partenariat et diffusée simultanément par Forum protestant, et par l’hebdomadaire Réforme. Nous vous attendons le 5 décembre pour terminer l’année avec la dernière conférence de cette série sur le thème : « Théologie interculturelle et interculturalité dans l’Église », avec pour intervenant le professeur Gilles Vidal.

Robert Louinor est titulaire d’un doctorat en théologie à l’Institut Protestant de Théologie (IPT) de Paris © Défap

Jean-Pierre Anzala

Merci d’avoir accepté notre invitation aux Jeudis du Défap. Le sujet de votre thèse (Le pardon chez Paul Ricœur, Une proposition sociopolitique de la paix) s’enracine-t-il dans votre histoire personnelle ?

Robert Louinor

En Haïti, on a l’habitude comme en France de réciter le Notre Père tous les dimanches. Au début de mes études en France, j’ai été surpris que des philosophes aient parlé de ce qui pour moi était une thématique religieuse. À l’Université de Vincennes-Saint-Denis, dans son cours intitulé Mémoire et démocratie, Patrice Vermeren abordait cette question du pardon en mobilisant des philosophes comme Vladimir Jankélévitch, Hannah Arendt, Jacques Derrida et Olivier Abel. Je me suis demandé pourquoi nous qui, à l’église, récitons le Notre Père dans une perspective liturgique, n’avons pas l’habitude d’aborder cette question du pardon dans une perspective sociale et politique. J’ai donc commencé à travailler sur le pardon dans une perspective sociopolitique à partir de 2015.

Le pardon chez Paul Ricœur : une proposition de construction sociopolitique de la paix

Mon intervention ne vise pas à montrer que le pardon chez Paul Ricœur est un pardon religieux, même si Ricœur combine l’aspect sociopolitique de la question du pardon avec quelques références bibliques. Mon intervention vise à montrer que le pardon chez Paul Ricœur est un concept complexe qui s’étend au-delà d’un simple acte individuel pour inclure des dimensions sociales et politiques. Il s’agit d’un processus collectif qui vise à reconnaître les souffrances passées, à restaurer la confiance et reconstruire les relations sociales brisées par des conflits violents.

En deuxième lieu, mon intervention vise aussi à soutenir que le pardon sociopolitique n’efface pas les drames du passé mais permet de s’en souvenir, sans pour autant rester dans la hantise du passé. Le pardon sociopolitique est nécessaire pour (re)construire la paix, après des drames individuels ou collectifs. Il vise la sauvegarde d’une possibilité de restaurer une certaine harmonie entre les humains tant au niveau intracommunautaire qu’au niveau intercommunautaire, voire même entre des pays qui ont dans leurs annales de très sombres pages d’histoire. On a souvent l’habitude de confondre le pardon et l’oubli, alors qu’on ne peut parler du pardon sans faire un rappel du passé. Le pardon nous y aide en essayant de comprendre et d’expliquer le mal qui a été commis ou bien subi, en essayant de voir comment nous pouvons nous projeter vers l’avenir.

Je présente dans ma première partie une brève biographie de Paul Ricœur. Ensuite, dans la deuxième partie, je tente de définir la question du pardon selon la pensée philosophique de Paul Ricœur. Enfin, dans la troisième partie, je termine sur les enjeux du pardon sociopolitique, en prenant comme exemples les cas de l’Afrique du Sud et du massacre des Haïtiens en République Dominicaine.

1. Ricœur et la philosophie du pardon

Paul Ricœur est né à Valence en 1913 et a été rapidement orphelin de père et de mère: sa mère meurt 6 mois après sa naissence et son père est tué au front au tout début de la Première Guerre mondiale. Après la mort de ses parents, Ricœur est recueilli avec sa sœur aînée Alice par leurs grands-parents paternels, puis par une tante et élevé dans la tradition du protestantisme réformé et du socialisme. Au début des années 1930, Ricœur obtient sa licence en philosophie à Rennes et poursuit ses études à la Sorbonne. Il passe son agrégation en 1935, année de la mort de sa sœur et où il épouse Simone Lejas (le couple aura cinq enfants). En 1950, Riœur soutient sa thèse de doctorat en philosophie sur Le volontaire et l’involontaire. Quand nous allons agir, décider de faire quelque chose, nous sommes en tension entre ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire: Ricœur essaie de penser cette tension qui existe en nous en tant qu’être humain. Ricœur a enseigné la philosophie au lycée et à l’université: à Strasbourg, à la Sorbonne, à Nanterre, à Chicago où il alla occuper la chaire de Paul Tillich. En résumé, la vie de Paul Ricœur est marquée par la tragédie et par le mal: la mort de ses parents, et aussi d’un de ses enfants qui s’est suicidé. Quelle est sa contribution à la théologie chrétienne ? Dans un ouvrage intitulé La réception de l’œuvre de Paul Ricœur dans les champs de la théologie, Ricœur est présenté comme l’un des penseurs contemporains qui a porté la philosophie au-devant de la Bible et de la théologie. Si Ricœur est quelqu’un qui apporte aussi d’importantes contributions dans le domaine de l’exégèse et de la théologie biblique, il aide surtout à penser certaines questions, certaines thématiques en lien avec l’herméneutique.

2. La définition du pardon chez Ricœur…

Quand on parle du pardon, il y a souvent des gens qui disent: «Le pardon est une thématique religieuse et donc cela ne nous intéresse pas». Dans une rencontre où j’essayais d’expliquer mon parcours, j’ai parlé de la thématique du pardon et une personne m’a dit: «Chez nous, on ne parle pas du pardon. Le pardon, on en parle ailleurs». La façon dont cette personne a réagi m’a beaucoup interpellé et, au moment de la pause, je suis allé la voir pour m’expliquer et essayer d’approfondir la réflexion, pour lui demander pourquoi elle avait réagi ainsi. Mais elle a refusé d’échanger et de répondre à cette question ! Je me suis demandé si c’était parce que cette thématique-là n’avait pas d’importance pour elle ou si c’était parce que pour elle, le pardon était une thématique religieuse. Qu’est-ce que le pardon ?

Si nous nous penchons sur l’étymologie du verbe pardonner, nous trouvons le verbe donner. Pardonner, c’est donner quelque chose. Mais si le pardon est un don, cela ne peut se réduire à une mesure quantitative. Le verbe pardonner signifie proprement: donner complètementremettre (du latin per et donare). D’après Xavier Léon-Dufour, si nous nous basons sur la tradition judéo-chrétienne, pardonner signifie «rétablir la relation entre deux êtres, rompue à cause d’une offense». Le rétablissement de cette relation est d’abord vertical: c’est la relation entre Dieu et nous en tant qu’êtres humains. Sur le plan horizontal, c’est la relation entre l’homme et ses semblables et il y a une tension entre le vertical et l’horizontal. Je n’aborderai pas aujourd’hui le côté vertical mais le côté horizontal, en mettant l’accent sur le pardon entre semblables, le pardon interpersonnel.

Dans une perspective philosophique, le pardon est une notion difficile à définir. Pour Olivier Abel, qui cite Paul Ricœur, «Le pardon est un mot très équivoque, il est à la fois le pardon que l’on demande et le pardon que l’on donne. « Le pardon pense au pluriel, il se demande, il se reçoit, mais il reste un acte incertain » ». Peut-on parler du pardon sans tenir compte de cette complexité ? Cette pluralité de sens rend difficile toute définition unitaire du pardon et c’est à juste titre que Paul Ricœur parle du pardon comme « l’énigme d’une faute qui paralyserait la puissance d’agir de cet ‘homme capable’ que nous sommes et c’est, en réplique, celle de l’éventuelle levée de cette incapacité existentielle que désigne le terme de pardon ». Pour Ricœur,

« Le pardon, s’il a un sens et s’il existe, constitue l’horizon commun de la mémoire de l’histoire et de l’oubli. Toujours en retrait, l’horizon fuit la prise. Il rend le pardon difficile: ni facile, ni impossible. Il met le sceau de l’inachèvement sur l’entreprise entière. S’il est difficile à donner et à recevoir, il l’est tout autant à concevoir ».

Dans cette perspective, Ricœur met en avant la difficulté du pardon, particulièrement dans le sens sociopolitique prenant en compte la question de la mémoire, de l’histoire et de l’oubli. Le pardon devient un concept de plus en plus difficile à définir: en tant que concept sociopolitique, le pardon est un phénomène complexe qui traverse les domaines de l’éthique, du droit, de la politique et des relations interpersonnelles. D’après notre philosophe, le pardon n’est «ni facile, ni impossible»: chacun rencontre le pardon selon sa propre expérience. Ricœur ne postule pas que le pardon est impossible, mais ne dit pas non plus que le pardon est facile. C’est pour cela qu’il ne cherche pas à définir le pardon mais au contraire (plutôt que d’apporter lui-même des réponses définitives) à questionner les réponses déjà formulées.

En m’inspirant de Ricœur, j’avance que le pardon est pour la victime la séparation entre ce qu’elle est et l’acte qu’elle a subi. Pour le coupable, le pardon signifie la séparation entre l’agent et l’acte qu’il a commis.

Robert Louinor le 5 septembre pour les jeudis du Défap
Robert est fondateur d’une école en Haïti pour les enfants en difficulté © Défap

… et l’évolution de cette question dans son œuvre

Voyons maintenant comment se déploie la question du pardon dans la pensée de Paul Ricœur. Pour ce faire, j’ai sélectionné quelques articles.

D’abord, La symbolique du mal, en 1960, où il aborde la question du pardon dans une perspective philosophique, en essayant de réviser des thématiques en lien avec la théologie. Il expose un certain nombre de mythes du Bassin méditerranéen pour parvenir à une approche symbolico-religieuse du pardon. Pour lui, «le mal y apparaît comme souillure, péché et culpabilité, dans la lumière du pardon qui apparaît comme purification, rédemption et justification». Tous ces thèmes sont connexes à la question du pardon. En s’appuyant sur la tradition biblique, Ricœur développe des thèmes connexes au pardon en travaillant la question de la tache et celle de la souillure qui nécessitent la purification, Ricœur ouvre déjà la voie au pardon car c’est une notion corrélative à celle de faute, de culpabilité et à celle du mal qui ne peut être remis que par le pardon et le rachat divin. C’est-à-dire la rédemption.

Le deuxième article est Quel éthos nouveau pour l’Europe ?, un texte publié en 1992 dans lequel Ricœur analyse le pardon au croisement du modèle de la traduction et de celui de l’échange des mémoires, pour penser en terme d’imagination la question de l’avenir de l’Europe. Ricœur propose le modèle du pardon comme un dispositif qui pourrait construire la paix entre des États marqués par des guerres de religion, de conquête, d’extermination. Le pardon, dit-il, est la seule manière de briser la dette et l’oubli, et ainsi de lever les obstacles à l’exercice de la justice et de la reconnaissance. Pour Ricœur, le travail du pardon doit se greffer sur le travail de la mémoire: on ne peut pas parler du pardon sans tenir compte du passé. Et en faisant appel au passé, on se réfère à la question de la mémoire dans un langage de la narration. Quand on décrit une scène de crime, ce qui est en train de s’exprimer pourra apporter une contribution et aider la victime ou bien les descendants de la victime (ou des victimes) à changer de regard sur certaines choses, sur certaines perspectives.

Dans les articles Sanction, réhabilitation, pardon, et Le pardon peut-il guérir ?, Ricœur essaie de penser le pardon dans une perspective thérapeutique: comment le pardon peut aider quelqu’un à se libérer de certaines difficultés, de certaines souffrances. Dans une perspective collective, il essaye de tenir compte du rapport de la France à l’Algérie et d’autres sujets d’actualité brûlante.

Le livre La mémoire, l’histoire et l’oubli parle beaucoup de cette question. Ricœur essaie d’y penser la question du pardon dans une perspective sociale et politique. Le pardon se conjugue dans une dualité tensionnelle entre l’individuel et le collectif et ne reste pas exclusivement limité à l’aspect religieux et privé. Donc

«Sous le signe du pardon, le coupable serait tenu pour capable d’autre chose que de ses délits et de ses fautes, il serait rendu à sa capacité d’agir et l’action rendue à celle de continuer. C’est cette capacité qui serait saluée dans les menus actes de considération où nous avons reconnu l’incognito du pardon joué sur la scène publique. C’est enfin de cette capacité restaurée que s’emparerait la promesse qui projette l’action vers l’avenir. La formule de cette parole libératrice, abandonnée à la nudité de son énonciation, serait: Tu vaux mieux que tes actes».

Dire que l’agent vaut mieux que ses actes, c’est dire qu’il est capable d’autre chose que ses actes, ou du moins ses délits. Le pardon consiste à tenir le coupable capable d’autre chose que de ses mauvaises actions puisqu’il dispose en lui de ressources de régénération. Par le pardon, l’agent change en un autre que lui-même. Pardonner suppose de dire à l’autre: Tu vaux mieux que tes actes. Par le pardon, le caractère d’autrui défiguré sera refiguré pour configurer l’espérance d’une capacité de promesse renouvelée. Du côté de la victime, l’acte a d’une certaine manière défiguré la victime parce qu’elle a été affectée dans sa chair et dans sa puissance d’être. Parler de la question du pardon dans un sens sociopolitique, c’est poser certaines conditions: on ne peut pas parler du pardon dans le sens sociopolitique sans tenir compte des conditions.

Première condition: il n’y a pas de pardon sans repentance. Si je la mets en premier, c’est parce que Bonhoeffer a parlé d’une « grâce à bon marché ». J’essaie de faire une comparaison en parlant de pardon à bon marché. Un pardon à bon marché est un pardon où des gens offrent le pardon sans tenir compte de la repentance. Mais comment peut-on pardonner quelqu’un s’il ne se repent pas ?

Deuxième condition: nul ne peut pardonner seul, il faut être deux pour parler du pardon. En tant que victime, est-ce à moi de pardonner alors que l’offenseur ne fait pas un pas vers moi pour me demander pardon ? Le pardon met en relation deux personnes.

Troisième et quatrième conditions: ceux qui demandent pardon doivent être ceux qui ont commis le tort (nul ne peut se repentir à leur place) et ceux qui pardonnent doivent être ceux qui ont subi le tort (nul ne peut usurper cette place). Si le pardon est ce que les coupables seuls peuvent demander et ce que les victimes seules peuvent accorder ou refuser, la question du pardon au niveau collectif rencontre encore plus de difficultés puisque celui qui pardonne doit être celui qui a subi le tort ou le mal.

Cinquième condition: on ne peut pardonner que lorsque tout a été fait pour tenter de réparer. Et ce travail doit être accompagné par une prise de conscience de l’irréparable. Parler de la question du pardon, c’est parler de l’irréparable. Pardonner, c’est tenter de réparer l’irréparable. Si j’écris sur une feuille de papier et puis que je la plie, je commets le mal. Je peux essayer de réparer le mal en dépliant la feuille … mais il restera le pli. Le mal qui a été commis ne peut pas être compensé ou remis à plat, à zéro : il laisse toujours des cicatrices et c’est pareil dans les relations humaines ou interétatiques. Parler de la question du pardon suscite un travail pour prendre conscience qu’il y a de l’irréparable, un mal, une faute qui a été commise. Sinon, on ne peut pas parler du pardon.

Sixième condition: on ne peut pardonner que ce qui n’a pas été oublié. Le pardon ne signifie pas oublier ou minimiser l’acte répréhensible, mais plutôt reconnaître la blessure du passé ou le mal commis dans les relations interpersonnelles ou interétatiques. Il doit être un acte qui permet de reconnaître le mal subi par les victimes.

Septième condition: on ne peut pardonner que ce que l’on peut punir. Si on ne peut pas punir un mal, un crime, peut-on parler de la question du pardon ?

« Entrer dans l’ère du pardon, écrit Ricœur, c’est accepter de se mesurer à la possibilité toujours ouverte de l’impardonnable. Y a-t-il de l’impardonnable ? Faut-il ou peut-on tout pardonner ? Pardon demandé n’est pas pardon dû ». Je peux demander pardon mais le pardon reste une parole incertaine, indépendamment de la victime qui va accepter ou non cette demande de pardon: « Le pardon, c’est ce que les victimes seules peuvent accorder. C’est aussi ce qu’elles seules peuvent refuser ».

En somme, même si toutes les conditions sont réunies, le pardon tant au niveau individuel que collectif reste un acte difficile. Il n’est ni facile ni impossible mais difficile. Dans ce cas, je rejoins Frédéric Rognon qui se demandait, lors de ma soutenance de thèse,

« si l’on doit pardonner à ceux qui ne reconnaissent pas leur tort ou à ceux qui ne demandent pas pardon, et qui doit pardonner si les victimes ou les auteurs ont disparu. Une réponse ne pourrait-elle être de remettre à Dieu sa repentance lorsqu’elle n’est pas reçue, ou son désir de pardonner lorsqu’il n’est pas demandé, afin d’être soi-même libéré de la dette ? ».

3. Enjeux éthico-politiques du pardon dans la construction sociopolitique de la paix

Quels sont les enjeux pratiques que relève Ricœur à propos des usages du pardon dans le champ sociopolitique ? «Qui dit enjeu, dit chose à gagner ou à perdre, mise en danger, en tout cas mise en question», écrit-il. Demander ou donner le pardon pour des offenses commises présente un problème fort délicat, tant dans le domaine de l’éthique individuelle que collective: dans certaines cultures, le pardon a une dimension religieuse qui influence fortement les processus sociopolitiques, par exemple dans les sociétés où les principes religieux jouent un rôle central. Le pardon peut y être vu comme un impératif moral (il faut pardonner, on doit pardonner). Mais si un mal a été commis, suis-je dans l’obligation de pardonner (par exemple en tant que descendant des victimes) les descendants des oppresseurs ? Si on parle de la question du pardon, c’est pour nous, êtres humains d’aujourd’hui. Ce qui pose beaucoup de difficultés: «De quelle délégation un homme politique en fonction, le chef actuel d’une communauté religieuse peuvent-ils se prévaloir pour demander pardon à des victimes dont, au reste, ils ne sont pas l’agresseur personnel, et qui elles-mêmes n’ont pas personnellement souffert du tort visé ?». Est-ce que je dois pardonner à la place de l’autre ? Cela pose trois questions sur le plan politique.

Mémoire et pardon. La mémoire est la faculté dont nous disposons pour conserver les faits passés ou pour les rappeler. Pour entrer dans une démarche de pardon, il faut que la victime autant que le coupable se souviennent du mal subi ou commis. Associer la mémoire au pardon, c’est accepter de rouvrir la mémoire pour puiser dans notre passé commun, ce qui nous lie et nous délie. Selon Ricœur, le pardon est une réponse à l’inévitable douleur des souvenirs, puisque la mémoire a pour fonction de conserver les blessures et les injustices du passé. En ce sens, la mémoire et le pardon ont en commun de permettre de se souvenir du crime et de ceux qui sont morts de la mort inventée par l’homme. Si le pardon libère la mémoire du poids insurmontable de la faute passée, la mémoire en retour est libérée pour ce grand projet. C’est ce qui fait dire à Ricœur que «le pardon donne un futur à la mémoire».

Pardon et histoire. «Le pardon permet de revisiter et de raconter autrement les histoires du passé» : parler du pardon, c’est rouvrir le passé pour ensuite réinterpréter en vue d’influencer notre présent et se tourner vers l’avenir. Il est donc impossible de penser le pardon sans visiter le terrain de l’histoire. Dans l’histoire, le pardon joue un rôle crucial dans la réconciliation des peuples et des communautés après les conflits.

Pardon et oubli. Dans La mémoire, l’histoire, l’oubli, Ricœur met en lumière les processus de pardon collectif pour dépasser les blessures historiques et construire une paix durable. Mais «quelle sorte d’oubli mériterait d’être tenue pour une trace du pardon ?». Si l’oubli signifie que l’on ne se souvient pas d’une chose ou d’un événement, la mémoire de son côté renvoie à l’aptitude à se souvenir d’un événement passé. Mettre en rapport le pardon avec l’oubli oblige de poser un certain nombre de questions: peut-on pardonner sans rien effacer ?; est-il possible de pardonner sans se souvenir de la faute commise ?… L’enjeu ici est de ne pas cultiver la mémoire de façon morbide ni de tomber dans la tentation de tout oublier. Pardonner, ce n’est ni tomber dans un oubli systématique ni dans l’extrême inverse.

Le pardon est à mes yeux l’aboutissement d’un travail au niveau de mémoire et de l’histoire, qui s’effectue par la reconnaissance et l’acceptation de ce qui s’est passé, sans chercher à l’oublier. Le pardon sociopolitique doit être perçu comme une excuse pour l’oubli ou pour l’effacement de la mémoire des victimes, il doit être un acte qui respecte la mémoire et la dignité des victimes. Le pardon sociopolitique ne vise pas à effacer le passé ni à nier ou oublier le mal commis ou subi, il est la reconnaissance de ce qui a été.

Aspect négatif et aspect positif (cas de l’Afrique du Sud)

Les objectifs de la commission Vérité et Réconciliation étaient de collecter les témoignages, consoler les offensés, indemniser les victimes et amnistier ceux qui avouaient avoir commis des crimes politiques. D’après Sophie Pons, citée par Ricœur, cette commission accomplit ses objectifs au moyen de trois comités:

Le premier comité sur la violation des droits de l’homme devait établir la nature, la cause et l’ampleur des abus commis entre 1960 et 1994. Il devait rassembler toutes les informations pouvant aider les victimes et les bourreaux à tourner la page. En témoignant, en racontant, on est déjà dans la perspective d’un pardon qui nous invite à revisiter le passé pour voir le mal qui a été commis.

Le deuxième comité sur l’amnistie devait examiner les demandes de pardon à la condition d’aveux complets prouvant la motivation politique des actes incriminés. Il n’avait pas seulement vocation à rétablir la vérité mais aussi à promouvoir la réconciliation entre les Sud-Africains, entre Noirs et Blancs.

Le troisième comité sur la réparation et la réhabilitation avait pour mission d’identifier les victimes et d’étudier leurs plaintes en vue d’indemnisation, d’aide matérielle et de soutien psychologique. Mais en raison des grandes difficultés financières de l’État sud-africain et du programme de reconstruction qui grevait le budget, ces réparations n’ont malheureusement pas pu s’effectuer. L’archevêque anglican Desmond Tutu (les Églises ont joué un rôle important pour aider les parties antagonistes à trouver une solution).a préféré parler de réparation plutôt que de compensation. Car selon lui, la compensation laissait croire qu’on pouvait quantifier la souffrance. Comme tout à l’heure avec la métaphore du papier plié, on ne peut pas quantifier la souffrance, le mal commis. Ce comité devait en tout cas évaluer la gravité des crimes commis et réfléchir à comment réparer l’irréparable.

Les enjeux du pardon sociopolitique dans le cas sud-africain sont donc des enjeux éthiques puisque dans le jugement éthique du pardon, une tension se crée entre les aspects positifs et négatifs.

Aspects négatifs. Le pardon court le risque d’être instrumentalisé par des autorités politiques ou religieuses : si quelqu’un avoue une faute, n’est-ce pas pour éviter de passer devant la justice ? Pour Ricœur, les accusés auraient avoué pour ne pas aller au procès. Il s’agit donc d’un stratagème en vue de demander et d’obtenir une amnistie libératoire de toute poursuite judiciaire et de toute condamnation pénale. La justice est en ce sens sacrifiée au nom de la réconciliation. Desmond Tutu du côté religieux et Nelson Mandela du côté politique essaient d’apporter une perspective de réconciliation car les Sud-Africains étaient divisés à cause des terribles conditions historiques et des préjugés entre Noirs et Blancs. La psychologue Karin Muller a écrit au sujet de l’aveu et du repentir des coupables que «les victimes ont le droit de refuser de pardonner car il est temps de réhabiliter la victime face à son boureau». En se demandant: «Quel mot de réconfort, quelle compensation offre la Commission à tous ceux qui ont souffert ?». Contrairement aux deux premiers comités, le troisième n’a pas atteint son objectif: il n’y a pas eu réhabilitation ni compensation par rapport aux crimes qui avaient été commis.

Aspects positifs. En dépit de cette difficulté, l’expérience de la Commission Vérité et Réconciliation a servi à construire la paix sociale en Afrique du Sud avec un pardon comme geste symbolique de réparation. La Commission a offert un espace public à la plainte et au récit des souffrances et suscité une catharsis partagée. La notion de catharsis renvoie à la dimension thérapeutique et politique du pardon mobilisée par la Commission. En racontant ce qui s’était passé, les victimes ont reçu une écoute nationale qui a pu apaiser leurs souffrances et leurs traumatismes. Cela a apporté des résultats sur les plans psychologique et thérapeutique. Au niveau politique, la Commission a permis de créer un gouvernement d’union nationale. Lorsque Mandela est arrivé au pouvoir, l’Afrique du Sud était encore blessée par des décennies d’apathie. Pour apaiser les esprits, Nelson Mandela a fait le choix du pardon pour éviter un bain de sang et une guerre civile, de l’accord entre l’ANC (noire) et le Parti national (blanc) pour éviter beaucoup plus de crimes. Au niveau sociopolitique, la Commission a été très utile en contribuant à recréer du lien social national et en facilitant la formation d’un gouvernement partagé entre Noirs et Blancs. Desmond Tutu a initié la démarche de pardon avec sincérité et a même écrit un livre intitulé Il n’y a pas d’avenir sans pardon.

 

Usage du pardon (cas du massacre des Haïtiens en 1937 en République Dominicaine)

En travaillant sur la question du pardon chez Paul Ricœur, j’ai rencontré cet événement tragique de l’histoire contemporaine d’Haïti: du 2 au 8 octobre 1937, plus de 20000 Haïtiens et Dominicains d’origine haïtienne ont été massacrés par l’armée et la police dominicaine sous le régime de Trujillo. En 2007, la question du pardon été soulevée lors d’une messe solennelle à l’occasion de la fête patronale de la paroisse de Dajabón, proche de la frontière haïtienne. Dans son homélie, l’évêque Diómedes Espinal de León a déclaré au nom de l’Église catholique dominicaine que le peuple dominicain devait demander pardon au peuple haïtien pour le massacre de 1937. Comme le pape Jean-Paul II lorsqu’il avait demandé pardon au peuple juif.

Mais est-ce que l’on peut demander pardon au nom d’un peuple ? Est-ce que l’on peut pardonner à la place de l’autre ? Un autre prélat dominicain, l’archevêque Nicolas de Jesús López Rodríguez, a déclaré lui que le peuple dominicain n’avait pas à demander pardon au peuple haïtien pour le massacre de 1937 parce que le responsable de ce massacre était Trujillo, qui était mort et enterré. Pour lui, cela datait de plus de 70 ans et le peuple dominicain n’en était aucunement responsable: «C’est à Trujillo (qui fut un criminel) qu’il faut demander des comptes».

Il y a une tension entre la position d’Espinal de León et celle de López Rodríguez. Qui a raison ? Que faut-il faire ? L’Église catholique dominicaine reste divisée sur cette question: un groupe plaide en faveur d’une demande de pardon, un autre groupe pense que ce n’est pas à eux de demander pardon au peuple haïtien. Dans un tel contexte, ce représentant religieux peut-il demander pardon à titre individuel au nom d’une communauté ou au nom du peuple dominicain ? Je ne le pense pas car les descendants des coupables ne sont pas responsables du massacre perpétré contre les Haïtiens, et les Haïtiens en tant que descendants des victimes ne peuvent octroyer le pardon demandé. Pourtant, ce geste individuel de demande de pardon peut être utile pour améliorer les relations inter-étatiques entre ces deux pays qui partagent la même île. Ce geste symbolique de pardon est une forme d’appel à la cohésion sociale: en agissant ainsi, ce prélat dominicain a pris conscience de l’ampleur du mal commis en 1937 par les dirigeants de son pays. Même s’il n’est pas responsable, il est pourtant concerné en tant que citoyen dominicain. On peut ressentir de la culpabilité sans pour autant être coupable du crime qui a été commis. Le philosophe Karl Jaspers l’a très bien expliqué dans La culpabilité allemande.

 

Conclusion

Je soutiens que le pardon sociopolitique peut être un dispositif nécessaire pour construire la paix dans les relations inter-humaines et inter-étatiques. La demande officielle de pardon par un chef d’État (sous la forme d’excuses, d’acte de repentance ou de contrition) me paraît nécessaire pour marquer que cet État se détache définitivement de ses crimes et permettre à une société de s’affranchir des tabous et s’engager dans la construction d’une mémoire collective, ciment du vouloir vivre ensemble. Par contre, le pardon sociopolitique ne doit pas être une simple parole, il doit être accompagné par des actes concrets qui essayent de réparer l’irréparable. Dans son livre Peut-on réparer l’histoire ?, Antoine Garapon parle de trois formes essentielles de réparation:

La réparation symbolique cherche à dépasser un événement historique par un geste qui exprime le remord qu’en éprouvent les auteurs, et leur engagement à ne pas le répéter. On ne peut pas parler de pardon sans cela: il faut qu’il y ait de de la repentance, du remord et la promesse qu’on ne va plus recommencer. La repentance se manifeste par un acte public de contrition: ériger par exemple des monuments à la mémoire de la communauté des victimes. C’est un geste symbolique et concret qu’on pourrait mettre en avant quand on parle de la question du pardon sociopolitique.

La réparation politique cherche des moyens concrets pour éliminer définitivement les traces d’injustice historique toujours présentes dans certaines populations.

La réparation matérielle se fait sous forme d’indemnisation. Sans argent, peut-on parler de la question du pardon ? Car après les excuses, qu’est-ce qu’on fait ? L’un des plus anciens usages du terme pardon est associé à l’annulation des dettes financières. Ce pardon qui est au sens propre remise de dette permet et marque la reprise de relations diplomatiques pacifiées. Le fait de demander pardon ou accorder son pardon au sens économique originaire (mais pas seulement) est un premier pas vers la paix, une condition sine qua non et un préalable nécessaire à celle-ci. C’est à juste titre qu’Enzo Bianchi, un prêtre catholique, dit que le pardon peut s’exercer par la remise de la dette des pays pauvres, condition d’un développement économique.

Dans un monde de plus en plus complexe où les conflits ne diminueront pas en nombre et en gravité mais se multiplieront et s’approfondiront, le pardon sociopolitique est un élément nécessaire pour construire la paix entre les humains dans les relations inter-personnelles ou inter-étatiques. Envisager le pardon comme une pratique sociale et politique, c’est déclarer que l’idée de pardon a des implications dans les «affaires humaines» comme disait la philosophe Hannah Arendt. Bien que le pardon ne soit pas une catégorie politique chez Ricœur et qu’il ne puisse être porté par des institutions, on ne peut pourtant nier son rôle dans la restauration de l’équilibre social: les gestes symboliques de demande de pardon de représentants d’institutions politiques ou religieuses pourraient contribuer à construire la paix entre les humains.

 

 




Visite d’un groupe de prière sud-africain au Défap : reconnaissance et héritage spirituel

Le 24 septembre dernier, le Défap a accueilli un groupe de prière sud-africain venu exprimer sa gratitude envers la Société des Missions Évangéliques de Paris pour « l’héritage spirituel et l’Évangile reçu des nations européennes », et (r)établir un lien entre le Lesotho et le Défap.

 

Les présentations se sont faites à la chapelle du Défap

 

La Société des Missions Évangéliques de Paris (SMEP), ancêtre du Défap, a été active de 1822 à 1971, avec ses premières missions au Lesotho, alors nommé Lessouto, en Afrique du Sud. C’est cette mission, toujours porteuse de fruits aujourd’hui, qui a marqué durablement le peuple Sotho.

« Lors de deux séminaires en Afrique du Sud en 2022, Dieu nous a parlé de mobiliser des croyants de différentes tribus africaines pour exprimer notre reconnaissance pour l’héritage spirituel reçu grâce aux missions européennes. En septembre prochain, nous viendrons en France avec une équipe composée de trois représentants Basotho et deux Afrikaners, afin de remercier les Français pour l’Évangile, et plus particulièrement les missionnaires de la SMEP qui ont marqué le Lesotho », a expliqué le fondateur de UPFSA.

Sous la direction du Révérend Leon Coetzee, plusieurs membres d’Unlimited Prayer Frontiers South Africa (UPFSA) ont visité la maison des missions. Leur objectif : remercier la nation française pour son rôle dans l’évangélisation du Lesotho et l’encourager à poursuivre cet engagement.

La visite a suivi trois temps forts : une rencontre entre les six représentants du groupe (Basothos et Afrikaners) et l’équipe du Défap, une consultation des archives de la SMEP au Lesotho, et enfin un temps de prière accompagné d’échanges de cadeaux pour clore cette rencontre.

Consultation des archives dans la Bibliothèque du Défap

Unlimited Prayer Frontiers : une organisation interconfessionnelle au service de la prière

Fondée en 2012, Unlimited Prayer Frontiers (UPF) est une organisation interconfessionnelle sud-africaine, engagée dans des projets de prière stratégique pour la France. D’abord connue sous le nom de United Prayer for France, UPF a élargi sa mission au fil des années. Son objectif actuel est d’impacter la France par la prière, tout en partageant cette expertise avec d’autres pays pour contribuer à la moisson mondiale d’âmes pour le royaume de Dieu.

Convaincue que la prière est une condition essentielle à l’avancée de l’Évangile, l’organisation s’inspire du passage de Luc 10, qui encourage à prier avant d’envoyer des ouvriers dans les champs. UPF s’efforce de préparer le terrain pour les évangélistes et missionnaires, en unissant les croyants autour d’une même vision pour la propagation de la foi.

Dans un article paru le 1er octobre dernier, la Bibliothèque du Défap retrace plus en détail l’histoire du passage de la SMEP au Lesotho.




Les Jeudis du Défap, 2ème session : le pardon chez Paul Ricœur – Le replay

Pour la deuxième des 3 conférences des « Jeudis du Défap » en 2024, le pasteur et docteur Robert Louinor était notre invité. Découvrez le replay de ce webinaire qui avait pour thème : « Le pardon chez Paul Ricœur : une proposition de construction socio-politique de la paix ».

Cette deuxième conférence des « Jeudis du Défap » qui s’est tenue le 5 septembre dernier a été présidée par le pasteur Jean Pierre Anzala, avec comme invité le pasteur Robert Louinor.

Qui est Robert Louinor ?

Pasteur et théologien haïtien, Robert Louinor est titulaire d’un doctorat en théologie à l’Institut Protestant de Théologie (IPT) de Paris. Arrivé en France en 2014 dans le cadre d’une bourse d’études du Défap, il s’est rapidement distingué par son engagement académique et ecclésial.

Après un Master II en théologie obtenu en 2017, il a également effectué un Master en philosophie à l’Université Paris VIII en 2018. Sous la direction du professeur Olivier Abel, il a soutenu avec succès sa thèse intitulée « Le pardon chez Paul Ricoeur : une proposition socio-politique de la paix » le 16 janvier 2023. Ce travail de recherche explore les dimensions philosophiques et théologiques du pardon selon Paul Ricoeur, en particulier dans le cadre de la construction de la paix sociale et politique, un thème qui suscite l’intérêt des chercheurs et des communautés religieuses.

Parallèlement à ses études doctorales, Robert Louinor a activement participé à la vie ecclésiale dans plusieurs paroisses de l’Église Protestante Unie de France (EPUdF). Il a servi dans la paroisse luthérienne de Saint Paul à Paris (18ème arrondissement), la paroisse de la Réconciliation à Suresnes (Hauts-de-Seine), ainsi qu’à l’Église locale de Meudon en région parisienne. Ces expériences ont renforcé son engagement pastoral et sa compréhension des besoins spirituels et sociaux des communautés locales.

Depuis le 1er juillet 2023, Robert Louinor exerce comme pasteur proposant pour la deuxième année à l’Église Protestante Unie de France à Creil, dans l’Oise, où il continue de servir avec passion et dévouement. Ses conférences et enseignements, imprégnés de sa riche formation théologique et philosophique, apportent des réflexions profondes sur des thèmes tels que le pardon, la paix et la justice sociale.

En dehors de toutes ces activités, il a également fondé une école en Haïti pour les enfants en difficulté. Cette école compte un peu plus de 130 élèves, et est disposée à recevoir du soutien pour ces enfants.

Robert Louinor le 5 septembre pour les jeudis du Défap

©Robert Louinor pendant sa conférence le 5 septembre

Pourquoi cette thématique ?

« C’est par rapport à mon parcours en France. En Haïti, on a l’habitude de réciter – comme en France – le « Notre Père » tous les dimanches (la question du pardon). Je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait d’autres philosophes qui parlent d’une question, d’une thématique religieuse. En arrivant en France, spécialement à l’Université Vincennes-Saint-Denis, dans un cours titré « Mémoire et démocratie« , le professeur a essayé d’aborder cette question du pardon en mobilisant certains philosophes comme Vladimir Jankélévitch, la philosophe Hannah Arendt, Jacques Derrida et le professeur Olivier Abel. Je me suis posé la question « Pourquoi nous, à l’Église, nous récitons le « Notre Père », mais dans une perspective liturgique, pourquoi nous n’avons pas l’habitude d’aborder cette question – la question du pardon – dans une autre perspective, c’est-à-dire une perspective sociale et politique ? » C’est à partir de 2015 que j’ai commencé à travailler sur cette thématique, le pardon dans une perspective socio-politique. » Robert Louinor

Dans ses œuvres, Paul Ricœur aborde des thèmes en rapport avec la théologie. Peut-on le considérer comme un philosophe chrétien ?  Y a-t-il un lien existant entre justice et pardon et comment Ricœur le développe dans ses travaux philosophiques ? Peut-on parler du pardon quand les victimes et les bourreaux ne sont plus là pour le faire ?  Si le pardon sociopolitique invite à revisiter les histoires d’un passé traumatique dans le but de construire la paix, n’y a-t-il pas un risque de semer le feu sur des sujets sensibles dans les relations interhumaines ou interétatiques ? Comment vivre en Église le concept de pardon sociopolitique ?

Voici quelques questions qui ont permis à notre orateur de construire son propos et de nous tenir en haleine pendant cette heure riche en réflexion. Ci-dessous le replay de la webconférence.

Une bibliographie établie par le service Bibliothèque et documentation du Défap pour ce webinaire est également disponible.

 

Le prochain et dernier webinaire en décembre

  • Le jeudi 5 décembre 2024 : « Théologie interculturelle et interculturalité dans l’Église ».
    Intervenant : Professeur Gilles VIDAL




«PM» lance sa newsletter sur l’actualité de la missiologie

Perspectives Missionnaires, qui publie depuis 2022 les « Cahiers d’études missiologiques et interculturelles » de Foi & Vie, vise à diffuser quatre fois par an des nouvelles sur tout ce qui fait l’actualité de la missiologie : rencontres, colloques, cours, publications…

Il ne suffit pas de vouloir témoigner ; encore faut-il savoir à qui l’on s’adresse. Et comment entamer un dialogue. C’est l’un des grands défis de la mission aujourd’hui, dans un monde changeant, travaillé par une mondialisation qui érige souvent plus de murs qu’elle n’abat de frontières. Quels mots pour la mission au XXIème siècle ? Quelles relations entre mission, évangélisation, action sociale ? Comment tenir compte du contexte de chacun, de sa culture et de son histoire ? La mission est-elle la même au loin et au près ? Quel rôle pour les Églises et quelle place pour les organismes missionnaires ? Peut-on être en mission ensemble, ou les Églises sont-elles condamnées à la concurrence ? Comment intégrer des thématiques comme la sauvegarde de la création, la place des femmes, les discriminations, la parole des Églises dans l’espace public ?

La mission a besoin de lieux de débats et d’espaces de réflexion. C’est le rôle que joue depuis plus de quarante ans Perspectives missionnaires.

Retrouvez la première newsletter de PM

À l’origine, c’était une revue, née en 1981 dans la mouvance évangélique, à une époque de remise en question des modèles missionnaires. Elle s’est ensuite élargie aux différents acteurs francophones de la mission dans le monde protestant et avec une ouverture œcuménique. Longtemps, elle est restée la seule et unique revue de missiologie protestante dans l’espace francophone. Elle est gérée depuis des années par une association indépendante qui s’appuie sur plusieurs organismes de mission de Suisse et de France (DM-échange et mission, et le Défap, avec lesquels elle entretient des partenariats étroits), ainsi que, depuis fin 2017, la Cevaa. Son président, Jean-François Zorn, est un ancien du Défap ; Claire-Lise Lombard, qui en est vice-présidente, est responsable de la bibliothèque du Défap ; son trésorier, Étienne Roulet, est l’ancien président de DM, l’équivalent suisse du Défap pour la Suisse romande.

Avis aux chercheurs, spécialistes ou curieux

De 1981 à 2022, « PM » a publié de manière indépendante. Au bout d’une quarantaine d’années et après plus de quatre-vingt-deux numéros parus, elle a rejoint Foi & Vie dont elle publie désormais les « Cahiers d’études missiologiques et interculturelles ». Deux premiers cahiers sont disponibles sur le site de Foi & Vie :

  • « Prosélytismes … au pluriel ! »
  • « Chrétiens d’Orient : entre précarité et espérance »

Mais « PM » poursuit par ailleurs ses activités, comme en témoigne sa participation à un colloque qui aura lieu du 26 au 29 juin au Défap et à l’IPT (Institut protestant de théologie) sur le thème « Mission : le sens des mots », et réunit de nombreux partenaires dont l’AFOM (Association francophone œcuménique de missiologie), l’ICP (Institut catholique de Paris), Foi & Vie… Elle a également lancé une newsletter spécialisée sur la missiologie qui doit faire le point quatre fois par an sur l’actualité des rencontres, colloques, cours ou publications dans ce domaine.

Vous pouvez retrouver ici la première newsletter. Au menu : colloque de l’IPT et du Défap, les prochaines rencontres de Pomeyrol et les Jeudis du Défap, l’Action Commune de la Cevaa et la prochaine session de formation à la théologie interculturelle qui se prépare à l’Institut de Bossey…




«Les jeudis du Défap» : rendez-vous avec Paul Ricœur

À vos agendas : les rendez-vous du Défap en visioconférence reprennent le 5 septembre. Pour ce premier webinaire de rentrée, l’intervenant sera le Pasteur Robert LOUINOR, sur le thème : « Le pardon chez Paul Ricœur : une proposition de construction socio-politique de la paix ». N’oubliez pas de vous inscrire, si vous ne l’êtes déjà !

Le premier webinaire du Défap, en avril dernier, nous avait entraînés dans le mouvement des communautés protestantes camerounaises installées en Europe et des prêtres catholiques africains venant en France. Avec une question (ces mouvements témoignent-ils d’une forme de « mission inversée » du Sud vers le Nord ?) et un double regard de chercheurs et sociologues : Adrien Franck MOUGOUE pour le côté protestant, et Corinne VALASIK pour le côté catholique.

Après la pause estivale, ces webinaires reprennent dès le 5 septembre : il sera cette fois question de Paul Ricœur avec le Pasteur Robert LOUINOR, qui interviendra sur le thème : « Le pardon chez Paul Ricœur : une proposition de construction socio-politique de la paix ». Comme les précédentes, cette rencontre en visio se fera en deux temps :

  • Un temps de conférence
  • Un temps de débat et de questions-réponses.

Robert Louinor © DR

 
N’oubliez pas de vous inscrire, si ce n’est déjà fait ! Le lien Zoom vous sera fourni par mail quelques jours avant le webinaire.

Inscrivez-vous aux prochains rendez-vous

 

L’objectif poursuivi est de faire du Défap, un lieu de référence pour le partage de la réflexion missiologique et interculturelle, avec le concours des spécialistes de la question. Cette série de webinaires se conclura le jeudi 5 décembre 2024, avec un rendez-vous sur le thème « Théologie interculturelle et interculturalité dans l’Église » : l’intervenant en sera le professeur Gilles Vidal.

« Nous voulons nous pencher sur des sujets que nous vivons tous au quotidien, avec des professeurs, des spécialistes, explique Jean-Pierre Anzala, responsable du service Échange théologique, qui a lancé ces rendez-vous par Zoom. Par exemple, cette question de l’interculturalité sur laquelle Gilles Vidal va venir réfléchir avec nous, on la vit déjà tous les jours dans les paroisses des grandes villes. Mais comment bien la vivre en Église ? »

Jean-Pierre Anzala dans la bibliothèque du Défap © Défap



Centrafrique : un colloque à Bangui pour construire la paix

Après un premier rendez-vous en 2023 sur le thème des « voies de la paix face à la difficile construction de la cohésion sociale en Centrafrique », l’association A9, créée à Bangui par un ancien boursier du Défap, Rodolphe Gozegba, a organisé au printemps un deuxième colloque avec le soutien du Défap. Le thème en était « Humiliation et réconciliation : quel avenir pour les sociétés post-conflit ? ». La présidence était assurée par Jean-Arnold de Clermont, ancien président du Défap. Retour sur ces deux jours de colloque, par Rodolphe Gozegba.

Rodolphe Gozegba lors du 2ème colloque de l’association A9 à Bangui © DR

L’an dernier, déjà, l’association créée par Rodolphe Gozegba, docteur en théologie de l’Institut protestant de théologie de Paris, organisait avec la participation du Défap un colloque sur la paix. Anne-Lise Deiss et Laure Daudruy y participaient. Cette année, les 29 et 30 mai, ce sont Philippe Kabongo-Mbaya et Jean-Arnold de Clermont qui l’ont représenté. Le thème était « Humiliation et réconciliation : quel avenir pour les sociétés post-conflit ? ». Plus de 250 personnes remplissaient pendant ces deux jours la très belle salle de la Sécurité Sociale et y apportaient une assiduité remarquable et une active participation aux débats. À peine terminée une contribution, les mains se levaient de toute part, et la présidence assurée par Jean-Arnold de Clermont, avec calme et humour, devait tenter de donner la parole au plus grand nombre.

Pourquoi un tel intérêt ?

Le thème, tout d’abord. Parler de paix, et bien sûr particulièrement dans le contexte centrafricain, c’est évoquer celles et ceux qui ont souffert profondément des crises passées. J’avais proposé une contribution intitulée « Différents aspects de l’humiliation recueillis dans la parole des Centrafricains par l’Observatoire Pharos dans les années 2013-2015 ». Trois images pour dire cette humiliation : Les enseignants de l’Université de Bangui nous disant être « bâillonnés » par les responsables politiques, alors qu’ils étaient les seuls à avoir depuis des années constitué un groupe de travail sur les origines de la crise centrafricaine ; cette mère et sa fille, violées par des habitants de leur quartier pendant les troubles de 2013 et voyant tous les jours leurs violeurs les menaçant de les tuer si elles parlaient et la justice incapable de se saisir de leur drame ; les intellectuels disant leur humiliation d’entendre l’Ambassadeur de France dire quel était le « bon » premier ministre pur la RCA… Le colloque devait prendre le temps d’entendre les humiliations vécues par la population, humiliations par rabaissement, par déni d’égalité, par relégation ou par stigmatisation (pour reprendre les catégories de Bertrand Badie, dont nous avions espéré qu’il pourrait se libérer afin d’apporter les conclusions du colloque).

Bien d’autres contributeurs ont participé à cette première partie : Professeurs d’Université en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, Psychologue clinicienne en RCA, ou encore Ingénieure en informatique passionnée de théologie rendant compte de l’ouvrage d’Olivier Abel.

Entendre l’humiliation avant d’envisager de la réparer ou de la déconstruire

 



Présentation en images du colloque de l’association A9

C’est Thierry Vircoulon, chercheur associé à l’IFRI qui ouvrait cette seconde partie avec un exposé sur la : « Justice transitionnelle : un concept en errance ». Il était suivi par un avocat centrafricain, conseil de la Cour Pénale Internationale et de la Cour pénale spéciale à Bangui ; puis des universitaires de Bangui, de Dshang ou de Maroua au Cameroun. D’autres aspects plus spécifiques étaient abordés ; la question de la vérité (Franck Levasseur), ou le thème biblique de la réconciliation (Philippe Kabongo Mbaya).

Chaque contribution appelait de longs débats ; mais la dernière, par le Professeur Abdon Nadin Liango, président du comité scientifique, sous le titre « Dignité humaine en péril » retraçant les crises subies par la RCA devait susciter un moment extrêmement fort : trente ou quarante mains se sont levées pour apporter précisions, corrections, commentaires… Le colloque se terminait par la confirmation d’un immense besoin de partage auquel répond l’Association A9.

Car la RCA aujourd’hui n’offre pas beaucoup d’autres possibilités. Les oppositions politiques au régime en place ne sont guère actives, ou sont ailleurs. Les problématiques du moment touchent plus aux questions de survie alors que 80% de la population n’a qu’un repas par jour, me dit-on. Les ressources naturelles du pays sont détournées, les routes difficilement praticables, le fonctionnement économique réduit, sauf pour l’immobilier des riches : Bangui voit fleurir les bâtiments à étages, les hôtels climatisés. Et fort peu en profitent. Heureusement il y a 3000 agents des différentes institutions des Nations Unies.

A9 s’est singularisée en proposant en 2021 de nourrir Bangui en 90 jours, opération qui a donné naissance à 1400 jardins potagers privés devant les cases de volontaires et l’opération devrait bientôt doubler.

Mais A9 a aussi lancé avec l’Université (le Recteur ouvrait le colloque) un master en pluralisme religieux et médiation. Quelques jours après le colloque, ce sont 60 nouveaux titulaires qui étaient reçus (50 l’an dernier).

C’est l’honneur du CCFD-Terre solidaire, de la Friedrich Schiller Universitat d’Iena, et modestement du Défap de soutenir de telles initiatives porteuses d’espérance.

Rodolphe Gozegba




Believe à Marhaban : «Je me sens à ma place»

Nouvelle lettre de nouvelles de Believe : venue du Togo, elle effectue une nouvelle mission au sein de l’Association diaconale protestante Marhaban, à Marseille. Une association qu’elle connaît bien à présent, pour y avoir déjà été en mission en tant que service civique. Cette année, Believe bénéficie du statut de VSI (Volontaire de Solidarité Internationale).

Believe, en mission à Marseille au sein de l’association Marhaban : atelier de cuisine © Believe pour Défap

 

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VOLONTAIRE
  • Believe, Togolaise, 26 ans
  • Soutenir l’éducation à la citoyenneté responsable et à la solidarité en quartier prioritaire
MISSION
  • Association diaconale Marhaban
  • Mon service s’adresse aux adultes, jeunes et parfois aux enfants

Quelle joie de me retrouver de nouveau en famille à Marseille où je me plais comme si c’était chez moi ! C’est avec ces mots de douceur que je vous annonce cette deuxième vague de mon volontariat à Marhaban. Avec de nouvelles priorités et défis, je peux vous dire que c’était une belle décision que je ne regrette pas car je me sens à ma place ici et je suis utile dans tout ce que je fais. Comme d’habitude, l’accueil chaleureux était au rendez-vous sans faute et encore meilleur cette fois-ci puisque je retrouve des visages déjà connus. Tout de suite, je suis imbibée de la chaleur de cette ville dont je suis tombée amoureuse.

En tant que coordinatrice du projet d’aide alimentaire nommé Vivres Solidaires, destiné aux personnes dans le besoin, j’ai l’honneur d’aider à préparer les colis pour distribution et d’animer des ateliers de cuisine. Nous avons remarqué que beaucoup de nos bénévoles et bénéficiaires ne connaissent pas forcément les légumes que nous distribuons en plus des produits secs. Ces ateliers deviennent donc des moments de partage et de découverte des plats de chacun, permettant à tous de se surpasser et d’essayer de nouveaux aliments. Nos matinées de petit déjeuner autour de l’épicerie sont superbes ; nous y apprenons beaucoup et des discussions ouvertes et intéressantes ont lieu autour de ce projet autogéré par les femmes bénéficiaires elles-mêmes, avec notre accompagnement.

Believe, en mission à Marseille au sein de l’association Marhaban : soutien scolaire © Believe pour Défap

Cette année, ma mission s’est élargie aux familles, et plus précisément aux enfants. Je fais maintenant du soutien scolaire, j’anime des jeux de société et j’organise des sorties occasionnelles. Ces nouvelles responsabilités me permettent de mieux connaître notre public et d’assimiler énormément d’informations. Cet amour chrétien que nous possédons témoigne de sa grandeur dans toutes nos activités et c’est pourquoi je suis si passionnée par mon travail.

Nous développons également notre vestiaire à travers des tris réguliers pour que le public puisse bénéficier des vêtements de saison et des articles de première nécessité en urgence. La médiation parmi les bénévoles de différentes nationalités, principalement d’Afrique, dans toutes ces activités n’est pas une tâche facile, mais elle me plaît beaucoup. Pouvoir être en charge de cela est un défi enrichissant. Maintenant, mon objectif futur est de rendre visible à l’extérieur notre association, qui fait tant de choses formidables mais qui reste souvent méconnue en dehors de notre cercle interne.

Je suis impatiente de poursuivre cette mission et de partager avec vous les progrès réalisés. Merci pour votre soutien continu.

Avec tout mon dévouement,

Believe

Believe, en mission à Marseille au sein de l’association Marhaban : en accompagnement des familles aux sorties © Believe pour Défap

 




S’engager, c’est bien ; sans se tromper, c’est mieux

À l’occasion de la présentation de la prochaine session de formation au départ des envoyés du Défap, retour sur une campagne tout juste lancée par France Volontaires, la plateforme de l’engagement international dont fait partie le Défap : elle cible le « volontourisme », pendant mercantile du volontariat international. Il se caractérise par des offres de « voyage solidaire » présentées par des organisations à but lucratif dans une logique purement commerciale, bien souvent au détriment de l’intérêt général et des populations. Pour lutter contre ces dérives, France Volontaires avait lancé un cycle d’ateliers dès fin 2020. La campagne de sensibilisation en cours a été mise en place avec l’organisation Friends-International.


De l’engagement solidaire, le « volontourisme » reprend généralement tous les codes. À ceci près qu’il est organisé par des entreprises, qui utilisent les méthodes commerciales du tourisme de masse sous couvert de l’image du volontariat international, afin de pouvoir faire du profit sur la misère et la détresse, mais aussi sur la bonne volonté de jeunes désireux de s’engager. Ces agences de voyage d’un genre particulier organisent leurs séjours, non pas en fonction des besoins des populations locales, mais plutôt de la loi de l’offre et de la demande. Les coûts des séjours de «volontourisme» sont généralement élevés, en moyenne 2000 euros / personne pour 2 semaines (vols non compris).

Alors que le rôle positif du volontariat international en faveur d’un monde plus solidaire a été souligné par le Secrétaire général des Nations unies, qui dans son rapport de synthèse de décembre 2014 notait que les volontaires constituent « un levier puissant et transversal de la mise en œuvre des Objectifs de développement durable », le « volontourisme », au mieux, n’apporte rien aux populations locales, et au pire, déséquilibre l’économie locale, entretient la pauvreté voire crée des inégalités nouvelles, tout en empêchant une vraie rencontre entre les volontaires et les populations locales, et en perpétuant les stéréotypes chez les uns comme chez les autres.

Les bonnes questions à se poser

Les acteurs du volontariat se mobilisent contre ces pratiques. En 2021, une loi a été adoptée pour encadrer les pratiques du volontourisme. Depuis, l’organisation Friends-International et France Volontaires travaillent pour alerter conjointement de ces effets néfastes sur toutes les parties prenantes, et font la promotion d’un volontariat respectueux dont l’impact sur les communautés locales se doit d’être bénéfique.

Afin de vivre une expérience de volontariat utile pour les communautés d’accueil comme pour soi, et qui ne porte pas préjudice à l’écosystème local, il faut bien préparer et se laisser le temps de mûrir son projet d’engagement. La recherche d’une mission de volontariat de qualité nécessite de se renseigner, se questionner, interroger, et bien souvent déconstruire des idées préconçues ou qu’on aurait fantasmées.

Pour vous y aider, voici une série de questions à vous poser (ou à poser) avant de vous engager :

  • Vos motivations : Questionnez votre projet de volontariat à l’international, mûrissez-le : Pourquoi voulez-vous partir ? Pourquoi à l’étranger ? Quelles sont vos aspirations ?
  • Les partenaires du projet : Quel est le statut de la structure qui propose une mission à l’étranger (entreprise, association…) ? Quels sont ses objectifs et ses valeurs ? Vous correspondent-ils ? La mission a-t-elle été construite en concertation avec la structure locale ? La mission se substitue-t-elle à un emploi local ? Fait-t-elle concurrence à une organisation locale ?
  • L’accompagnement : Une formation au départ est-elle prévue ? Un accompagnement durant la mission ? Et au retour ? Pouvez-vous être mis en contact avec des anciens volontaires/bénévoles ?
  • Les impacts : Quels sont les impacts (positifs, négatifs) de la mission en termes de contribution à l’intérêt général ? Et sur les communautés locales ? Ces impacts sont-ils mesurés ?
  • Les responsabilités : Quelle est la plus-value que vous pouvez apporter ? Quelles sont les compétences et qualifications nécessaires à la réalisation de la mission ? Pourriez-vous les exercer en France ?
  • La prise en charge de la mission : Les contributions financières demandées sont-elles raisonnables au regard du coût de la vie dans le pays ? Comment sont utilisées ces contributions et à qui sont-elles reversées ?
  • La protection des personnes vulnérables : La protection des personnes vulnérables (enfants, personnes en situation de précarité, malades…) est-elle prise en compte ? Des mesures de protection sont-elles mises en œuvre pour éviter toute forme d’abus ?