Centrafrique : un colloque à Bangui pour construire la paix
Après un premier rendez-vous en 2023 sur le thème des « voies de la paix face à la difficile construction de la cohésion sociale en Centrafrique », l’association A9, créée à Bangui par un ancien boursier du Défap, Rodolphe Gozegba, a organisé au printemps un deuxième colloque avec le soutien du Défap. Le thème en était « Humiliation et réconciliation : quel avenir pour les sociétés post-conflit ? ». La présidence était assurée par Jean-Arnold de Clermont, ancien président du Défap. Retour sur ces deux jours de colloque, par Rodolphe Gozegba.
Rodolphe Gozegba lors du 2ème colloque de l’association A9 à Bangui © DR
L’an dernier, déjà, l’association créée par Rodolphe Gozegba, docteur en théologie de l’Institut protestant de théologie de Paris, organisait avec la participation du Défap un colloque sur la paix. Anne-Lise Deiss et Laure Daudruy y participaient. Cette année, les 29 et 30 mai, ce sont Philippe Kabongo-Mbaya et Jean-Arnold de Clermont qui l’ont représenté. Le thème était « Humiliation et réconciliation : quel avenir pour les sociétés post-conflit ? ». Plus de 250 personnes remplissaient pendant ces deux jours la très belle salle de la Sécurité Sociale et y apportaient une assiduité remarquable et une active participation aux débats. À peine terminée une contribution, les mains se levaient de toute part, et la présidence assurée par Jean-Arnold de Clermont, avec calme et humour, devait tenter de donner la parole au plus grand nombre.
Pourquoi un tel intérêt ?
Le thème, tout d’abord. Parler de paix, et bien sûr particulièrement dans le contexte centrafricain, c’est évoquer celles et ceux qui ont souffert profondément des crises passées. J’avais proposé une contribution intitulée « Différents aspects de l’humiliation recueillis dans la parole des Centrafricains par l’Observatoire Pharos dans les années 2013-2015 ». Trois images pour dire cette humiliation : Les enseignants de l’Université de Bangui nous disant être « bâillonnés » par les responsables politiques, alors qu’ils étaient les seuls à avoir depuis des années constitué un groupe de travail sur les origines de la crise centrafricaine ; cette mère et sa fille, violées par des habitants de leur quartier pendant les troubles de 2013 et voyant tous les jours leurs violeurs les menaçant de les tuer si elles parlaient et la justice incapable de se saisir de leur drame ; les intellectuels disant leur humiliation d’entendre l’Ambassadeur de France dire quel était le « bon » premier ministre pur la RCA… Le colloque devait prendre le temps d’entendre les humiliations vécues par la population, humiliations par rabaissement, par déni d’égalité, par relégation ou par stigmatisation (pour reprendre les catégories de Bertrand Badie, dont nous avions espéré qu’il pourrait se libérer afin d’apporter les conclusions du colloque).
Bien d’autres contributeurs ont participé à cette première partie : Professeurs d’Université en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, Psychologue clinicienne en RCA, ou encore Ingénieure en informatique passionnée de théologie rendant compte de l’ouvrage d’Olivier Abel.
Entendre l’humiliation avant d’envisager de la réparer ou de la déconstruire
Présentation en images du colloque de l’association A9
C’est Thierry Vircoulon, chercheur associé à l’IFRI qui ouvrait cette seconde partie avec un exposé sur la : « Justice transitionnelle : un concept en errance ». Il était suivi par un avocat centrafricain, conseil de la Cour Pénale Internationale et de la Cour pénale spéciale à Bangui ; puis des universitaires de Bangui, de Dshang ou de Maroua au Cameroun. D’autres aspects plus spécifiques étaient abordés ; la question de la vérité (Franck Levasseur), ou le thème biblique de la réconciliation (Philippe Kabongo Mbaya).
Chaque contribution appelait de longs débats ; mais la dernière, par le Professeur Abdon Nadin Liango, président du comité scientifique, sous le titre « Dignité humaine en péril » retraçant les crises subies par la RCA devait susciter un moment extrêmement fort : trente ou quarante mains se sont levées pour apporter précisions, corrections, commentaires… Le colloque se terminait par la confirmation d’un immense besoin de partage auquel répond l’Association A9.
Car la RCA aujourd’hui n’offre pas beaucoup d’autres possibilités. Les oppositions politiques au régime en place ne sont guère actives, ou sont ailleurs. Les problématiques du moment touchent plus aux questions de survie alors que 80% de la population n’a qu’un repas par jour, me dit-on. Les ressources naturelles du pays sont détournées, les routes difficilement praticables, le fonctionnement économique réduit, sauf pour l’immobilier des riches : Bangui voit fleurir les bâtiments à étages, les hôtels climatisés. Et fort peu en profitent. Heureusement il y a 3000 agents des différentes institutions des Nations Unies.
A9 s’est singularisée en proposant en 2021 de nourrir Bangui en 90 jours, opération qui a donné naissance à 1400 jardins potagers privés devant les cases de volontaires et l’opération devrait bientôt doubler.
Mais A9 a aussi lancé avec l’Université (le Recteur ouvrait le colloque) un master en pluralisme religieux et médiation. Quelques jours après le colloque, ce sont 60 nouveaux titulaires qui étaient reçus (50 l’an dernier).
C’est l’honneur du CCFD-Terre solidaire, de la Friedrich Schiller Universitat d’Iena, et modestement du Défap de soutenir de telles initiatives porteuses d’espérance.
Rodolphe Gozegba