Nouvelle-Calédonie : la déclaration de la Conférence des Églises du Pacifique
La Conférence des Églises du Pacifique, qui regroupe 28 Églises protestantes et 11 conseils d’Église depuis l’Australie et la Nouvelle-Zélande à l’Ouest jusqu’à la Polynésie orientale, prie et appelle à la cessation de la violence. Mais elle se montre aussi très critique vis-à-vis du gouvernement français. Elle réclame une intervention de l’ONU pour mener une mission de dialogue.
Vue de la 12ème assemblée de la conférence des Églises du Pacifique © Gilles VidalLes violences que connaît actuellement la Nouvelle-Calédonie mettent à nouveau en péril la dignité de la vie de chaque être humain sur le territoire. Alors que nous prions et appelons à la cessation de la violence, de toutes parts, nous sommes également conscients de la réalité de ce dont nous avons été témoins, non seulement au cours des derniers jours, mais au cours des mois écoulés depuis que le poing du gouvernement français a commencé à se resserrer sur la gorge du peuple kanak, alors qu’il continue de crier du plus profond de son cœur sa propre expérience de la liberté, de l’équité et de la fraternité.
On ne peut ignorer que cette éruption de violence est la manifestation de la douleur, du traumatisme et de la frustration d’une communauté dont les droits autochtones et politiques ont été constamment bafoués par un gouvernement français dont la rhétorique de « nation du Pacifique » est démasquée par ses actions. La situation dans laquelle se trouve la Kanaky Nouvelle-Calédonie est l’expression de l’incapacité politique à prendre en charge l’émancipation du peuple kanak et des communautés présentes sur le territoire et son destin commun. Nous constatons que plus de trente ans après les Accords de Nouméa, la position politique de l’État français ne semble pas avoir évolué et sa neutralité vis-à-vis du processus de décolonisation engagé avec le pays n’est plus respectée.
Le 2 avril, le Sénat a voté sans hésitation le dégel des listes électorales, feignant d’ignorer l’une des armes de ceux qui veulent tuer l’Accord de Nouméa et enterrer définitivement la question de la pleine souveraineté. Le Mercredi 15 mai, l’Assemblée nationale a voté la proposition de loi constitutionnelle visant à débloquer le corps électoral de la Nouvelle-Calédonie.
Promesse non-respectée
Cette décision fait suite aux nombreuses demandes de report du 3e référendum formulées par des militants indépendantistes, des politiques, des historiens, des associations, des églises et des ONG auprès du Président Macron et de son ministre de l’époque M. Lecornu, afin de permettre aux familles kanak et calédoniennes endeuillées par le Covid 19 de faire leur deuil. L’État colonial français a décidé de maintenir la consultation du 3e référendum, ce qui a conduit à un appel à la non-participation des forces vives en faveur de l’indépendance pour ne pas prendre part au complot mené par le colonialisme français. Cela a facilité la victoire du « non » à 96,50%, pour une participation de 43,87% sans les autochtones kanak et les partis politiques indépendantistes, contre une participation de 81% en 2018 et 85,69% en 2020.
Pour rappel, le gouvernement français n’a pas respecté la promesse faite par le Premier ministre de l’époque, M. Edouard Philippe, de ne pas initier le référendum avant l’élection présidentielle de 2022. Les conséquences de ce « passage en force » sur le 3e référendum du 12 décembre 2021 sont toujours d’actualité. Après vingt ans de gestion consensuelle, la rupture du dialogue entre le gouvernement français et les indépendantistes et le peuple kanak est désormais une réalité. Et l’étroite collaboration entre le gouvernement français et la droite locale (pro-française) est au grand jour, entre la nomination de Mme Backes comme Secrétaire d’État à la Citoyenneté, qui occupe également le poste de Présidente de la Province Sud, et la nomination de 2 députés calédoniens comme rapporteurs des différentes réformes engagées par l’État sur le dossier calédonien à l’Assemblée nationale, MM. Metzdorf et Dunoyer.
Cultures multiples
Ainsi, sans crainte ni considération pour le peuple kanak, l’État colonial français affiche fièrement son impartialité dans le traitement des questions de l’après Matignon-Oudinot et de l’Accord de Nouméa. Le processus d’humanisation est un défi pour le peuple de la Nouvelle Calédonie Kanaky, riche d’héritages différents et de cultures multiples, interpellé par la mondialisation, ses effets et ses conséquences. Il leur faut à nouveau s’engager dans un grand palabre. Quand le « duologue » est vital et incontournable, de cette discussion naîtra une nouvelle vision de la parole qui pourra construire le futur Do Kamô, dont les valeurs sont déjà pressenties : Valeurs kanak et coutumières, valeurs océaniennes, valeurs chrétiennes, valeurs républicaines.
En 1979, l’Église Évangélique de Nouvelle-Calédonie et des Iles Loyauté adopte lors de son synode la Déclaration de Guarou, qui proclame la revendication d’indépendance du peuple kanak par rapport à la situation politique de l’époque. L’Église prend position contre toutes les formes d’injustice et d’exactions commises par un État colonial et son système oppressif, après une profonde réflexion théologique sur le thème de la libération de l’homme des chaînes d’oppression et de déshumanisation créées par un système colonial destructeur.
Humanisation et transformation
En accord avec cette position, lors de la 12e Assemblée Générale de la Conférence des Églises du Pacifique en novembre 2023, l’Église Protestante de Kanaky Nouvelle-Calédonie a proposé « DoKamo : Christ nous Transforme-nous dans ta Nouvelle Humanité » comme son thème régional. Un encouragement à notre famille Pasifika et Oikumene à réfléchir à la situation de notre humanité et à sa capacité de résilience et de transformation face aux défis de la société moderne dans la Maison de Dieu Pasifika.
Le concept de DoKamo, qui nous vient de la région Ajie-Arô, nous invite à un processus d’humanisation et de transformation. Introduisant l’idée d’une humanité en évolution permanente, le concept de DoKamo souligne le lien multidimensionnel profond de l’être humain avec sa terre et la nature qui la compose et le définit, avec ses Ancêtres et son patrimoine immatériel, avec les membres de sa communauté et avec les autres. Cette interconnexion extraordinairement riche devrait nous conduire vers une existence plus consciente, plus élevée. Si la conception de l’être humain comme chantier permanent implique une recherche perpétuelle de l’être et du devenir, de l’existence en relation harmonieuse avec ses différentes formes de relations, une direction est clairement définie, celle de la dignité de la vie. La transformation de l’être humain ne vise qu’à le construire ou à le doter de valeurs, de compétences, de maîtrise, de savoirs, de savoir-faire, de savoir-être et de savoir-devenir, afin qu’il puisse exercer pleinement le premier métier de l’homme : vivre. La vision existentielle kanak exige, à travers son éducation, de vivre pleinement dans la dignité.
Cette exigence leur permet de définir leur rapport au cosmos, à la nature, aux autres, aux étrangers, au temps, à l’espace, aux mots, à leur environnement, etc.
Le nouvel être humain est appelé à rechercher sa « Do Kamoïté » pour vivre ensemble dans la paix et l’amour dans le pays.
La Conférence des Églises du Pacifique demande donc instamment :
- Aux membres de l’Église protestante de Kanaky Nouvelle-Calédonie, aux Églises sœurs, aux religions sœurs et à tous les croyants de Kanaky, pour lancer un appel à la prière, à la solidarité et à la compassion en ce temps de crise : toute vie humaine est précieuse et sacrée, quelles que soient les opinions politiques ou l’origine ethnique de chacun. Nous possédons tous, tels que nous sommes, le don sacré de la vie que Dieu nous offre ;
- Aux responsables politiques, coutumiers et religieux, ainsi qu’à tous ceux qui vivent en Kanaky, de faire preuve de responsabilité, de calme et de paix en cette période de crise ;
L’État et le gouvernement de Nouvelle-Calédonie interdisent la vente et l’utilisation d’armes à feu ; - Nous appelons nos Églises membres et les conseils nationaux d’Églises, ainsi que nos partenaires régionaux et mondiaux, à la prière et à la solidarité pour soutenir la voix du peuple dans la région et au niveau international. Nous appelons en outre le Conseil œcuménique des Églises, par l’intermédiaire de la Commission des Églises pour les affaires internationales, à faire de cette question une priorité de son travail en s’engageant auprès du gouvernement français et des Comités des Nations Unies sur la décolonisation (C24 et 4e Comité) dans ses bureaux de Genève et de New York.
- L’État français à honorer son rôle impartial dans le processus de décolonisation en retirant immédiatement le projet de loi constitutionnelle visant à débloquer le corps électoral, et d’entamer immédiatement un processus de dialogue équitable, facilité par une tierce partie neutre ; et
- L’ONU doit mener une mission de dialogue impartiale et compétente pour suivre de près la situation alarmante du pays.