COP 28 : les religions unies face à l’urgence climatique

Jamais une COP n’aura suscité autant de scepticisme. Le 30 novembre s’est ouverte à Dubaï, aux Émirats arabes unis, la 28ème Conférence des Parties, regroupant les États signataires de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) adoptée lors du Sommet de la Terre de Rio en 1992. Les Émirats arabes unis, monarchie pétrolière du golfe Persique et l’une des figures de proue d’une économie mondiale basée sur l’or noir, alors même que les appels à un abandon rapide des énergies fossiles se multiplient… Comme si le symbole ne suffisait pas, la COP 28 est présidée par le patron d’une des principales firmes pétrolières du pays. Alors que nombre de scientifiques et d’ONG parlent de cette COP comme d’une mascarade, et qu’Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, dénonce le manque de « volonté politique » pour éviter la « catastrophe » climatique, le monde des religions, lui aussi, se mobilise face à l’urgence. La sauvegarde de la création est une thématique qui prend une place croissante dans les milieux religieux – et c’est aussi le cas au Défap, où elle fait partie des priorités de son programme d’action. En France, à la veille de l’ouverture de la COP de Dubaï, la Conférence des responsables de culte a remis une lettre de plaidoyer à Emmanuel Macron.

© Maxpixel.net

Plaidoyer de la Conférence des responsables de culte en France vers la COP28

Paris, le 28 novembre 2023

Monsieur le Président,

Nous, représentants des confessions bouddhiste, juive, catholique, protestante, orthodoxe et musulmane de notre pays, vous interpellons solennellement en vue de la COP28, et plus largement, sur le profond bouleversement écologique et du vivant provoqué par les activités humaines. La France doit hisser sa réponse à la hauteur de l’urgence du bouleversement climatique en cours, au risque d’accélération de la perte de biodiversité et au dépassement des limites planétaires. Notre pays doit s’engager plus résolument encore qu’il ne l’a fait au niveau international.

« Nous avons ouvert les portes de l’enfer », affirme le secrétaire général des Nations unies. À tout le moins, alors que notre monde s’approche peut-être d’un point de rupture, nous avons la responsabilité de sauvegarder les conditions d’habitabilité de la Terre pour nous et le vivant. Les scientifiques ne cessent d’alerter contre les graves périls qui nous menacent. La température augmente à un rythme inédit, à cause des émissions anthropiques de gaz à effet de serre (GES), d’abord produites par la combustion des énergies fossiles. Le seuil d’augmentation de 1,5 °C fixé par l’Accord de Paris pourrait déjà être atteint dans les six années à venir. Nous sommes dans une situation d’extrême urgence ; avec gravité, nous nous alarmons qu’elle ne soit pas reconnue comme telle. Nous nous inquiétons aussi de la remontée du climato-scepticisme.

Ensemble, nous lisons la crise climatique, et plus largement la crise écologique et sociale, non pas d’abord comme un problème technique ou du « faire », mais comme une véritable crise spirituelle et de civilisation, qui vient remettre en cause notre manière d’« être » au monde. Un changement de paradigme est nécessaire, grâce au renouvellement de notre imaginaire, à un discernement éthique collectif et à des décisions politiques radicales et courageuses.

Pour réussir la transformation écologique, nous appelons à une révolution de la sobriété, qui devra subordonner la recherche de performance à la primauté de la communauté de destin de l’ensemble du vivant, dans un monde accepté comme fini. Dans nos sociétés, les injonctions à la compétition, la confiance aveugle en la technique et l’orientation hédoniste d’une économie de la surabondance empêchent de reconnaître et de valoriser ces autres approches. Changer en profondeur requiert de constater que tout est lié sur Terre et au-delà, et de se convaincre que l’épanouissement de chacune et chacun passe par celui de toutes et tous, selon l’équité et la justice, et que la modération est promesse de nouvelles abondances. Nous sommes déterminés à nous engager dans ce sens, pour répondre à ce beau défi.

La diversité de nos traditions porte des accents et des convictions propres, qui font la richesse de notre contribution à une telle transformation. La tradition juive présente la promesse d’une terre à travailler et à préserver. Les femmes et les hommes découvrent un rapport à la terre relevant d’une habitation tendre (Psaume 37, 11). Ces messages consonnent dans le résumé de la Bonne Nouvelle de l’Évangile offert par les Béatitudes : « Bienheureux les doux, ils recevront la terre en héritage » (Matthieu 5, 5), lié à l’amour du prochain et à l’attention aux plus petits (Matthieu 25, 40), entraînant une option préférentielle pour les pauvres que le pape François exprime fortement dans son encyclique Laudato Sí. L’islam, qui présente la beauté de la faune et de la flore (Coran 80, 25-32) ou l’importance de l’eau comme source de toute vie (Coran 21, 30), invite l’être humain à l’humilité et à explorer les multiples possibilités de vivre en harmonie avec l’environnement (Coran 16, 80-81), en méditant aux conséquences d’une exploitation dévoyée du créé (Coran 30, 41). La voie bouddhiste souligne l’interdépendance de toutes choses et, face à l’ignorance et à l’avidité, encourage connaissance et bienveillance pour prendre soin des cinq éléments et « chérir tout le vivant avec un esprit sans limite et une bonté aimante infinie » (Soutra de l’amour universel – Metta Sutta).

Pour mettre en œuvre une vraie transformation, la COP28 sera un moment politique important. Nous appelons la France et l’Union européenne (UE) à un sursaut et à un engagement diplomatique renforcé. Car au regard d’études indépendantes, comme le rapport annuel du Haut- Conseil pour le Climat, nous avons de réelles inquiétudes concernant la réussite des politiques climatiques, la capacité des États à respecter leur parole et à engager les transformations nécessaires sans que les citoyens ne désertent le champ politique. L’action doit être drastique et sans délai. En tant que responsables religieux, nous nous engageons à soutenir auprès de tous les décisions fortes et exigeantes qui seraient prises. Les points suivants nous paraissent essentiels :

  • Il est vital de sortir à temps des énergies fossiles, en arrêtant immédiatement les investissements dans les nouveaux projets et en engageant la suppression des soutiens étatiques directs et indirects, tout en développant les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique. Nous appelons la France à jouer un rôle pionnier dans le portage, à travers l’UE et en son nom propre, d’un Traité de non-prolifération des combustibles fossiles.
  • En ce sens, et afin de baisser effectivement les émissions de GES de 55 % par rapport à 1990, la France doit choisir démocratiquement un mode de vie plus sobre et intégralement lié à la justice sociale. Ici comme au Sud, les personnes les plus fragiles et les plus vulnérables, sont déjà et seront toujours davantage les premières victimes. Il n’y aura pas de transition sans justice.
  • Un financement international pérenne et équitable doit être enfin assuré, pour les actions d’atténuation, d’adaptation et la prise en compte des pertes et dommages, en particulier au bénéfice des pays du Sud. Pour la majorité, ils subissent plus fortement les conséquences d’un phénomène dont ils sont les moins responsables. La mobilisation des 100 milliards de dollars par an, promis en 2009 par les pays du Nord, non seulement devra enfin être honorée, mais ne devra être qu’un début.
  • La COP28 étant le moment du « bilan mondial » selon l’Accord de Paris, elle sera tournée vers les nouvelles contributions nationalement déterminées (NDC), attendues pour 2025. Nous appelons l’UE, et la France en son sein, à préparer une NDC qui corrige les manquements de trajectoire et rehausse l’ambition. Nous resterons vigilants à ce processus.

Nous sommes convaincus, Monsieur le Président, qu’une transformation écologique juste de nos sociétés, en plus d’atténuer des menaces, ouvrira à une formidable opportunité. Elle offrira aux citoyens un sens renouvelé à la vie commune et recréera du lien autour d’un projet commun, désirable et motivant. Nous faisons confiance à la délégation française pour porter dans la COP 28 une vision audacieuse et engageante.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’assurance de notre haute considération.

Pasteur Christian Krieger, Président de la Fédération protestante de France
Monseigneur Eric de Moulins-Beaufort, Président de la Conférence des évêques de France
Monsieur Haïm Korsia Grand rabbin de France
Maître Chems-Eddine Hafiz, Recteur de la Grande Mosquée de Paris
Monsieur Mohammed Moussaoui, Président de l’Union des mosquées de France
Monseigneur Dimitrios, Président de l’Assemblée des évêques orthodoxe de France
Monsieur Antony Boussemart, Président de l’Union bouddhiste de France