Tunisie : expérimenter face au changement climatique

Pour l’Église Réformée de Tunisie, la lutte contre la désertification entraînée par le réchauffement climatique est devenue un des axes majeurs de son engagement. Il se concrétise par ses relations avec l’association Abel Granier et avec l’ATAE (Association Tunisienne d’Agriculture Environnementale), à travers des actions de sensibilisation et de formation des populations rurales. Des actions dans lesquelles s’implique Benoît Mougel, natif des Vosges mais présent depuis 2009 dans le pays, et qui sont soutenues par le Défap. Prochain objectif pour l’ATAE : mettre en place une ferme expérimentale, destinée à servir de vitrine de ses méthodes tout en permettant de faire vivre sur place des familles d’agriculteurs.

Un exemple des actions de l’ATAE en Tunisie : l’accompagnement de cinq familles d’agriculteurs dans la région de Bizerte sur la tenue de leurs oliveraies © ATAE

À 40 ans, Benoît Mougel a déjà vécu 14 ans en Tunisie. Lorsque ce natif des environs de Neufchâteau, dans les Vosges, est arrivé dans le pays en 2009, c’était pour y poursuivre sa formation théologique. Après quatre années d’études à l’Institut Biblique de Genève, il venait s’installer en famille pour suivre un stage pastoral au sein de l’ERT (l’Église Réformée de Tunisie). Ce devait être un séjour de deux ans. Il y vit toujours. Et son engagement au sein de l’Eglise, dont « Ben » est l’un des pasteurs à Tunis, se double désormais d’un engagement social, notamment auprès des agriculteurs tunisiens.

Cette odyssée tunisienne, qu’il vit avec son épouse Patricia et avec leurs enfants, trouve d’abord des racines dans son histoire personnelle. « Pur produit de la campagne », témoignait-il récemment dans un article de la revue Missiologie évangélique, « j’ai assez rapidement rêvé de devenir paysan. Ma bonne mère m’a rappelé il y a quelque temps ces paroles dites dans ma tendre enfance : Quand je serai grand, je lirai la Bible à mes vaches… » Mais elle s’explique aussi par des rencontres. Celle, tout d’abord, de May Granier et de l’association Abel Granier, du nom du père de May, pasteur né dans le Nord-Ouest de la Tunisie et qui avait consacré sa vie à réhabiliter des terres rendues incultes par le climat sec et par les mauvaises pratiques agricoles. Cette découverte devait réveiller le paysan toujours présent dans le cœur de « Ben » et le pousser à s’investir dans le domaine du développement agricole durable. Autre rencontre cruciale : celle du Secrétaire général du Défap, qui devait lui permettre de poursuivre son engagement avec le statut de VSI (Volontaire de Solidarité Internationale). Entretemps, les Mougel ont vécu des années au rythme des soubresauts de l’histoire tunisienne. «On a vécu la « révolution de jasmin » en 2010-2011», témoigne-t-il aujourd’hui. « C’est une des choses qui nous ont attachés à la Tunisie : voir cet enthousiasme, cette ferveur des gens », et leur volonté « de s’exprimer, de s’engager ». Mais après le départ du président Zine el-Abidine Ben Ali en janvier 2011, fuyant les manifestations massives de la population tunisienne, sont venues aussi les périodes de désillusion.

« En tant que communauté, comment peut-on être une bénédiction pour notre pays ? »

Récolte de fourrage dans une exploitation accompagnée par l’ATAE © ATAE

« La Tunisie, c’est un pays qui vit depuis des années des difficultés politiques, économiques, sociales », souligne Benoît Mougel. « C’est un pays qui souffre, à plein de niveaux différents. » Et le changement climatique n’est pas le moindre de ces maux, avec « des années de plus en plus difficiles, un manque de pluie, des épisodes de sécheresse de plus en plus importants, des températures qui dépassent parfois les 50 degrés »… La Tunisie apparaît ainsi comme l’un des pays les plus exposés aux risques de désertification : selon la FAO (l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture), une hausse des températures de 2 degrés sur dix ans s’est déjà traduite par une perte de 15 000 ha/an de terres agricoles.

C’est l’ampleur de cette menace qui a poussé l’Église Réformée de Tunisie à resserrer ses liens avec l’association Abel Granier et avec l’ATAE (Association Tunisienne d’Agriculture Environnementale), qui en est directement issue. « C’est devenu un engagement d’Église », explique Benoît Mougel. « On se dit : en tant que communauté, comment peut-on être une bénédiction pour notre pays ? » En dépit de la croissance des zones urbaines, la population rurale représente encore près du tiers des habitants du pays. Une population qui a particulièrement souffert, non seulement de la crise consécutive à la « révolution de jasmin » qui a entraîné une décennie de croissance perdue, selon les chiffres de la Banque mondiale, mais aussi de la désertification qui menace les terres agricoles.

Benoît Mougel lors de son dernier passage au Défap © Défap

En multipliant les partenariats, et avec le soutien de volontaires envoyés par le Défap, l’ATAE informe, sensibilise les petits exploitants aux pratiques agricoles qui peuvent leur permettre de réhabiliter des terres apparemment trop arides pour supporter encore des cultures. Si elle reste une petite structure, animée par une dizaine de personnes, elle revendique l’accompagnement de 200 familles d’agriculteurs et des actions de sensibilisation dans 11 des 24 gouvernorats du pays. Mais au-delà, « Ben » et les membres de l’ATAE veulent mettre en place une structure qui sera une vitrine de leur action : une ferme expérimentale. « On travaille depuis 2017 pour porter ce projet », témoigne Benoît Mougel. « L’idée est d’avoir un lieu où l’on pourra mettre en pratique différentes méthodes développées par l’association Abel Granier, mais aussi développer de nouvelles techniques. Il s’agira également de voir les besoins des agriculteurs de manière plus large, au-delà des seules techniques agricoles : en réfléchissant aux aspects culturels, aux questions d’habitat et d’éco-construction… » Un lieu d’expérimentation, donc, mais dont la production devra aussi lui permettre d’être autonome sur le plan financier. « Ben » est confiant : « On a une petite équipe sur place, un nouveau VSI va nous rejoindre en septembre, puis un service civique en novembre… On a déjà commencé les activités dans une ferme qui nous accueille et qui joue un peu pour nous le rôle d’incubateur. »

 

Retrouvez ci-dessous le teaser du documentaire « Olivier, mon héritage » tourné par l’ATAE dans le gouvernorat de Bizerte, qui retrace deux ans d’accompagnement de cinq agriculteurs sur la tenue de leurs oliveraies, leurs défis et leur amour pour l’agriculture :

 



Retrouvez prochainement l’interview de « Ben » sur son engagement auprès de l’Église Réformée de Tunisie et pour la sauvegarde des terres agricoles, en podcast et sur le site du Défap.