Un séjour pour faire dialoguer les théologies

Venu en France en tant que boursier du Défap pour un travail de thèse sur la perception du ministère pastoral féminin au sein d’Églises congolaises, Robert Bahizire Byamungu a eu l’occasion de rencontrer des étudiants de la Faculté de théologie protestante de Strasbourg. Des rencontres riches de découvertes réciproques.

Robert Bahizire Byamungu lors d’un entretien diffusé par RCF © Défap

 

Robert Bahizire Byamungu est un des boursiers du Défap. Venu de République Démocratique du Congo, doctorant en théologie, il vient de passer une année et demie à Strasbourg dans le cadre de recherches pour sa thèse. Un séjour compliqué, et rallongé par la crise sanitaire due à la pandémie de Covid-19 ; et pourtant, un séjour riche, tant pour lui-même et pour l’avancée de son travail, que pour les enseignants et étudiants qu’il a eu l’occasion de rencontrer au sein de la Faculté de Théologie Protestante. Son travail de recherche porte sur le statut de la femme, et plus spécifiquement sur la question du ministère pastoral féminin ; un ministère qui n’est pas reconnu au sein de son Église, la Communauté Baptiste au Centre de l’Afrique (CBCA), qui fait, historiquement, partie des membres fondateurs de l’Église du Christ au Congo.

Rassemblant plus de 20 millions de membres, l’Église du Christ au Congo est, pour les protestants de France, un partenaire de taille… et surtout, une institution représentant un protestantisme moins divers qu’il n’y paraît : l’ECC cumule les caractéristiques d’une Fédération et d’une Église. Elle réunit 95 communautés ecclésiales différentes (on préférera parler de «communautés» plutôt que «d’Églises» au sein de l’ECC), dont 70 sont présentes dans la seule ville de Kinshasa. Toutes les dénominations qui la composent se retrouvent lors d’un même synode. Et d’une communauté à l’autre, les théologies dialoguent, les liturgies se rapprochent. Les facultés de théologie jouent pour cela un grand rôle : entre les communautés baptiste, anglicane ou mennonite, on retrouvera des pasteurs qui ont fréquenté les mêmes universités et suivi les mêmes cours.

Le Défap travaille justement avec cinq universités protestantes en RDC, toutes membres du RUPA (le Réseau des Universités Protestantes d’Afrique), garant d’un bon niveau académique, et qui disposent chacune d’une faculté de théologie. Dans un pays aussi vaste que la RDC et où le fait religieux est aussi prégnant, ces universités présentent des promotions impressionnantes : 9000 étudiants pour l’Université Protestante du Congo à Kinshasa, dont 300 en théologie ; 3225 étudiants pour l’Université Évangélique en Afrique (Bukavu) dont 686 en théologie ; 3000 étudiants pour l’Université Libre des Pays des Grands Lacs à Goma, dont 380 en théologie… Au sein de ces facultés se rencontrent des élèves issus de communautés ecclésiales différentes, entretenant ainsi le dialogue œcuménique. Et parmi leurs responsables figurent souvent d’anciens boursiers du Défap.

Autant de caractéristiques, à la fois du protestantisme congolais et des universités protestantes avec lesquelles le Défap est en lien, qui expliquent la richesse et la vitalité des travaux de recherches théologiques dans ce pays ; de sorte que les échanges avec les protestants de France, que ce soit à l’occasion d’échanges de professeurs ou de séjours de boursiers, peuvent se révéler aussi porteurs de découvertes pour les uns que pour les autres.

Robert Bahizire Byamungu durant son séjour de recherche en France © Défap

Dans quelles conditions êtes-vous venu faire des recherches en France ?

Robert Bahizire Byamungu : Je suis inscrit en thèse à l’Université Libre des Pays des Grands Lacs, à Goma, et je travaille sur la question de l’ordination des femmes, dans le contexte d’une Église où le ministère pastoral féminin n’est pas reconnu. J’ai demandé à venir poursuivre mes recherches en France, non seulement pour avoir accès à des bibliothèques disposant d’une documentation plus riche, mais aussi pour être en contact avec des enseignants, des responsables d’Églises dans lesquelles des femmes exercent le ministère pastoral… Je comptais aussi rencontrer des pasteures pour discuter avec elles de leur expérience, de leur engagement, et même m’entretenir avec des paroissiens… J’ai obtenu du Défap une bourse pour un séjour de recherche de neuf mois. Je suis arrivé en octobre 2019. J’aurais dû repartir en juin, mais la situation sanitaire et le confinement ont quelque peu bousculé mon programme.

Depuis combien de temps travaillez-vous sur ce thème ?

Robert Bahizire Byamungu : J’ai commencé à y travailler lors de mon mémoire de DEA ; j’avais alors étudié le cas d’une seule Église. Pour ma thèse, j’en aborde deux : l’Église baptiste et l’Église pentecôtiste, qui ont été parmi les premières Églises protestantes à s’implanter dans cette région d’Afrique. Toutes deux permettent aux femmes de se former à la théologie, et même de l’enseigner : on trouve ainsi une femme à la tête d’une faculté de théologie, une autre qui est vice-recteur d’université… Dès lors, on peut se demander pourquoi les étudiants qui ont suivi leurs cours, une fois devenus pasteurs, restent aussi réticents à reconnaître le ministère pastoral féminin.

Que vous a apporté votre séjour en France ?

Robert Bahizire Byamungu : Il a été très enrichissant, à plusieurs niveaux : par la possibilité qu’il m’a offert de travailler avec des bibliothèques disposant d’informations récentes ou de documents qui, même anciens, n’auraient pas été disponibles à Goma ; par les contacts humains qu’il a rendus possibles ; ainsi que par les échanges avec d’éminents professeurs qui ont orienté mes recherches. Ce séjour a fait évoluer significativement ma démarche et mon travail.

Parallèlement, j’ai eu l’occasion d’intervenir devant des étudiants à Strasbourg sur le thème du christianisme en Afrique. Et à cette occasion, le professeur Jérôme Cottin, qui suit mes travaux, m’a dit que sa propre vision de la théologie africaine avait évolué, qu’il avait véritablement pris conscience de son développement et de sa richesse. Il a estimé que renforcer les contacts avec des théologiens d’Afrique serait très utile pour ses étudiants.

En quoi les théologies africaines et européennes se distinguent-elles aujourd’hui ?

Robert Bahizire Byamungu : Les théologies européennes se sont construites sur plusieurs siècles. Les théologies africaines, par comparaison, sont beaucoup plus récentes : elles ont commencé à se développer après la période des indépendances, et elles sont en pleine évolution. Par ailleurs, elles sont riches de toute la diversité des cultures africaines : même si elles partagent un fonds commun, typiquement africain, les approches d’un Tanzanien, d’un Congolais ou d’un Camerounais seront à chaque fois influencées par leur propre contexte culturel. Les théologies africaines sont avant tout des théologies contextuelles.

Retrouvez ci-dessous l’interview de Robert Bahizire Byamungu sur RCF, diffusée le 23 octobre 2020 :