Éloigné, en confinement : parole à Agathe
Partir à l’étranger avec le Défap, ce n’est pas seulement découvrir un autre pays, une autre culture, et y vivre de nombreux mois en immersion : c’est aussi se découvrir soi-même. Avec le Covid-19 d’autres problématiques se posent. Au travers de leurs lettres de nouvelles, les envoyés partagent leur ressenti mais aussi leurs questionnements.
Depuis six mois, Agathe Trehard est en service civique à Beer Sheba, au Sénégal.
Le temps passe vite ici et ce ne sont pas les occupations qui manquent pour participer à la vie de la communauté et promouvoir son développement.
Depuis décembre et ma dernière lettre, j’ai surtout travaillé à la boucherie. Les semaines passant, j’ai pu comprendre de mieux en mieux le fonctionnement de ce pôle porteur de Beer Sheba, saisir ses enjeux et participer au perfectionnement du système de production pour répondre aux exigences de la clientèle. En dialogue avec le responsable clientèle de la boucherie, nous avons élaboré et mis en place plusieurs systèmes afin d’améliorer la production, l’organisation du travail et la gestion des stocks. Grâce à Dieu, nos essais ont porté leurs fruits et nous avons pu augmenter la production, améliorer des recettes, simplifier certaines tâches et ainsi atteindre des objectifs plus élevés. L’arrivée du coronavirus début mars ayant doublé les commandes de viande, nous avons pu nous améliorer notre rythme et continuer à répondre à la clientèle tout en restant fidèle à notre exigence de qualité.
Travailler au sein du pôle boucherie de Beer Sheba a été une expérience très enrichissante pour moi. J’ai pu découvrir les qualités requises pour le management d’une équipe dans une perspective chrétienne. La sagesse du responsable m’a permis d’apprendre à travailler en tenant compte des différences culturelles et des tempéraments de chacun, à faire preuve de patience et de tempérance tout en faisant le travail avec amour et dévouement. C’est toute une philosophie du travail qui m’est révélée ici, car chez les Sérères, travailler rime avec rire, il est impossible d’envisager l’un sans l’autre.
Parallèlement au travail à la boucherie, je me suis intéressée au pôle élevage grâce à l’amitié tissée avec le vétérinaire de Beer Sheba. Participant à ses tournées dans les villages pour soigner les animaux malades, j’ai pu découvrir la culture sérère dans ses aspects les plus quotidiens, approfondir ma compréhension de la langue et élargir ma connaissance de la région et de ses habitants.
C’est alors que j’ai pu comprendre ce qu’est véritablement la Téranga sénégalaise (l’hospitalité). J’ai été très touchée par l’accueil spontané des villageois lors de nos tournées, les enfants qui viennent à notre rencontre, les mamans qui nous parlent et les hommes qui nous taquinent. Car rire et taquiner sont des traits caractéristiques du rapport à l’autre au Sénégal. Il n’y a pas la peur de l’étranger que nous avons bien souvent en France. Ici l’autre est un futur ami et non un potentiel danger ou une atteinte à mon confort individualiste. Il est si facile d’entrer en contact avec les gens ici ! Parler est très important pour vivre et être heureux au Sénégal. Un besoin, un problème ? Tout se résout par la parole et par le rire, et chacun est prompt à rendre service.
Durant le mois de mars, j’ai reçu la visite de mes parents. Initialement venus pour deux semaines, ils se sont retrouvés confinés ici à cause de l’arrivée du coronavirus en France. Nous avons fait ensemble un tour du Sénégal jusque dans la « sous-région » (la Casamance, au sud de la Gambie) dont j’avais tant entendu clamer la beauté. Nous n’avons pas été déçus, en effet, la Casamance est le jardin du Sénégal ! Et le peuple Djola qui y vit est d’un accueil et d’une convivialité sans pareil. Au cours de ce voyage, j’ai pu faire mes preuves en wolof en pratiquant davantage cette langue nationale.
De retour à Mbour, la situation causée par le virus et son arrivée progressive en Afrique m’ont poussée à demander mon rapatriement. C’est le cœur brisé que je laisse ici mes amis sénégalais. Que Dieu les protège de la pandémie et de tout mal. S’il y a bien une chose que je souhaite particulièrement rapporter de mon service civique au Sénégal, c’est le sens du partage que j’y ai découvert. Ici, il faut partager, plus qu’une obligation, c’est une habitude. Il est impensable de ne pas partager ce que l’on a, aussi petit que cela puisse être. Un quartier d’orange peut encore être partagé en cinq : s’il y a assez pour moi, il y a assez pour toi. Tant que j’ai quelque chose, c’est que je peux partager. La solidarité sénégalaise est très forte et c’est une véritable leçon de vie dont j’espère toujours me souvenir.
Pour finir cette lettre, je souhaite tout particulièrement remercier le Défap pour son accompagnement, et Éric pour la place qu’il m’a faite à Beer Sheba et la liberté qu’il m’a laissée de m’investir dans les différents pôles qui m’intéressaient.