Frédéric Trautmann, la mission chevillée au cœur
La mission, le pasteur Frédéric Trautmann, qui vient de disparaître, y avait consacré une grande partie de sa vie : notamment durant toutes les années passées au Défap, dont il avait vu la naissance en tant que membre du comité directeur de la SMEP, et où il avait occupé successivement les fonctions de secrétaire exécutif, secrétaire général, puis président. Une cérémonie à sa mémoire aura lieu le jeudi 13 juin à Versailles, en présence de plusieurs représentants du Défap.
Frédéric Trautmann © Albert Huber
Avec Frédéric Trautmann, le Défap ne perd pas seulement un de ses anciens présidents – fonction qu’il avait occupée jusqu’en juin 2006, et à laquelle devait lui succéder Jean-Arnold de Clermont ; c’est une personnalité profondément marquée par la mission qui disparaît, au point d’y avoir consacré une grande partie de sa vie. «Au nom de Jésus-Christ, disait-il, l’important est que le chrétien soit un passeur de frontières qui excluent, un protestant qui témoigne et réagit contre toute atteinte à l’humanité de l’homme, à sa dignité, à sa liberté d’enfant de Dieu!».
Né en 1935 dans le nord de l’Alsace, tout près de la frontière avec le Palatinat, ce fils d’instituteur, en rejoignant l’université de Strasbourg, se destinait tout d’abord aux études de sciences, puis de psychologie. C’est à la fois un fond humaniste, l’impérieuse nécessité d’allier l’action à la réflexion, le tout s’ajoutant à un séjour dans une famille pastorale avec laquelle ses parents étaient en lien, qui devaient l’orienter vers la théologie. Un voyage d’études en Allemagne de l’Est lui donnait bientôt un aperçu de ces «frontières qui excluent» en le mettant en relation avec des étudiants et des pasteurs de l’autre côté du rideau de fer. Voyage effectué alors avec Georges Casalis, une personnalité issue d’une famille riche de missionnaires (et notamment Eugène Casalis, qui avait dirigé la SMEP, ancêtre du Défap), et marquée par un engagement fort : il était notamment l’un des signataires des Thèses de Pomeyrol, qui avaient réclamé dans les années 40 un engagement clair de l’Église Réformée de France face à l’occupation nazie.
De la Nouvelle-Calédonie au rapport sur «Les Églises issues de l’immigration»
Dès son premier poste pastoral devait apparaître pleinement l’engagement de Frédéric Trautmann vis-à-vis de la mission : une paroisse, disait-il, «ne doit pas vivre seulement pour elle-même, mais aussi travailler avec les autres et pour les autres dans la société, être tournée vers l’extérieur.» Ce qui lui valait de rejoindre bientôt le comité directeur de la Société des missions évangéliques de Paris, que présidait le pasteur Marc Boegner. L’époque était celle de la décolonisation et des grandes interrogations sur le modèle missionnaire. L’indépendance des colonies apparaissant comme certaine, l’autonomie des Églises implantées depuis le XIXème siècle par la SMEP allait de soi ; mais qu’allaient devenir les relations entre les «Églises mères» d’Europe et leurs «Églises filles», notamment en Afrique ? Fallait-il cesser toute relation, ou les réinventer ? De là l’idée de transformer l’ancienne Société des missions évangéliques de Paris en deux institutions nouvelles : la Cevaa, une Communauté d’Églises au sein de laquelle toutes pourraient se retrouver, en ayant le même statut, le même droit de parole et le même pouvoir de décision ; et le Défap, devenant dès lors le service missionnaire des Églises protestantes de France qui participaient auparavant à la SMEP. Frédéric Trautmann devait prendre part à cette révolution dans l’histoire des missions protestantes françaises, en participant à cette mue de la SMEP en deux nouveaux organismes. Avant d’aller lui-même expérimenter cet «extérieur» et ce dépassement des frontières en passant quatre années en nouvelle-Calédonie. Un séjour dont il devait garder une indéniable proximité avec le peuple Kanak, comme en témoignent certains de ses écrits ultérieurs dans le Journal des missions évangéliques, publié par le Défap («Où en est la Nouvelle-Calédonie ?», 1976 ; «Kanak veut dire homme», juillet 1984).
De retour à Paris, il intègre l’équipe des permanents du Défap dès 1975, en étant dans un premier temps chargé des envoyés et de l’animation théologique, puis au poste de secrétariat général. La Nouvelle-Calédonie l’y rattrape : durant la période de tensions croissantes qui, au cours des années 80, marque les «événements» et culminera dans la tragique prise d’otages de la grotte d’Ouvéa, Frédéric Trautmann est pressé d’intervenir par Pierre Joxe, alors ministre de l’intérieur et des DOM-TOM, pour obtenir la libération d’un sous-préfet pris en otage à Lifou. Tâche dont il s’acquittera avec succès. À partir de 1987, il quitte le Défap en prenant la direction de la Fondation John-Bost ; mais il ne s’en détachera jamais vraiment, si bien qu’à la retraite, il accepte d’y revenir et d’en prendre la présidence. Une nouvelle période du long compagnonnage entre Frédéric Trautmann et le Défap, au cours de laquelle il s’intéresse notamment de près à l’évolution du rôle des envoyés, qui constituent l’une des activités du Défap les plus visibles pour les Églises de France. Il participe aussi à toute la réflexion sur les relations avec les nouvelles Églises implantées en France, notamment par des Églises des anciennes colonies, que l’on appellera plus tard les «Églises ethniques» faute d’un meilleur terme. Il fait ainsi partie, aux côtés notamment de Claude Baty, Étienne Lhermenault, Antoine Nouis et Bernard Coyault, d’un groupe de travail suscité par le conseil de la Fédération protestante de France qui remet en 2005 un rapport sur «Les Églises issues de l’immigration» – rapport qui précédera d’un an la naissance du projet Mosaïc. En 2006, dans son dernier texte lu devant l’Assemblée Générale du Défap dont il est alors sur le point de quitter la présidence, il donne en ces termes sa vision du Défap, dans laquelle il met en parallèle «mission au près» et «mission au loin» :
«Quelle est en définitive la finalité de notre action en tant que service protestant de mission, comme notre Conseil voudrait la mettre en œuvre à la place qui est la sienne ? On pourrait peut-être la résumer ainsi :
- Permettre à nos Églises de France de contribuer, même modestement, à la croissance et à l’épanouissement des Églises et des peuples, en particulier dans des régions qui sont parmi les plus pauvres et les plus déshéritées du monde,
- Démontrer par l’exemplarité de nos projets missionnaires et par leur fidélité à l’Evangile, qu’une communauté humaine et chrétienne fraternelle et solidaire est possible par-delà toutes les frontières qui voudraient nous séparer,
- Croire et affirmer haut et fort que les hommes et les femmes issus de l’immigration et vivant en France, qu’ils soient français ou non, contribuent à la croissance et à l’évangélisation de nos Églises et de notre pays.»
La cérémonie à la mémoire de Frédéric Trautmann aura lieu à Versailles, le jeudi 13 juin, en présence de plusieurs représentants du Défap.