Les fruits de la mission

Depuis 1971, quels sont les «fruits de la mission» visibles à travers le Défap ? Dans le cadre des réflexions lancées sur le processus de refondation, l’après-midi de l’Assemblée Générale du 30 mars a été consacrée à une série de témoignages sur l’héritage et les apports des relations entretenues par le Service protestant de mission au fil des années. Etaient notamment présents deux anciens envoyés, Éline O. (Égypte) et Mahieu Ramanitra (Madagascar) ; Vincent Nême-Peyron, président de la Commission des ministères de l’EPUdF, qui a participé à un stage CPLR au Bénin ; ainsi que Jean-Luc Blanc, secrétaire général du Défap, et Gilles Vidal (IPT Montpellier). Nous publions ici un premier apport avec ce texte de Jean-Luc Blanc sur l’importance de la mémoire, de la connaissance des Églises d’ailleurs, et sur la nécessité de construire aujourd’hui une théologie qui acquière une dimension interculturelle.

Jean-Luc Blanc (à gauche) lors de l’après-midi de l’AG du Défap consacrée aux «fruits de la mission»

Une richesse : la mémoire du Défap

Depuis qu’il développe et entretient des relations avec des Églises ou membres d’Églises d’ailleurs, le Défap a acquis une certaine connaissance du protestantisme des pays du Sud. Une partie de cette connaissance est stockée dans la bibliothèque et les archives, mais aussi dans les mémoires de tous ceux qui ont participé à telle ou telle action du Défap ou qui ont été à son bénéfice. Cette mémoire n’est pas conservée qu’en France, mais aussi en Afrique ou dans le Pacifique. Le tissu de relations du Défap s’appuie sur cette mémoire toujours vivante.

Cette mémoire est inscrite dans le résultat de projets réalisés avec les Églises locales. Bien sûr dans des bâtiments, hôpitaux, écoles ou locaux d’Églises que le Défap a aidé à construire ou à reconstruire au fil des ans, mais surtout dans les hommes et les femmes qui sont «passés par le Défap» ou dont les parents sont «passés par le Défap». Combien de fois ai-je entendu lors de mes déplacements : «j’ai été boursier du Défap» ou «mon père a été boursier du Défap» ou encore «on se souvient de tel ou tel envoyé »… Cette mémoire qui nous lie à nos partenaires s’enrichit aujourd’hui de tous les réseaux que les expatriés venus de ces Églises partagent avec nous. Et, s’ils le font c’est parce que c’est le Défap, parce qu’ils savent qu’au Défap on peut parler le langage de l’Église «du pays» et qu’on a des chances d’être compris car, pour comprendre ces communautés, il faut connaître à la fois l’Église «du pays» et celle d’ici. Plusieurs fois d’ailleurs, ces dernières années le Défap a joué le rôle d’intermédiaire entre les Églises d’expatriés en France et leurs Églises d’origine.

Si on devait se contenter de consigner cette connaissance dans nos rapports internes, si on se satisfaisait de la voir bien archivée dans la bibliothèque, on passerait à côté de l’essentiel. Cette connaissance des Églises d’ailleurs doit pouvoir continuer à nous inspirer et le Défap a le devoir de la mettre au service des Églises de France de façon à les aider à être Église avec toutes ces communautés venues d’ailleurs ainsi qu’avec leurs Églises d’origine.

Intégrer ?

Pourquoi n’arrivons nous pas à être Église avec toutes ces communautés d’origine étrangère qui fleurissent dans nos villes ? Cela devrait d’autant plus nous étonner que nous les accueillons souvent en leur prêtant des locaux et que nous proclamons très fort que dans l’Église, il n’y a plus de nationalités, mais que «nous sommes tous un en Christ». Bizarrement, nous avons réussi à créer une Église Protestante Unie, mais en laissant de côté de nombreuses communautés ou unions d’Églises luthériennes et réformées d’origine étrangère. S’il s’agissait d’intégrer des Égyptiens, des Russes, des Coréens, des Malgaches ou des Congolais dans une Église française qui souhaite rester française, les choses seraient assez simples. Le problème serait un problème de pédagogie et nous essaierions de reproduire dans l’Église le fameux modèle français de l’intégration. Mais depuis les années 1970, depuis que le Défap et la Cevaa ont été créés, depuis que l’on a compris que l’élaboration théologique ne passait pas uniquement par la culture occidentale, depuis que nous avons la prétention de construire une théologie et une Église communes et interculturelles, c’est un peu plus compliqué !

Après des siècles de développement assez linéaire de l’Église occidentale, nous avons connu une période de confrontation aux autres cultures dans le cadre des missions traditionnelles pendant laquelle, nous avons partagé ces siècles d’expériences et de construction théologique avec d’autres. À partir des années soixante-dix, la Cevaa et d’autres organismes œcuméniques nous ont rendus conscients que chaque culture pouvait développer sa propre réflexion théologique. On a ainsi vu émerger des théologies asiatiques, des théologies africaines… etc. La théologie s’incarnait dans les diverses cultures et nos Églises réalisaient que l’Évangile pouvait se dire dans des concepts familiers à chacun. Depuis, des théologiens ont travaillé aux quatre coins du monde pour développer une pensée théologique propre à leur culture publiant de nombreux ouvrages, preuves de la vitalité de ce nouveau souffle. Le Défap a largement participé à ce mouvement, notamment par le travail qui a été fait dans les années quatre vingt dix autour du thème «Évangile et Cultures», mais aussi par son programme de bourses de recherche et d’aide à la publication ainsi que ainsi que par les échanges de professeurs de théologie. Quand on voit aujourd’hui en Afrique, le nombre de théologiens enseignant dans les facultés de Kinshasa, Brazzaville ou Yaoundé qui sont passés par le Défap, on ne est en droit de penser que l’impact de cet engagement du Défap n’est pas quantité négligeable.

Aujourd’hui, cinquante ans plus tard, les évolutions de notre monde nous invitent donc à passer à une autre étape : construire une théologie et une Église «interculturelles». Il ne s’agit plus seulement de développer une théologie africaine en Afrique, une théologie chinoise en Chine, mais une réflexion théologique commune qui mette en synergie en les valorisant toutes ces théologies culturellement marquées. En France, en tous cas, c’est devenu une nécessité. Les Églises de notre pays sont amenées à faire de la place à des hommes et des femmes venant d’ailleurs qui veulent à la fois garder leur culture d’origine tout en intégrant celle qui les accueille. Ils ne veulent abandonner ni l’une ni l’autre. Nombre de nos frères et sœurs assis le dimanche sur les mêmes bancs d’Église que nous partagent une double identité ecclésiale : celle de leur Église d’origine et celle de leur Église d’accueil. Dans les grandes villes, il est courant de voir des chrétiens membres de deux paroisses : une paroisse française et une paroisse issue de leur Église d’origine.

Cette double identité, comme toutes les identités «entre deux», ne va pas de soi, surtout lorsqu’on aborde des questions éthiques. Nous avons, par exemple, de la difficulté à imaginer le choc produit par la décision de bénir des couples de même sexe pour des protestants venus de pays où l’on jette en prison celui ou celle qui est seulement soupçonné d’homosexualité ! De notre côté, nous avons beaucoup de difficultés à comprendre comment fonctionne la famille africaine… C’est pour cela que la Cevaa a initié une réflexion commune et interculturelle autour de toutes ces questions : des séminaires ont eu lieu, des fiches d’animation ont été élaborées, un stage pour des pasteurs français et togolais vient même d’être organisé au Togo autour de ces questions. C’est pour cette raison aussi que nous accompagnons les travaux de théologiens qui abordent ces sujets soit par des bourses, soit par des congés-recherche.

Je pourrais dire la même chose au sujet du dialogue inter-religieux ou des questions de gouvernance dans l’Église, autant de thèmes qui ont été travaillés dans cette perspective inter-culturelle.

Tout cela représente une extraordinaire richesse à disposition des Églises, une richesse qui ne trouvera son sens que si elle est partagée. C’est à nos communautés de se saisir de ce travail pour le prolonger localement, régionalement et cela nous concerne tous : Églises locales, synodes, facultés de théologie et organismes missionnaires. L’enjeu est vital pour l’Église de notre temps.

Jean-Luc Blanc
29/03/2019