En Nouvelle-Calédonie, l’approche du référendum d’autodétermination prévu à l’automne 2018 cristallise les tensions après 30 ans de paix civile. Le protestantisme français, lié à l’histoire de l’archipel, a un rôle à jouer pour aider au dialogue. C’est la conviction qui a poussé à l’organisation de la conférence qui s’est tenue le 18 septembre dernier au siège de la Fédération protestante de France.


Septembre 2017 : les intervenants de la conférence sur la Nouvelle-Calédonie © F. Lefebvre, Défap

« En Nouvelle-Calédonie, l’évangélisation a précédé la colonisation », rappelle Vincent Bouvier devant la salle comble, où se tient une conférence sur l’avenir de l’archipel. Nous sommes au soir du 18 septembre, à la Maison du Protestantisme, à Paris ; et d’une phrase, celui qui fut Haut-Commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie d’août 2014 à juin 2016, résume la profondeur des liens qui unissent les protestants de France à cette terre. La Mission de Londres y était présente avant le passage sous domination française ; forcée au départ, elle a passé le relais à la Mission de Paris, qui a aidé à vivre l’Eglise locale, mais aussi défendu l’identité Kanak au travers notamment des travaux de Maurice Leenhardt. Aujourd’hui encore, ces liens se concrétisent à travers le Défap par des échanges d’envoyés, de pasteurs, de groupes de jeunes. Lorsque le lycée Do Neva a été frappé par des inondations en novembre 2016, le Défap a lancé un appel aux Eglises de France. Comment ces liens pourraient-ils être utilement employés pour aider la Nouvelle-Calédonie alors qu’approche un référendum d’autodétermination vu avec inquiétude par une grande partie de la population ?

Silencieuses et attentives au sein du public, on trouve plusieurs personnalités fortement liées à l’histoire néo-calédonienne – tel Alain Christnacht, qui précéda de 20 ans Vincent Bouvier au poste de Haut-Commissaire. On trouve aussi des chercheurs, pasteurs, étudiants du programme ABS… Sur l’estrade leur faisant face, Bertrand Vergniol, secrétaire général du Défap, distribue la parole entre Vincent Bouvier, Jonathan Tholo, étudiant à l’école navale et figure de proue du programme ABS, et le pasteur Ben Houmbouy, de l’EPKNC (Eglise Protestante de Kanaky Nouvelle-Calédonie). Tous témoignent, à leur manière, de l’enjeu représenté par le référendum qui s’annonce à l’automne 2018, et qui devrait marquer la sortie des « Accords de Matignon ». La Nouvelle-Calédonie doit-elle devenir indépendante ? Faudrait-il préférer les solutions de « l’Etat associé » ou de « l’Etat fédéré » défendues par Jean-Jacques Urvoas ? La formulation même de la question qui sera posée suscite déjà les crispations, alimentant les craintes de violences entre pro et anti-indépendantistes à l’approche du vote. Il faudrait un patient travail d’explication pour déminer le débat, ce que les politiques locaux ne font pas.

« La question : indépendance ou non, est vue comme trop radicale »

Pour aller plus loin :
Nouvelle-Calédonie et protestantisme français : tisser des relations proches
ABS : Un programme de soutien aux étudiants de Nouvelle-Calédonie

Jonathan Tholo, aperçu d’une réussite

En introduction à la conférence, François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France, a voulu mettre des mots sur cet enjeu. Trois mots : confiance ; paix (« la paix qui n’est en rien une évidence ») ; et promesse (« nous voulons croire que la République française et la Nouvelle-Calédonie sauront tenir leur promesse »). Il y a ajouté une référence à la « sagesse des Eglises », qui « ont une responsabilité ». Puis, chacun des trois intervenants a été invité à décrire « sa » Nouvelle-Calédonie à travers plusieurs thèmes : quels ont été les faits marquants de ces 30 dernières années ? Comment sortir des « Accords de Matignon » ? Quelle est la place du religieux, et celle de la coutume? Que serait la Nouvelle-Calédonie de mes rêves dans 50 ans ?

Pour Jonathan Tholo, né après les accords de Matignon, arrivé en métropole il y a 7 ans pour ses études, la Nouvelle-Calédonie reste évidemment « le plus beau pays du monde », comme il le postule avec une pointe d’auto-dérision. Il décrit un pays multiculturel, « un « melting-pot » ethnique, religieux, construit sur un passif lourd », où les jeunes des diverses communauté vivent plus facilement ensemble que leurs aînés (« Je n’ai pas connu ces années où le Caldoche était un ennemi »), ce qui n’occulte ni le problème de la hausse de la délinquance, ni celui du suicide des jeunes.

Intervention du public lors de la conférence sur la Nouvelle-Calédonie © F. Lefebvre, Défap

Le pasteur Ben Houmbouy, s’il admet que « nous sommes une population multiraciale », nuance : « On se tolère, mais c’est un destin sans relation. Il n’y a pas loin de la tolérance à l’indifférence. On parle de destin commun, mais ça reste plutôt un slogan ». Vincent Bouvier rappelle enfin que les « Accords de Matignon », après la violence des « événements » qui avait culminé en 1988 lors de la sanglante prise d’otages d’Ouvéa, ont permis 30 ans de paix civile. Et il insiste sur le contexte qui pèse sur le référendum à venir. Contexte géographique : un archipel à 18.000 km de la France, proche de grands voisins comme l’Australie qui guettent de près ce qu’il adviendra de l’influence française dans le Pacifique. Contexte économique : le nickel est un enjeu stratégique et politique majeur (la Nouvelle-Calédonie concentre 25 % des ressources mondiales connues). Contexte social : les inégalités restent fortes. Si les accords de Matignon et Nouméa ont offert à la Nouvelle-Calédonie une grande autonomie, ont permis l’émergence d’une citoyenneté néo-calédonienne, de nombreux conflits sociaux continuent à se régler dans les locaux du Haut Commissariat, même en l’absence de compétence officielle de l’Etat…

« La religion a un rôle majeur à jouer »

Les intervenants de la conférence, réunis autour du secrétaire général du Défap © F. Lefebvre, Défap

Dans ce contexte, souligne l’ancien Haut-Commissaire, « un référendum posé de façon binaire risque de déboucher sur une situation de tension ». Jonathan Tholo renchérit : «  la question : indépendance ou non, est vue comme trop radicale par les jeunes, qui veulent voter, s’impliquer, mais redoutent les conséquences ». Pour le pasteur Ben Houmbouy, « chacun a peur. Les indépendantistes, qui attendent depuis longtemps ce vote, ont peur d’échouer dans leur quête ; les non-indépendantistes, habitués à commander, ont peur de devoir obéir. Et chaque camp reste imparfaitement uni, relié par des motifs d’intérêt bien plus que par la recherche de l’intérêt commun ».

Mais à ces forces de division s’opposent de puissants ferments d’union. Des valeurs enracinées aussi bien dans la religion que dans la coutume et qui pourraient permettre, comme l’espère Vincent Bouvier, de trouver un socle suffisant pour faire dialoguer les positions apparemment les plus irréconciliables. « Ce sont des hommes d’Eglise, rappelle l’ancien Haut-Commissaire, qui ont permis, souvent en désaccord avec les autorités de l’époque, de poser un regard différent sur l’identité Kanak. La religion a un rôle majeur à jouer dans la gestion des tensions et le maintien du dialogue. » Dans cette terre où religion et relations coutumières s’imbriquent, les deux se renforcent pour faire vivre une communauté, ce qu’illustre Jonathan Tholo : « Dans la tribu dont je suis issu, le temple a sa place ; le pasteur est intégré au groupe, on lui donne un lopin de terre, on s’occupe de ses enfants… » Comme le résume Bertrand Vergniol, « les Calédoniens ont besoin d’un rien ; ce rien, ce pourrait être l’Evangile. C’est au nom de cet Evangile que Maurice Leenhardt était parti à Nouméa. »

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