Maurice Leenhardt. Pour un « destin commun » en Nouvelle Calédonie – Éditions Olivétan

Plus qu’une biographie, le livre de Frédéric Rognon, professeur de philosophie à la Faculté de théologie de Strasbourg et auteur notamment de plusieurs biographies de protestants remarquables (Dietrich Bonhoeffer, Martin Luther King, Charles Gide) traite de la rencontre d’un homme et d’un peuple, d’une terre : Maurice Leenhardt et la Nouvelle-Calédonie. Le missionnaire protestant qui a œuvré dans l’archipel au cours du premier quart du XXe siècle s’est montré animé d’un profond amour pour le peuple Kanak et d’une grande admiration pour sa culture ; il a su écouter, comprendre, pour mieux rendre à cette population l’envie de vivre, la fierté de son identité, la volonté de construire son avenir.

Colonisé par la France à partir du milieu du XIXe siècle, l’archipel, au moment de l’arrivée de Maurice Leenhardt, est entré dans le champ de la Société des Missions Évangéliques de Paris. Ses missionnaires remplacent ceux qui avaient été envoyés depuis Londres et qui avaient commencé l’évangélisation protestante de la Nouvelle-Calédonie, avant d’être relayés par des natas (pasteurs) kanaks locaux. Maurice Leenhardt est nommé missionnaire dans ce territoire en 1902, à l’âge de 24 ans, et y met en pratique le conseil que lui a donné son père lors de son départ : «Écoute d’abord !». Ce conseil paternel fera du missionnaire un ethnologue en herbe, pour devenir, si possible, un meilleur missionnaire.

Mais les débuts sont rudes. Le maire de Nouméa l’accueille par ces mots : «Que venez-vous faire ici? Dans dix ans il n’y aura plus de Kanaks».

 

Annonce de l’Évangile et la lutte contre l’alcool

Un quasi-génocide, comme l’évoque Frédéric Rognon: pour la France, la Nouvelle-Calédonie a servi d’abord de bagne et ensuite de terre de peuplement. La population locale, essentiellement agricole, a grandement souffert de cette occupation, notamment en raison de l’introduction de l’élevage, qui provoquait la destruction des cultures, et surtout de l’alcool, de sorte qu’à la fin du XIXe siècle elle était en voie d’extinction. Face à ces ravages, Maurice Leenhardt mène son action sur deux fronts : 1) associer à l’annonce de l’Évangile l’éducation et l’aide sociale, en particulier la lutte contre l’alcool, 2) essayer de comprendre la population locale et d’en apprendre la langue. Ainsi, symboliquement, la première salle de classe est ouverte dans un hangar qui avait été d’abord un comptoir d’alcool. Par ailleurs il forme de nouveaux pasteurs, avec lesquels il peut traduire la Bible collégialement, respectant les conceptions locales : à titre d’exemple, «pierre angulaire» est rendu par «poteau central».

En revanche, il subit souvent l’hostilité des colons, et même quelquefois de l’Administration, qui condamnent son «indigènologie» : il sera régulièrement menacé de mort. Mais en dépit de cette hostilité, malgré même le manque de reconnaissance de ses efforts à son retour à Paris, Maurice Leenhardt aura, au bout d’un quart de siècle d’immersion complète dans la culture kanak, contribué à donner à cette culture ses lettres de noblesse. Son espérance, liée à ses convictions évangéliques, tablait sur un dépassement des clivages ethniques. Son héritage pourrait aujourd’hui nourrir le débat en vue d’une solution consensuelle, alors qu’approche la date du référendum d’autodétermination prévu en novembre 2018. Au moment où les habitants de Nouvelle-Calédonie sont mis au défi de s’inventer un «Destin commun» sur cette terre du Pacifique, Maurice Leenhardt reste, 70 ans après son dernier séjour en Nouvelle-Calédonie, vénéré par la population kanak, quasiment assimilé à un «ancêtre».

Missionnaires en terre de mission : groupe de « natas » avec, au dernier rang, Maurice Leenhardt et Paul Laffay © Défap

 

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