Khaled Abu Toameh est un journaliste arabe israélien, chroniqueur célèbre de plusieurs journaux dont « Haaretz » (positionné à gauche). C’est une voix libre et respectée en Israël et en Palestine. Il préconise des attitudes pragmatiques pour améliorer la vie des Arabes israéliens. Rencontre avec cet homme de dialogue, à travers l’extrait d’une interview réalisée par Harold Hyman, pour le magazine « Opinion Internationale ».

L’Autorité palestinienne considère-t-elle les Arabes israéliens en tant que citoyens de la Palestine ?

Notre présence dans l’État d’Israël est un symbole fort pour ces dirigeants palestiniens : nous, les Arabes en Israël, sommes tenaces. Nous sommes les courageux, ceux qui sont restés dans la terre ancestrale en dépit des difficultés et de la discrimination. Le Hamas et l’OLP disent la même chose, et nous appellent d’ailleurs les Palestiniens de 48 (1948 année de la création d’Israël) . Ils ne nous voient pas comme des traîtres devenus israéliens, mais comme une extension du peuple palestinien.  Cette attitude, en fait, est dans l’intérêt des Arabes israéliens. Il y a beaucoup d’interactions entre eux et nous. Cependant, les Arabes en Israël luttent pour l’intégration, les Arabes en dehors (ceux de la Cisjordanie) luttent pour la séparation. Telle est la grande différence.

Que pensez-vous du BDS (Boycott, Divest, Sanction) et de la résistance des gens aux bulldozers israéliens ?

La plupart ne sont même pas des Palestiniens. Et à propos du BDS, comment puis-je boycotter le lait israélien, sans qu’on m’offre une autre source de lait ? Et les gens qui perdent leur emploi en raison du boycott, qui leur trouvera un autre emploi ? Il est injuste que des militants confortablement installés en Occident prêchent ce qu’ils croient être bon pour les Palestiniens. En principe, je suis contre les campagnes négatives. Je n’ai pas vu le BDS affecter l’économie israélienne, il n’y a pas de panique en Israël. Au contraire. Rallier le monde contre Israël est très contre-productif, cela droitise les Israéliens. Cela ne sert pas la paix, et de nombreux Palestiniens ne savent même pas ce qu’est le BDS, ils ne s’en soucient guère, ils travaillent dans les supermarchés israéliens, et les colonies, et ils utilisent les hôpitaux israéliens. Je vois beaucoup de Palestiniens là-bas qui vont dans le sens opposé du BDS.


Khaled Abu Taomeh – © Harold Hyman / Opinion Internationale / 2016

 

Est-ce que la solution d’un État unique gagne chez les Palestiniens ?

Pour commencer, il y a déjà deux États pour les Palestiniens, la Cisjordanie et Gaza ! Cette division a grandement affaibli le projet national palestinien. Mais oublions un instant Gaza. Regardez la situation sur le terrain : en Cisjordanie et à Jérusalem, la situation géographique est devenue extrêmement compliquée. Les gens de chaque groupe vivent très près les uns des autres, parfois dans le même bâtiment, c’est inextricable. Rationnellement parlant, il est impossible d’avoir un deuxième État là-bas, donc la solution de deux États, l’un juif et l’autre arabe, est concrètement irréalisable. Pourtant, l’autre solution, celle d’un État unique (englobant tous les Juifs et tous les Arabes d’Israël et de Cisjordanie) est rejetée par 99% des Juifs, qui préfèrent la séparation physique. L’idée de la séparation semble donc être la seule solution, et si les deux parties professent leur choix de la séparation, elles ne parviennent pas à se mettre d’accord sur les termes du divorce.

 

Tout accord entraînerait-il des mouvements de population ?

Oui, surtout de la population juive. Mais même si ces Juifs quittaient la Cisjordanie, les Palestiniens se sentiraient étouffés dans un si petit endroit. Pourquoi pensez-vous que les Palestiniens sont opposés au mur ? Parce que même s’ils veulent une frontière entre la Palestine et Israël, ils ne veulent pas être enfermés par un mur, même un mur sur les frontières de 1967 ! Tel est le dilemme : la plupart des Palestiniens veulent la séparation, et aussi un pays ouvert du Jourdain à la Méditerranée ! Paradoxal.

Les Arabes israéliens ne votent plus pour les partis israéliens. Est-ce bon ou mauvais ?

Comment cela est-il survenu ? Parce que les partis israéliens les ont laissé tomber socialement et économiquement. Les listes arabes sont venues pour séduire les Arabes d’Israël, ont obtenu leur vote, et puis ces élus ont négligé les questions pratiques et les conditions de vie se sont  dégradées encore davantage. Les élus arabes israéliens deviennent des ultra-nationalistes palestiniens, rejoignent les flotilles d’humanitaires naviguant vers Gaza. Ils n’apportent rien de concret aux Arabes israéliens, et en outre les Juifs nous voient désormais comme une cinquième colonne.

Nous devrions faire des choses qui n’aliènent pas les Juifs, et ne pas aller contre l’État. Je ne dis pas que nous devrions être sionistes, ni que nous devrions tourner le dos à nos familles en Palestine.

Étonnamment, la communauté juive américaine a fait des choses très positives pour nous. Beaucoup de Juifs américains font du travail social à l’intérieur du secteur arabe en Israël. Leur but est de réduire l’écart social entre les Juifs et les Arabes, afin d’éviter une explosion. Une coalition de grandes organisations juives a mis en place un groupe de travail pour les Arabes israéliens ! Merci les Juifs américains, même si c’est le gouvernement israélien qui devrait faire ce travail ! Après tout, les Arabes israéliens paient des impôts.

 

 

Source : « Opinion Internationale »

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